Jean-Philippe OMOTUNDE a répondu à nos questions : il est notre septième invité et nous le remercions de s'être prêté au jeu.
Exceptionnellement, il a répondu à 12 questions au lieu des 10 initialement prévues. Courageux, précis, décidé.
source:http://www.bcdlabel.com/ilsnousfontavancer.php?c_id=7
1 Bonjour, pourriez-vous vous présenter aux internautes de BCDLABEL.COM ? (Origine, situation familiale, depuis quand vivez-vous en France et surtout à Paris)
Hotep (paix) à tous. Je suis originaire d'une terre kamite nommée Karukéra par les Indiens premiers habitants de l'île (paix à leurs âmes), puis Guadeloupe par les Européens. Je suis venu à Paris dans les années 80 pour y faire des études en marketing et en communication. Par la suite, j'ai décidé de réaliser mon vieux projet d'adolescent : étudier notre histoire !
2 Qu'est ce qui vous a le plus marqué en arrivant à Paris ?
J'ai été surpris de découvrir que les jeunes français n'avaient aucune appréciation exacte des anciennes colonies françaises. Pour eux, situer la Guadeloupe sur un globe terrestre relevait de l'exploit. En cours, on me demandait par exemple, si nous vivions encore dans les arbres ( ?). Paradoxalement, j'ai pris conscience que nous n'avions, qu'une vision très superficielle de notre histoire africaine et panafricaine. Inconsciemment durant notre enfance, nous avions été déconnecté de notre histoire et ceci est très grave.
3 Vous êtes le boss de l'excellent site africamaat.com, comment avez-vous débuté ?
Après avoir étudié l'histoire africaine durant près d'une dizaine années au CERVA et à l'IECA, Abdoulaye un ami webmaster, m'a proposé en 2003 la création d'un site web pour promouvoir les travaux du professeur Cheikh Anta Diop. Notre souhait étant d'être le plus technique et précis que possible dans divers domaines, nous avons donc formé une équipe pluridisciplinaire de spécialistes en égyptologie, en historiographie des religions et en histoire de civilisations africaines. J'ai donc sollicité René Louis Etilé et Pierre Nillon pour que nous lancions ensemble le projet sous le nom d'agorafrica.com pour finalement changer en africamaat.com. D'autres chercheurs résidant en métropole ou ailleurs sont alors venus renforcer l'équipe initiale, comme Mubabinge Bilolo, Jean Paul Mbelek, Bwemba Bong, Doumbi Fakoly, Pharaon Seti, et bien d'autres sans oublier Salomon et Olivier notre webmaster actuel sans qui l'aventure serait déjà terminée. Notre souhait reste d'offrir à la jeunesse panafricaine, une vision claire et précise de son patrimoine historico-culturel, de la préhistoire à nos jours.
Au-delà, nous avons crée depuis 2 ans l'Institut Africamaat qui dispense des cours sur l'histoire de l'Afrique antique, sans oublier la géopolitique africaine. Nous avons aussi lancé le journal Afrik@raïbes mag aux éditions Menaibuc, pour promouvoir l'histoire scientifique du Monde Noir. Bref, on est finalement assez actif.
4 Vous êtes l'auteur d'un certain nombre d'ouvrages, pouvez-vous nous en parler ?
J'ai publié aux éditions Menaibuc trois ouvrages, L'origine négro-africaine du savoir grec, Les racines africaines de la civilisation européenne et La traite négrière européenne : vérité et mensonges (cf. menaibuc.com). Mes deux premiers ouvrages s'appuient sur le testament historique des grecs anciens qui rend caduque la thèse du « Miracle grec ». Ces derniers ont de leurs propres aveux, largement puisés en Afrique noire, les fondements de leur civilisation (architecture, spiritualité, sciences, philosophie, lois…). Pour le dernier sur la traite européenne, je dirai que c'est l'antidote du poison de la grenouille empêtrée.
