Voix off : « En 2003, trois Cubains détournent un Ferry. Castro
ordonne leur exécution
quelques jours plus tard. » Remarquable condensé de mensonges en peu
de mots. !
Rectifions : onze Cubains tentent vainement de détourner un barge à
fond plat, menacent de
mort les passagers (dont des touristes français). Dans tous les pays
du monde, les prises
d'otages ratées se concluent par l'exécution, à chaud, des vaincus (en
France : grotte d'Ouvéa,
Boeing de Marseille, maternelle de Neuilly). Les onze sont arrêtés,
jugés régulièrement (avec
des avocats et pas à huis clos). Contre trois d'entre eux,
récidivistes, dont l'un déjà condamné
pour crime de sang, le tribunal (pas Castro) prononce la peine
capitale. On peut désapprouver
le verdict ; les autorités cubaines elles-mêmes sont hostiles, par
éthique, à la peine de mort.
Elle bénéficiait d'ailleurs d'un moratoire depuis trois ans et elle
n'a plus été appliquée depuis.
Mais le contexte était tendu avec le puissant voisin qui menaçait
l'île, accusée de mal
surveiller ses frontières, lacune qui figure dans la liste des motifs
d'intervention armée.
Voix off : « Les contacts avec les Cubains sont interdits ». Là
encore, c'est faux et le film lui-
même le montre involontairement dans plusieurs séquences. Chacun peut
louer une voiture,
voyager, manger et dormir où il veut sur l'île et rencontrer qui il
veut. Si les autorités cubaines
sont soucieuses d'éviter les harcèlements auxquels les touristes sont
confrontés dans nombre
de pays pauvres, s'il existe une vigilance due à des meurtriers
attentats passés, le dialogue est
néanmoins libre. Pouvant s'ajouter aux deux millions de touristes
qu'elle reçoit, Cuba invite
deux millions d'Américains à venir le vérifier : Bush s'y oppose.
Un « témoin » assure que les Cubains passent leur temps à voler
(séquence sur les cigares).
Comme ils en passent aussi beaucoup à fuir, à danser et à faire de la
musique, on est étonné de
cette déclaration d'Elizardo Sanchez, dont nous reparlerons plus loin
: « Chaque Cubain
passe plus de 90 % de son temps à chercher comment se nourrir, se
soigner, ou se
transporter. » Après avoir gaspillé largement plus de 100% de leur
temps, on se demande
quand ils étudient (L'Unesco salue les succès spectaculaires de
l'enseignement cubain) ou
travaillent : le taux de croissance en 2004 de « cette économie qui se
dégrade » (voix off) est
de 11,8 %.
La pénurie de viande rouge a préoccupé les journalistes qui y
reviennent longuement plusieurs
fois avec pour témoins des Cubains bien en chair. Ils persiflent sur
l'interdiction de tuer une
vache, sans se poser une seule fois la question du pourquoi. La seule
réponse pesamment
suggérée est l'incohérent autoritarisme des méchants gouvernants. Il
ne sera surtout pas dit
que, dans cette île encerclée, les bovins trop rares sont réservés à
la production de lait dont
n'est privé aucun enfant, à la viande pour les adolescents et les
adultes les plus fragiles
(malades). Sa consommation par les touristes est un échange par lequel
entrent les vitales
devises. Mai, bah ! toutes les mesures pour contrer les effets du
blocus et assurer
l'alimentation du pays, sont tournées en dérision par des reporters
qui ne manifestent à aucun
moment de l'empathie pour ce peuple dont ils nous décrivent à l'envi
les faiblesses, mais
jamais les merveilleuses qualités.
Voix off : « Il y avait 14 établissements pénitentiaires sous Batista
et 252 aujourd'hui. Les
organisations humanitaires estiment que 100 000 personnes sont sous
les verrous sur 11
millions d'habitants. Dix fois plus qu'en France ». LES «
organisations » et pas « DES ».
