2. L’ONU au service des intérêts des pays dominants et de la mondialisation libérale ?
L’Assemblée générale de l’ONU, les gouvernements, les organes de l’ONU et les différentes organisations internationales se sont longtemps inquiétés des activités des transnationales. L’un des points du programme pour un Nouvel Ordre économique international faisait référence explicitement à la nécessité de contrôler leurs activités et de les soumettre à un contrôle institutionnel et au respect de l’ordre interne des Etats. Coup d’Etat au Guatemala en 1954 contre le gouvernement d’Arbenz, participation au coup d’Etat contre le gouvernement démocratique de Salvador Allende au Chili, appui au régime criminel de l’apartheid en Afrique du Sud. Ces participations à des actes illicites parlent des conduites illégales et des activités criminelles dont sont responsables les sociétés transnationales .
Les banques du Nord ont ainsi participé activement avec les IFIs au saccage de l’Argentine, en donnant leur appui inconditionnel au régime criminel de la Junte militaire qui avait planifié et ordonné l’éxécution de crimes contre l’humanité. Les sociétés transnationales ont historiquement constitué une menace pour l’autodétermination des peuples et pour la souveraineté des Etats. Elles ont même profité de la protection des pays du Nord qui les ont aidés militairement dans l’organisation d’actes d’agressions et de coups d’Etats contre les gouvernements démocratiques qui tentaient de les soumettre au respect de la loi et du droit international. Les activités des sociétés transnationales ne se limitent pas aux Etats : elles cherchent une légitimation par la voie de leur présence et de leur pouvoir au sein des organisations internationales afin de les influencer.
Ainsi, en 1978, l’organisation non gouvernementale « Déclaration de Berne », a publié un rapport sur L’infiltration des firmes multinationales dans les organisations des Nations Unies. Ce rapport expliquait, documents à l’appui, les activités déployées par ses sociétés pour influencer les décisions de plusieurs organes du système onusien. Mais maintenant, il ne s’agit plus d’infiltration, l’ONU a ouvert ses portes à ces sociétés en les appellant “ membres de la société civile” ou “ acteurs sociaux”, suivant la tendance mondiale de concentrer le pouvoir de décision entre les mains de grands conglomérats internationaux, au détriment de la démocratie, du droit au développement et du respect des droits humains.
Le partenariat de l’ONU avec les sociétés transnationales a été oficiellement proclamé à New York par le Secrétariat général à travers le Global Compact, le 25 juillet 2000. Parmi les participants de la “ société civile” apparaissent British Petroleum, Nike, Shell, Rio Tinto, Novartis, toutes avec un curriculum éloquent en matière de violations massives et graves des droits humains, du droit du travail et de destruction de l’environnement. Il faut citer également la Lyonnaise des Eaux, dont les agissements en matière de corruption de fonctionnaires publiques afin d’obtenir le monopole de la distribution d’eau sont bien connus en Argentine, en Bolivie, au Chili et ailleurs. Ce processus de partenariat avec les sociétés transnationales va à l’encontre des réformes démocratiques nécessaires au sein de l’ONU et renforce leurs politiques de mainmise sur les ressources et les biens publics appartenant aux peuples. Ce partenariat implique un virage stratégique de l’ONU qui confère de plus en plus de pouvoir de décision à ces sociétés privées. Le bien public se trouve escamoté au profit des intérêts privés, et l’ONU n’est pas étrangère à ce phénomène.
Nous pouvons dire que tout le système institutionnel de l’ONU est pris dans la tourmente de la mondialisation capitaliste. La question de la destruction des acquis sociaux, de la déstructuration du cadre juridique de la protection internationale des droits humains, l’utilisation de la force armée contre les peuples, la tendance généralisée du glissement vers des Etats de plus en plus autoritaires et répressifs, sont autant d’éléments qui doivent être lus à la lumière de ce processus de mondialisation. Et l’ONU joue un rôle de premier plan dans ce processus.
Conclusions
Il est nécessaire d’agir en vue de la reconstruction de l’ONU sur des bases démocratiques et respectueuses du droit international et des droits humains. Cette transformation ne passe pas uniquement par l’élargissement du nombre d’Etats au sein du Conseil de sécurité. Le problème de légitimité, à laquelle l’ONU est aujourd’hui confrontée, est beaucoup plus profond : il tient au fait qu’elle a démissionné de son obligation qui est d’assurer la paix et la sécurité internationales, essentiellement parce qu’elle elle a contribué décisivement à la violation des normes impératives du droit international et, surtout parce qu’elle joue le rôle de courroie de transmission d’un projet et d’un modèle politique, idéologique et économique qui vise à l’instauration d’un ordre international fondé sur la discrimination, la force, la domination des peuples et sur la violence. Démocratiser l’ONU, afin que « nous les peuples... » récupérions ce qui nous a été illégitimement pris par les puissances et par les transnationales, est un enjeu politique d’une extrême urgence. Et vu l’état très avancé de la dégradation de l’ONU, la grande question est de savoir s’il faut la transformer ou s’il faut la réformer.
Finalement, nous voulons avancer certaines pistes, qui ne pourront être effectives que si elles sont basées sur l’obligation de respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et ce qui en découle en termes de droits fondamentaux (droits civils et politiques, droits économiques sociaux et culturels et droits environnementaux).
- 1. Renforcer les pouvoirs de l’Assemblée générale, qui doit devenir la seule instance universelle où tous les États - petits ou grands, riches ou pauvres- disposent d’une voix égale
2. Elargir les compétences et améliorer le fonctionnement du Conseil économique et social (ECOSOC) afin qu’il devienne un organe de surveillance des IFIs et des sociétés transnationales avec mise en place d’un système institutionnel de contrôle
3. Attribuer des compétences juridiquement contraignantes à la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement.
4. Rattacher les IFIs aux obligations internationales concernant le respect des règles des droits humains sous la surveillance du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies
5. Rattacher les IFIs aux principes et règles du droit international, en particulier, aux dispositions de la Charte de l’ONU
** Dr. En Droit international. Chercheur au CADTM. Serpaj-Europe ** IPAM. Membre de Droit-Solidarité/AIJD
http://www.reseau-ipam.org/article.php3 ?id_article=636
Source: http://lesogres.org/article.php3?id_article=1445