Très bientôt, je vais de nouveau publier deux autres ouvrages. Pour les jeunes de 4 à 14 ans, j'ai confectionné un ouvrage didactique qui leur présentera leurs Humanités Classiques Africaines de façon ludique. Et le second concernera la philosophie de l'Afrocentricité qui est à mes yeux la plus judicieuse. Il fallait un éditeur pragmatique, visionnaire, artisan de la Renaissance Africaine et prêt à certains sacrifices pour arriver à dynamiser les travaux des chercheurs panafricains suivant les pas du professeur Cheikh Anta Diop, d'où mon choix des éditions Menaibuc. Rien n'est facile ou acquis d'entrée mais je crois que c'est ensemble que l'on forme une équipe formidable.
5 Chercheur en histoire, spécialiste en communication, enseignant à l'Institut Africamaat. Qu'est ce que vous enseignez exactement ?
Je mets l'accent sur « La transmission du savoir à l'époque de l'Afrique pharaonique » afin d'apprécier la vision de nos ancêtres kamits, d'encourager la comparaison avec l'époque actuelle et enfin, de démontrer qu'il est vital dans le Monde Noir, de bâtir un corpus pédagogique reposant sur nos Humanités Classiques Africaines. Notre principal problème vient du peu d'importance que nous accordons à l'éducation et à la formation de notre jeunesse. Vous savez, l'éducation est une chose sacrée.
En Guadeloupe par exemple, une responsable d'un grand lycée m'avouait en 2004 qu'elle formait les jeunes pour qu'ils aillent travailler en métropole. Ce qui relève d'une entreprise de déformation mentale est appelé ici une formation, cherchez l'erreur !
Nous avons délégué notre responsabilité en matière d'éducation scolaire et spirituelle à une ex-puissance coloniale mais en plus, nous persistons à calquer un modèle pédagogique extra-africain, dont la finalité est de former des assimilés totalement aliénés, dépréciant le merveilleux héritage de leurs ancêtres, glorifiant celui des autres et ne pensant qu'à se désolidariser de leur terre natale, mentalement et/ou physiquement. Nous donnons aux jeunes, non seulement, une instruction et une éducation occidentale, qui plus est, sans aucune « Conscience de soi ». Nous sommes de vrais apprentis pyromanes !
6 Parlez-nous de votre récent séjour en Egypte ?
Sous l'impulsion de Salomon, les éditions Menaibuc et l'Institut Africamaat ont invité nos étudiants et nos lecteurs à visiter pendant une semaine, la terre des anciens : KEMET (l'Egypte). A mon humble avis, c'est la première fois qu'un groupe de Paris se rend en Egypte. Ce que nous avons vu là-bas dépasse l'imagination. Imaginez des sculptures représentant des rois Noirs de 30 à 40 mètres de haut. A l'intérieur des pyramides, le plafond qui est a environ 4 mètres de hauteur, est réalisé avec des dalles de 2 à 3 tonnes. Le temple de Karnak où les Noirs rendaient grâce à Dieu (Amon-Râ) dans l'antiquité est aussi grand que la Défense (à Courbevoie). Tout est gigantesque mais avec une évidente harmonie artistique qui dévoile un profond respect pour Maât (la vérité, justice divine). Ce séjour sur la terre de nos ancêtres Kamits restera encore inoubliable parce que notre groupe était formidable. Avoir fait ce séjour avec tous ces pèlerins Kamits reste pour moi un cadeau d'une valeur inestimable. Salomon avait raison, il fallait y aller pour nous rendre compte des choses de nos propres yeux. D'ailleurs, c'est décidé, on y retourne l'an prochain.
7 Quels souvenirs vous laissent l'année 2005 ?
Ils sont nombreux. Tout d'abord, il y a nos victoires contre les ventes aux enchères des archives de l'esclavage. Joby Valente a été remarquable dans ce combat. D'autre part, je ne peux oublier le Colloque International Menaibuc 2005 à Paris qui à travers les conférences de plus d'une vingtaine de chercheurs, a insisté sur le rôle des parents dans la transmission de notre patrimoine historico-culturel. Il y a aussi la montée en puissance de nos revendications grâce à un Dieudonné, fin communicateur.
Mais de l'autre côté, on ne peut oublier Katrina, le crash en Martinique, les immeubles qui ont brûlés « comme par magie » à Paris et les refoulés africains à la frontière par un Maroc sponsorisé par la Commission Européenne… Ce fut pour nous l'année de la prise de conscience de la gravité de notre situation sur la scène internationale. Il est vital de réagir !