Lesquelles ?Evidemment, c'est encore faux. Selon les chiffres publiés
par le « Centre
international des études carcérales » de l'université londonienne
King's College, les Etats-
Unis, avec deux millions de détenus, ont le taux d'incarcération le
plus élevé du monde,
devant la Russie et le Belarus. Sur les neuf millions de personnes
emprisonnées à travers le
monde, plus de deux millions, soit 22 % sont derrière des barreaux
américains. A lire le
rapport d'une autre organisation, le « Centre international des études
carcérales », on voit
que le taux d'incarcération pour 100 000 habitants est plus bas à Cuba
que dans nombre de
pays qui ne sont aucunement soumis à une menace extérieure mortelle.
Il est de 487/100 000
(et non pas de 910/100 000 si l'on se base sur Canal +), contre 714
aux USA, 532 aux
Bermudes (possession britannique), 523 à Palau (semi colonie US en
Océanie) 490 aux Iles
Vierges (possession US dans les Caraïbes). Il faut ajouter aux prisons
cubaines le goulag US
de Guantanamo (dont le journaliste épris des Droits de l'Homme ne pipe
mot) pour que Cuba
fasse meilleure figure au hit-parade. Pour mémoire, signalons
qu'Amnesty international
exclut Cuba de sa liste des vingt-deux pays du continent américain qui
pratiquent la torture.
Elle avance un chiffre de 300 prisonniers « politiques », ce que les
Cubains contestent.
L'association Sin Visa (dont en reparlera plus bas), intervenant
devant la Commission des
Droits de l'Homme de l'ONU en avril 2004 avançait le chiffre de 315.
Même s'il est gonflé,
on est loin du chiffre lancé par Canal + au milieu de commentaires
apocalyptiques sur un
« Etat policier » pour laisser insidieusement penser, par effet de
halo, qu'il s'agit de 100 000
prisonniers politiques.
Et puis, les prostituées : malgré la volonté de dramatisation du
reportage, on voit qu'elles sont
inquiètes de la police, comme partout dans le monde (voir les mesures
de Sarkozy chez nous),
qu'elles peuvent encaisser pour une passe (40 dollars) plus de trois
fois un salaire mensuel.
Mais nul ne se demande alors pourquoi elles ne sont pas plus
nombreuses. On en comptait
jusqu'à 15 000 à La Havane sous Batista. Et le proxénétisme
proliférait dans le « bordel de
l'Amérique ».
Le reportage s'attarde également dans un « bidonville », « El Fanguito
» en plein centre de la
Havane. Les reporters y ont trouvé un bon client logorrhéique dans son
opposition au régime,
(flouté inutilement car il montre où il vit !). Les reporters ne nous
diront pas ce qui suit : La
Havane compte 2,3 millions d'habitants. Quelques centaines (estimation
à 0,03 % avec un
léger risque d'erreur pour le deuxième chiffre après la virgule),
venus de province, attendent
dans des baraques la construction d'immeubles, prévue mais stoppée du
fait des conséquences
de l'effondrement de l'URSS. Ils y seront logés, sur place, comme ils
le veulent et non pas
dispersés aux vents lointains comme des expulsés parisiens
d'habitations vétustes.
L'affirmation de Canal + selon laquelle l'Etat veut les expulser pour
créer une « zone
touristique » est une invention. Les habitants font l'objet de toutes
les attentions sociales avec
des éducateurs, des équipements sportifs, des activités artistiques
multiples, une école, deux
églises (pas montrées dans le reportage), des journaux internes. Ce
problème est si peu tabou
qu'il a fait récemment l'objet d'un documentaire filmé (et pas en
caméra caché) par un grand
réalisateur cubain (non flouté). A titre de comparaison, le Brésil
compte 650 « favelas » dont
celle de Rio est peuplé de 500 000 pauvres abandonnés à leur sort
depuis des décennies.
