Les oubliés de Durban: les esclaves
Bauer, Julien
L'esclavage est sans doute la forme la plus
ignoble de relations
interhumaines. Il aurait dû être au centre des
préoccupations de la
conférence de Durban. Le seul esclavage dont on a
parlé est celui qui
a disparu il y a plus d'un siècle aux États-Unis
et plus tôt dans les
diverses colonies européennes. Condamner
plusieurs générations après
la disparition d'une plaie le fait que la plaie a
existé est d'une
utilité douteuse. À ce compte il faudrait
condamner l'Égypte pour
avoir construit les pyramides avec des esclaves
juifs.
Contrairement à ce que beaucoup croient et
croiront encore plus à la
suite de la conférence de Durban l'esclavage
existe de nos jours.
Selon la Société antiesclavagiste pour la
protection des droits de la
personne dont le siège est à Londres le nombre
d'esclaves est au moins
d'un million. Un million de personnes hommes
femmes enfants sont
traitées comme des non-humains comme on n'ose pas
traiter les animaux.
Quelques esclaves libérés ont parlé à Durban. Les
chefs d'État les
dirigeants de la majorité des ONG les grands
journalistes ont brillé
par leur absence aux séances où se trouvaient des
esclaves. C'est que
condamner l'esclavage contemporain n'est pas
politiquement correct. La
quasi totalité des victimes sont noires la
quasi-totalité des maîtres
sont arabes. Les États arabes ont imposé un
silence total sur ce
phénomène.
Parmi les principaux coupables se trouvent
l'Arabie Saoudite la
Mauritanie et le Soudan. En Arabie Saoudite
l'esclavage légal a été
aboli en 1962 mais continue à sévir. Chaque année
des millions de
Musulmans vont en pèlerinage à la Mecque. Parmi
ces musulmans se
trouvent des centaines de milliers de Noirs qui
ont souvent du mal à
payer leur voyage de retour. Environ dix mille
pèlerins noirs qui
arrivent chaque année en Arabie ne retournent pas
chez eux. Comme il
est impossible de rester illégalement dans la
monarchie saoudienne où
passent ces 10 000 Noirs? Ils disparaissent du
monde et deviennent des
esclaves.
La Mauritanie pays pauvre comprend au Nord des
Arabes et au Sud des
Noirs. L'esclavage y continue. Faut-il préciser
que les esclaves sont
noirs et les maîtres arabes et que l'inverse ne
se produit jamais.
Encore plus ahurissant est le cas du Soudan. Dans
ce pays à population
mixte Arabo-musulmans au Nord et Noirs chrétiens
et animistes au Sud
le gouvernement dominé par les Arabo-musulmans
impose la sharia le
code religieux musulman aux Chrétiens et
animistes. La guerre civile
qui sévit depuis plus de vingt ans a causé la
mort de plus de deux
millions de personnes presque toutes noires. Pour
terroriser les Noirs
surtout ceux qui habitent les régions qui ont des
ressources
pétrolières des raids sont organisés pour enlever
des enfants noirs et
les vendre en esclavage à des maîtres arabes. La
boucherie au Soudan-
une des pires dans un monde qui en connaît hélas
trop- l'esclavage n'a
entraîné aucune condamnation sérieuse. L'ONU
reste silencieuse. À
l'exception de quelques groupes antiesclavagistes
et de quelques
groupes chrétiens personne ne s'intéresse au sort
de ces esclaves. Le
Canada représenté au Soudan par la compagnie
Talisman qui exploite du
pétrole dans les zones habitées par les Noirs ne
dit mot.
Le fil directeur entre l'esclavage en Arabie
Saoudite en Mauritanie et
au Soudan est que les esclaves sont noirs les
propriétaires arabes et
que dans la hiérarchie des êtres humains selon
Durban les premiers
n'ont aucun droit et les seconds tous les droits.
La Ligue arabe a imposé le silence à Durban. Par
contre elle a lancé
des attaques racistes antisémites antisémites et
non anti-israéliennes
car le vocabulaire les caricatures les attitudes
n'ont rien à voir
avec un conflit politique mais tout avec un
racisme virulent
réminiscent du nazisme. Les Arabes ont oublié un
point. La seule et
unique fois où des Blancs ont été chercher des
Noirs en Afrique non
pas pour en faire des esclaves comme aux
États-Unis ou en Arabie
Saoudite mais pour en faire des hommes et des
femmes libres a culminé
les 24 et 25 mai 1991 lorsque 14 000 Noirs
éthiopiens ont été
transférés par pont aérien en Israël.
Les esclaves actuels ont été trahis par Durban.
Tous les États et
toutes les ONG qui ont délibérément abandonné les
esclaves à leur
triste sort ont choisi leur camp celui des
racistes et des
esclavagistes. Dans un mois le Conseil de
sécurité de l'ONU aura un
nouveau membre la Syrie. Peut-on espérer que le
Canada aura la dignité
de voter contre ce représentant des
esclavagistes?
L'auteur est professeur au département de science
politique à
l'Université du Québec à Montréal.
Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et
relations
internationales; Religion, philosophie et éthique
Taille : Moyen, 580 mots
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Doc. : news·20010908·LA·0032