8 Quels sont, selon vous, les pièges que les Noirs doivent éviter ?
Je pense que mener un combat pour devenir un parfait occidental est faire fausse route. Passer à la télévision ou dans la presse néo-coloniale ne règle pas le fond du problème.En vérité je pense que nous devons nous battre pour reconstruire une Afrique forte et soudée, nous devons nous battre pour offrir aux jeunes la possibilité de vivre bien en Afrique ou dans la Caraïbe. L'aide humanitaire ou les subventions d'Etat entretiennent l'assistanat, la corruption et l'asservissement. Les terres occupées par les Noirs de part le monde, sont des lieux de ponctions financières par des multinationales étrangères et non d'investissement. Les Noirs à travers le monde ne seront en sécurité que lorsque l'Afrique sera forte et indépendante économiquement.
Regardez le débat sur l'esclavage et la colonisation, l'Afrique reste muette car elle est asservie. Libérons l'Afrique de ses chaînes et nous retrouverons notre dignité. Nous voulons que l'Afrique soit forte, soyons forts…Le reste est du blabla ! La France est endettée, les USA et bien d'autres pays occidentaux aussi, ont-ils pour autant confié leur économie au FMI ou à la Banque Mondiale ? Il s'agit pourtant de leurs propres institutions, non ? En fait, ils connaissent bien le requin financier sans pitié qu'ils ont façonné !
9 Citez nous 5 personnalités kamites qui ont marqué 2005
Dans le désordre, je pense à Christiane Taubira, Dieudonné Mbala Mbala, Joby Valente, Claude Ribbe et Théophile Obenga. Chacun possède sa personnalité mais c'est surtout en terme d'efficacité qu'il faut apprécier leur stratégie.
10 Que pensez-vous de la situation des noirs en France ?
La prise de conscience est en marche. Les manipulations médiatiques se multiplient mais les choses avancent. Néanmoins, la vision de la situation est beaucoup trop fragmentaire et les défenseurs de tel ou tel cercle d'intérêt extra-kamites, encore nombreux. Nous devons résolument nous consacrer à défendre les intérêts matériels et moraux des Noirs dans leur ensemble car tous, nous sommes logés à la même enseigne. Nous devons aller à l'essentiel…
En reconstruisant l'Afrique, en la remettant sur les rails, nous nous reconstruirons nous-mêmes. L'Afrique a inventé les termes « unité », « union », « s'unir » vers 3 400 avant J. C. lors de la cérémonie du Séma-Tawy (Union des 2 Terres) réalisée par le roi soudanais Narmer, fondateur de la civilisation égypto-nubienne. Nos ancêtres lumineux de la vallée du Nil, nous ainsi montrent la voie. L'occident à tout fait pour diviser le monde noir, hors seule l'union est d'essence divine. La Caraïbe à tout à gagner avec une Afrique forte. Haïti aussi ! Le savoir que nous accumulons doit être mis au service de cette noble cause. Là-dessus, je rejoins notre illustre prophète Marcus Garvey.
11 Que manque-t-il à Paris selon vous ?
Paris a encore besoin d'avoir de véritables ambassadeurs du Monde Noir, capables de parler objectivement de nos réalités et de notre histoire. Les média font un véritable travail de sape et de désinformation. L'école même n'est pas sans reproche.
Mais plus que tout, nous avons besoin d'un lieu de culture afrocentriste. Lorsque que je dis « Afrocentriste », je veux dire témoignant de l'histoire panafricaine dans une vision africaine de la vie, des hommes et de leurs réalisations scientifiques et technologiques.
Il manque aussi cruellement de commerces et d'entreprises kamits et je dis cela dans le sens où nous devons être en mesure de générer nos propres emplois. Cette dynamique existe partout sauf en France à cause, entre autre, du type de gouvernement rétrograde.
12 Vos adresses préférées à Paris
J'en ai pas mal. Le musée Dapper, l'Institut Africamaat, la librairie Présence Africaine, le musée du Louvres pour ses antiquités kamites, le centre Georges Pompidou, la cité des sciences à la Villette, le stade de France pour ses grands événements sportifs, le théâtre de Dieudo, la porte de Versailles pour ses expositions et l'aéroport pour aller souvent en Guadeloupe.
Paris le 10 mars 2006