Oubliés de l’Histoire…Les «Tirailleurs sénégalais»
Oubliés de l’Histoire…
Les «Tirailleurs sénégalais»
En 1900, les Parisiens découvrent, défilant sur les Champs Elysées, avec le capitaine Marchand, héros de Fachoda, une
poignée de géants : les Tirailleurs sénégalais. Héritiers des piroguiers du fleuve Sénégal et des esclaves affranchis, ils
s’étaient révélés les principaux auxiliaires des multiples expéditions africaines. Forts de ce succès, plusieurs régiments de
Tirailleurs furent mis sur pied. On les revit tous à Longchamp, le 14 juillet 1913, où deux de leurs drapeaux reçurent la
Légion d’Honneur. Sur la demande de Faidherbe, gouverneur du Sénégal, qui avait appris à les connaître pour les avoir vu à
l’œuvre, fut créé, le 21 juillet 1857 un corps de tirailleurs sénégalais. Ce corps bénéficiera d’une telle renommée qu’il sera
associé jusqu’en 1945 à tous les soldats Français originaires d’Afrique-Occidentale et d’Afrique-Equatoriale française.
L’épisode de Fachoda
Le 18 septembre 1898, une armée anglo-égyptienne de 20 000 hommes, conduite par le général Lord Kitchener, remonte le
Nil, après avoir vaincu les Soudanais au cours d’une campagne meurtrière à Omdourman. A Fachoda, sur les bords du Nil
blanc, au cœur du Soudan, elle rencontre une expédition française arrivée sur place trois mois plus tôt. Cette expédition,
baptisée Congo-Nil, comprend huit gradés et plus de 250 tirailleurs sénégalais, sous les ordres du capitaine Jean-Baptiste
Marchand. Elle vient de Brazzaville, un poste français près de l’embouchure du fleuve Congo. Lequel, de l’Anglais ou du
Français cédera la place ? La possession du Soudan et la continuité des empires coloniaux sont en jeu. La rivalité
franco-britannique bat son plein, avec deux points de fixation : Djibouti, sur la mer Rouge pour les premiers, et le canal de
Suez et son trafic maritime pour les seconds. Finalement, on oubliera très vite que deux nations proches faillirent entamer un
conflit sérieux. Finalement, le Soudan sera anglais…
L’armée coloniale indigène
C’est en 1915 qu’a été créée l’Armée coloniale indigène, et c’est la ville de Fréjus qui l’accueillit. Mais, dès août 1914, des
régiments de tirailleurs indigènes furent engagés sur le sol métropolitain. Il faut savoir qu’à la veille de la Première Guerre
mondiale, les troupes indigènes, ex-troupes de marine devenues troupes coloniales en 1900, ce qui explique la présence d’une
ancre marine sur leurs uniformes, étaient composées de tirailleurs recrutés en Indochine, en Afrique orientale (Madagascar,
Côte des Somalis et Djibouti), en Afrique équatoriale et occidentale, en Guyane, dans les Antilles et les territoires du
Pacifique. Très vite, la Champagne et la Marne s’embrasèrent sous les feux de l’ennemi allemand. En 1918, c’est grâce au 1er
Corps d’Armée coloniale, qui comptait 9 bataillons de tirailleurs sénégalais, que la ville de Reims fut défendue et sauvée.
Mais les conflits ignoraient les frontières : lorsqu’ils n’étaient pas envoyés à Verdun, il faut savoir que pour aller au secours
de la France, tous les jeunes gens d’Afrique du Nord, en âge de porter les armes, furent mobilisés, chrétiens, juifs et
musulmans côte à côte, pour être affectés à l’armée d’Orient et participer aux nombreux combats qui eurent lieu dans le
détroit des Dardanelles, dans les Balkans, et en Palestine où ces troupes s’illustrèrent aux côtés des troupes britanniques
lors de prise de Naplouse. Au total, lors de la Première Guerre mondiale, plus de 275 000 soldats indigènes ont servi dans
l’Armée coloniale. Parmi eux : plus de 181 000 Sénégalais, les plus nombreux, répartis au sein de 141 bataillons de tirailleurs
sénégalais, qui constituaient l’essentiel de ce que le général Mangin appelait «la force noire ». Ensuite, on trouvait presque
autant d’Algériens, plus de 80 000 Tunisiens, 40 000 Marocains, plus de 41 000 Malgaches, 2 500 Somalis, 49 000
Indochinois, un millier de Canaques et Polynésiens. A la fin de la guerre, en novembre 1918, les pertes de cette armée
coloniale indigène furent lourdes : 28 700 morts et 6 500 disparus.