Intéressons-nous maintenant à un oracle qui pontifie tout au long du
film : un homme replet,
élégamment vêtu et sûr de lui, dans le décor d'une grande maison
pourvue d'un coquet « petit
salon » pour les visiteurs. Il nous est présenté comme Elizardo
Sanchez, président de la
Commission cubaine des Droits de l'Homme ; il aurait passé huit ans en
prison.
Et voici ce que canal + ne dit pas : il est connu à Cuba sous les
sobriquets de « l'homme
pendule » ou « Le camajan » (« Le profiteur ». Un livre sur lui porte
ce titre). Pourquoi ?
Parce que, avant de s'enrichir dans le mercenariat proaméricain, il
avait travaillé, à sa
demande, pour les services de sécurité cubains sous les pseudonymes de
l'agent Juana, de
Eduardo et de Pestuna. Certains des mercenaires, stipendiés par les
USA, qu'il dénonça alors,
sont aujourd'hui en prison. Des documents irréfutables et nombreux
attestent de ce passé,
dont une photo lors d'une réunion secrète du Ministère de l'intérieur
où il recevait une
médaille pour ce travail. Affecté d'un égo surdimensionné (il demande
à sa femme de dire
« monsieur le président » quand elle parle de lui à des visiteurs), il
a su se donner l'image « de
premier dissident » ce qui lui permet de recevoir des aides et
subventions de toutes parts en
prenant la précaution de ne pas accepter celles qui arrivent
directement de l'ennemi (les
USA). Ainsi, ses principaux bâilleurs de fonds sont Espagnols,
Français, Suédois. Des
sommes transitent aussi par le Mexique et Costa Rica. Il voyage
beaucoup à l'étranger, donne
des conférences payantes, entretient des rapports étroits avec
l'extrême droite de Miami et
intervient contre finances sur « Radio Marti » qui émet vers l'île
depuis les USA pour appeler
au renversement de Castro et au maintien du blocus.
Tel est le premier Saint-Jean Bouche d'Or que canal + a choisi pour
nous seriner (sans flouter
son visage) que chacun a faim dans ce pays muselé. L'autre est un
médecin flouté qui ne doit
pas savoir que des centaines de ses confrères sont en mission
humanitaire au Pakistan que des
dizaines de milliers d'autres Cubains sont également à l'étranger
(enseignants, médecins,
entraîneurs sportifs, musiciens, chercheurs, etc.) et que 99,999 %
d'entre eux (le risque
d'erreur est dans le troisième chiffre après la virgule) rentreront
ensuite au pays pour y être
payés avec des clopinettes. A quoi tient ce mystère ? La question ne
sera pas posée.
On terminera sur la dernière filouterie de Canal +. Le Monde du 10
février 2004 nous avait
informé sur « les 36 points » d'un programme « destiné à amorcer la
transition à Cuba »
présentés par l'association Todos Unidos et diffusés par Sin Visa.
Mais Canal + nous a
caché qu'un des réalisateurs figurant au générique, Jorge Massetti est
un Cubain exilé
en France, lui aussi ancien agent « retourné » des services secrets
cubains, animateur de
« Todos Unidos », lié à Elizardo Sanchez et époux de l'animatrice de «
Sin Visa », Illeana
de la Guardia, organisatrice de manifestations anti-cubaines en
Europe. La boucle de la
farce se boucle ici.
Libre à Canal + de choisir des collaborateurs tout entiers dévoués à
un combat partisan pour
renverser un gouvernement. Mais le taire, c'est abuser les
téléspectateurs qui, d'un bout à
l'autre de ce film, auront été méprisés et trompés.
C'est le parfait exemple d'un journalisme d'imputation et
d'amputation, de combat
idéologique forcené déguisé en information, de manipulation, de
mensonges triomphants et
masqués qui passent à l'antenne.
Pour tout cela, un droit de réponse s'impose.
Sam 1 Avr - 18:14 par Tite Prout