Partie 2 : Les grandes interrogations
2.1 - La conséquence des bouleversements internationaux
La bombe nucléaire a t-elle perdu son adversaire ?
Il est certain qu'avec la fin de la guerre froide l'utilisation de la bombe atomique ne peut plus être la même, de ce point de vue elle a perdu son adversaire. Cela dit l'essence de la bombe n'était pas d'être tournée exclusivement contre l'URSS. Elle a été faite contre l'Allemagne, utilisée contre le Japon, a servi dans les rapports Est-Ouest, a failli être utilisée en Corée puis pendant la Guerre du Kippour, comme soutien soviétique à l'Égypte contre Israël, et contre la Chine, toujours par l'URSS — qui rappelons-le, ignore le concept de dissuasion, avec du tactique. L'arme nucléaire transcende donc largement les relations internationales.
Les nouveaux enjeux du nucléaire. Un cas d'espèce : l'Asie
Il est vrai que le nucléaire occupe actuellement une importance moindre dans les structures de l'OTAN, mais elle est toujours d'actualité face aux nouveaux enjeux mondiaux. On se limitera ici au cas complexe de l'Asie. Ce qui est frappant en Asie, c'est que tout le monde est l'ennemi de tout le monde. L'Inde est ennemie du Pakistan qui est ennemi de l'URSS, l'Inde a des conflits frontaliers avec la Chine qui aide le Pakistan, le Japon et la Chine sont suspectés par tout le monde, le Viêt-Nam ne s'entend avec aucun de ses voisins, etc.
Dans cette région instable, sont nucléaires l'URSS actuellement Russie(1949), la Chine (1964), l'Inde (1974), le Pakistan (1986), la Corée du Nord a failli ou l'a été. La Corée du Sud et le Japon seront peut-être nucléaires (ils l'ont proposé tous les deux). Leurs cas sont toujours liés : ces pays ont plusieurs adversaires en même temps, et sont adversaires eux-mêmes. Si la Corée ne proteste que mollement devant la nucléarisation du Nord, c'est que si les deux Corées se réunissent un jour, ce qui est dans l'ordre des choses, le Japon passera certainement nucléaire, et que la Corée voudra l'être aussi dans ce cas là. Il faut se souvenir que la dissuasion est un concept occidental, inconnu en Asie. Pour eux la fin de la guerre froide ne veut pas dire la fin de l'arme nucléaire, bien au contraire.
2.2 - Les proliférations passées et à venir
Les proliférations : « clandestins » et rogue states
Le Club officiel
Il compte 5 membres, membres du Conseil de sécurité : Chine, États- Unis, France, Grande-Bretagne, URSS puis Russie. Ce sont les pays qui étaient nucléaires avant le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968.
« Clandestins »
Contrairement à ce que leur nom pourrait faire croire, leur statut nucléaire est su de tous, et les pays en question ne s'en cachent pas. Ils pourraient faire partie du Club si l'on n'avait pas fermé la porte en 1967.
Il est intéressant de noter que l'on avait toujours prévu des proliférants mais que l'on s'est beaucoup trompé. Ainsi en 1975, l'OTAN voyait la Libye, Taïwan, la Corée du Sud, le Mexique. En fait les vrais proliférants ont été Israël (1967), l'Inde (1974), l'Afrique du Sud (1979), le Pakistan (1986-87). Il y a un cas litigieux : l'Ukraine qui stocke sur son territoire des têtes nucléaires qui appartenaient à feue l'URSS, et qui n'est pas pressée de les rendre, contrairement à la Biélorussie. Cependant elle ne dispose pas des moyens techniques et militaires pour avoir une force de frappe crédible.
Prénucléaires et rogue states
En font partie le Brésil et l'Argentine (qui ont dénucléarisé, mais qui sont capables de revenir très vite à leur potentiel), l'Iraq, la Corée du Nord, sans compter les fuites de matériel pré-nucléaire vers des pays comme la Libye, mais la Libye n'a pas vraiment les moyens d'avoir une force de frappe. Un cas intéressant, l'Afrique du Sud. Elle a été nucléaire, aidée par Israël, pour des raisons un peu obscures, vu que Prétoria n'avait pas besoin du nucléaire pour se défendre contre ses voisins africains et qu'elle ne pouvait pas jouer de rôle international majeur du fait de l'apartheid. Toujours est-il qu'elle se dénucléarise au moment de la fin de l'apartheid en 1991.
Projections
Allemagne (malgré ses engagements en 54 et en 90 à l'occasion de la réunification à ne pas l'être), Japon (sa constitution le lui interdit mais il en parle de plus en plus), Iran, qui ne demande que ça, et ce qui est normal si l'on fait abstraction du régime intégriste, vu que c'est le seul pays capable d'assurer la sécurité régionale au Moyen-Orient.