La réorganisation des troupes coloniales
(extrait du site troupesdemarine.org avec l'aimable autorisation de J.F. Mouragues)
La fin de la Première Guerre mondiale est marquée par une profonde réorganisation des troupes coloniales. La pénurie de
main d’œuvre due aux pertes effroyables durant ce conflit (1 355 000 morts et 3 595 000 blessés), explique en partie cette
situation. De plus, les rigueurs budgétaires imposées par l’effort de reconstruction, et l’absence de menaces de la part de
l’Allemagne vaincue, ont eu raison d’une grande partie de l’infanterie française. Les troupes coloniales voient près de 80%
des régiments qui la composent dissous. Seuls subsistent en tant que régiments blancs trois en métropole, deux en Indochine,
et un en Chine. Paradoxalement, alors que sont dissous les régiments blancs de l’infanterie coloniale, des formations
africaines plus connues depuis 1926 sous l’appellation de tirailleurs sénégalais sont créés (RTS). Ils seront implantés dans
des garnisons du sud de la France. Tout comme les unités Nord-Africaines, (tirailleurs algériens, tunisiens, marocains), les
RTS s’avèrent plus économiques et plus dociles que les unités blanches. C’est ainsi que Perpignan récupère un régiment
colonial, le célèbre 24è RTS, régiment qui, malgré sa nouvelle appellation et sa composition, hérite des traditions et du
drapeau de ses prédécesseurs.
Lors de la guerre du Rif (1924-1927), le 24è RTS participe avec d’autres formations coloniales ou métropolitaines aux
opérations de pacification du Maroc. On fera appel également à lui en Syrie. En 1935, c’est ce même régiment qui part,
comme d’autres troupes, en occupation en Allemagne, puis de 1936 à 1939, il est employé à la garde des frontières. Lors de
l’exode des républicains espagnols, plus connu sous le terme de « retirada », près de 500 000 réfugiés civils et militaires
espagnols déferlent dans le département des Pyrénées Orientales. Les Sénégalais ont pour mission de contrôler le col du
Perthus. Les ordres émanant des autorités civiles sont stricts : « on ne passe pas en armes ». Il seront appliqués au pied de la
lettre, si bien que les troupes noires devront être retirées, car jugées « trop brutales ».
Les Tirailleurs Sénégalais face aux Allemands
Sur la scène internationale, les événements se précipitent, la Pologne est attaquée par l’Allemagne, la France entre en guerre.
Le 24è RTS vient s’ajouter à d’autres régiments. Les troupes coloniales blanches et noires fournissent 8 divisions d’infanterie
immédiatement opérationnelles, les troupes nord-africaines, quant à elles, 12 divisions. En tout, les effectifs de la Coloniale
et de l’Armée d’Afrique représentent près de 20% des 110 divisions que la France peut aligner. Et le 5 avril 1940, c’est le
retour au front : le 24è RTS part en Alsace, dans le secteur de la ligne Maginot, où il est employé à l’organisation des
positions de combat, à la construction de blockhaus, et au creusement de fossés antichars. Puis, ce sont les combats de
Sedan, de la Somme, où les coloniaux contiendront l’avance allemande, sans toutefois réduire les têtes de pont d’Abbeville et
d’Amiens. Malgré les panzers, les bombardements incessants de l’aviation et de l’artillerie ennemie, le 24è RTS inflige aux
colonnes blindées de très lourdes pertes, parvenant à détruire 400 chars ennemis sur le front de la Somme. Beaucoup
d’hommes seront tués au combat, d’autres faits prisonniers, et un certain nombre purement et simplement fusillés du simple
fait qu’ils étaient noirs. C’est notamment dans l’Oise, près de Paris. Le 25 juin 1940, en application des accords d’armistice,
tous les régiments africains seront dissous, seuls deux qui subsisteront à Perpignan et à Fréjus. Pour le gouvernement de
Vichy, la présence des troupes noires dans l’armée métropolitaine d’armistice est absolument exclue. Seule l’Afrique Noire,
l’Afrique du Nord et le Levant (Syrie et Liban) accueilleront les tirailleurs sénégalais.
par Pierre DELMAS
Rfi.fr