Les tentatives de maîtrise des armements
Face au danger de ces proliférations incontrôlées et incontrôlables, surtout depuis l'effondrement de l'URSS et la déliquescence des structures militaires russes, qui fait que du matériel pré-nucléaire transite partout dans le monde, s'est développée l'idée de stopper la prolifération horizontale (pour ce qui est de la prolifération verticale, le problème est encore plus complexe), ce qui est, comme on l'a vu au très grand avantage des deux Grands, ainsi que des pays qui de toute façon n'auraient pas les moyens techniques, militaires et surtout financiers de devenir nucléaire. Il existe plusieurs traités :
* le TNP (1968), visant à la non-prolifération les nucléaires officiels s'engagent à ne pas aider un autre État à devenir nucléaire, les non-nucléaires s'engagent à ne pas proliférer. Le traité est contrôlé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de Vienne. Il a été signé en 1968 par 62 États, dont les États-Unis. La France est le dernier nucléaire officiel à avoir signé le traité, en 1995. À ce jour, 4 États n'ont pas signé le traité : Cuba, l'Inde, Israël et le Pakistan. La Corée du nord s'en est retirée en janvier 2003.
* le traité ABM (1972), signé entre les États-Unis et l'URSS, interdit le déploiement d'un système de défense anti-missiles stratégiques balistiques, et limite le développement des missiles de défense. Fin 2001, M. Bush a annoncé le renoncement unilatéral des États-Unis à ce traité et un site-test pour un système de défense anti-missiles américain a été bâti à Delta Junction (Alaska).
* les accords SALT (Strategic Arms Limitation Talks) conclus entre les États-Unis et l'URSS : SALT I (1972) et SALT II (1979) qui visent à la limitation des armements stratégiques offensifs, suivis par START (Strategic Arms Reduction Talks) en 1991
Il y a beaucoup plus d'hypocrisie dans ces accords que de réelle volonté de désarmement.
2.3 - L'arme nucléaire face à ses détracteurs
Faut-il encore des essais nucléaires ?
L'opposition au nucléaire s'est cristallisée sur la reprise des essais nucléaires tout d'abord français (1995), indiens (1998), pakistanais (1998 également) puis chinois (1996). En effet les discussions sur l'arms control reposaient sur le principe qu'on ne développerait pas les arsenaux, ce qui était évidemment largement faux. Pour l'opinion mondiale, c'est l'usage même du nucléaire militaire qui a été condamné à travers les essais. En revanche, pour les États-Unis, il s'agit clairement d'empêcher les autres membres du Club de rattraper leur retard technologique sur eux. Les États-Unis étant déjà passé l'étape de la simulation veulent verrouiller la porte pour les autres, en les empêchant notamment de développer leurs systèmes anti-missiles, et en leur proposant en compensation de passer sous parapluie américain (cas de la France, qui a évidemment refusé). En fait la véritable question est : peut-on actuellement se passer du nucléaire ?
Peut-on se passer du nucléaire ?
Les États-Unis affirment que oui. Ils ont en effet les moyens de ne pas s'en servir (même en dissuasion), grâce au développement de la « contre prolifération non nucléaire », technique qu'ils sont les seuls à pourvoir s'offrir, et qui permet de culpabiliser les autres puissances du Club. Il s'agit de préparer les troupes à poursuivre les opérations face à un ennemi disposant d'armes de destruction massive, par la détection, les équipements de protection et les dispositifs anti-missiles balistiques de théâtre.
Le problème avec le nucléaire, c'est qu'une fois que l'on est entré dedans il est très difficile d'en sortir : on ne peut pas désinventer l'arme nucléaire Les Américains affirment que le nucléaire n'est plus assez efficace et qu'il faut passer à autre chose si l'on veut rester à la pointe de la performance, mais cela ne les empêche pas de développer des projets de type IDS (aussi appelé guerre des étoiles) en moins ambitieux, et de type TMD (système de défense anti-missile de théâtre) pour protéger leurs forces déployées outre-mer.
Conclusion
Les décennies passées ont montré que l'arme nucléaire était non seulement de plus en plus répandue, malgré les processus de maîtrise des armements et le fin de la guerre froide, mais aussi de plus en plus partagée. On assiste à une prolifération qui a été encore encouragée par l'effondrement de l'URSS et la dissémination des savoirs, chercheurs, matériaux, voire des armes. Dans ces circonstances il serait naïf de croire que l'arme nucléaire n'a pas d'avenir. Aujourd'hui l'arme nucléaire reste garante de la souveraineté nationale, et un nécessaire facteur de perturbation stratégique dans les relations internationales. La guerre nucléaire demeure, heureusement, imprévisible (pourquoi la déclencher contre un autre État nucléaire, ce qui serait un assassinat doublé d'un suicide ?), aléatoire (à quoi bon conquérir un territoire vitrifié ?) et indécise (comment terminer un échange de feu nucléaire ?).
Mais il n'est pas sûr que la possession de l'arme ultime rende sage. La valeur d'une vie n'est pas la même partout. Il faut de même rappeler que la dissuasion est un concept principalement occidental, et que donc la recomposition du monde ne signifie en rien la baisse d'efficacité de l'arme nucléaire. Géopolitiquement, que ce soit pendant ou après la guerre froide, il y a toujours les mêmes et bonnes raisons pour un pays de s'équiper nucléaire s'il en a les moyens et l'envergure. Il n'est pas interdit de croire que le tabou nucléaire ne sautera pas un jour et qu'il y aura des frappes limitées, de l'ordre du substratégique. De fait, l'arme nucléaire a encore bel avenir devant elle. Il reste à espérer que la dissuasion aussi.
http://www.eleves.ens.fr/home/mlnguyen/QI/nucleaire.html
Dim 24 Déc - 9:37 par mihou