actualité afrique Égalité : rien n’est joué
AFRIQUE DU SUD - 26 mars 2006 - par ROGER COHEN THE NEW YORK TIMES ET JEUNE AFRIQUE 2006. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
Initiés en 1998, les programmes de promotion des Noirs dans les secteurs économiques et financiers font polémique.
Douze ans après la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud s’est engagée dans le programme d’affirmative action - de « discrimination positive » - le plus ambitieux de la planète. L’objectif est de transformer une économie dominée par les Blancs pour y faire jouer un rôle grandissant à 35 millions de Noirs, en qualité de propriétaires comme de gestionnaires.
Beaucoup ne voient pas d’un très bon œil le Black Economic Empowerment (BEE), le Programme d’avancement des Noirs adopté en 2001, qui prévoit de faire passer entre leurs mains d’importants avoirs financiers et des biens fonciers d’ici à 2011. De son côté, l’Employment Equity Act, la loi sur l’égalité dans l’emploi de 1998, se propose de mettre fin à la domination blanche dans les postes à haute responsabilité des entreprises.
Louables objectifs, reconnaissent la plupart des gens, après les ravages de la suprématie blanche. Mais la presque-unanimité s’arrête là. Comme on l’a constaté aux États-Unis avec les programmes d’affirmative action, les progrès sont irréguliers et des divergences surgissent lorsque des sociétés tentent de redistribuer le pouvoir économique.
Parmi les protestataires, on trouve le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu), dont le 1,8 million de membres considère que le Congrès national africain (ANC) du président Thabo Mbeki, en d’autres temps marxiste, est passé avec armes et bagages du côté du grand capital. On retrouve toujours les mêmes noms dans tous les actes de transferts, affirme l’un de ses dirigeants, Patrick Craven. Le BEE fait plus facilement des milliardaires qu’il ne soulage la pauvreté. Et de citer Cyril Ramaphosa, James Motlatsi, Tokyo Sexwale, Patrice Motsepe, Fred Phaswana, Irene Charnley… Figurent souvent parmi ces nouveaux riches d’anciens dirigeants syndicalistes qui ont su monnayer leur influence.
Cependant, arriver à constituer un monde du travail « racialement représentatif » reste un des objectifs prioritaires de l’ANC. Transférer 80 % des postes de responsabilité des entreprises aux mains des Noirs ne se fera pas sans douleur. À l’heure actuelle, au moins 65 % des cadres supérieurs sont blancs. Beaucoup d’entre eux, le moment venu, devront céder la place. Dick Hermann, secrétaire général adjoint de Solidarity, un petit syndicat à majorité afrikaner, craint le pire : que tout soit désorganisé sans que les masses noires y trouvent leur compte.
Selon Vuyo Jack, le directeur général noir d’Empowerdey, une société chargée de surveiller la mise en œuvre des objectifs du BEE dans les milieux économiques, « on avance cahin-caha », mais les décideurs blancs commencent à comprendre qu’il est de leur intérêt d’élargir la part de marché des Noirs. « Les Blancs, dit-il, traînent les pieds, mais ils se rendent compte que s’ils ne font rien et qu’il n’y a pas de transformation économique dans les dix prochaines années, nous serons déstabilisés. Il faut réduire l’énorme fossé qui existe dans ce pays entre les riches et les pauvres. »
Avec un taux de chômage - principalement noir - qui avoisine les 40 %, les inégalités qui s’aggravent chez les Noirs eux-mêmes, il ne fait aucun doute que le BEE a encore beaucoup de pain sur la planche, même si l’économie profite à plein du boom de la consommation dans une classe moyenne noire en expansion.
Tout est encore possible, sursauts de violence ou blocages. Ce genre de cocktail social est explosif, surtout après quarante-six ans d’apartheid. Mais l’Afrique du Sud ne peut en rester là.
Aux États-Unis, depuis cinquante ans, l’importance de la classe moyenne noire a quadruplé et la pauvreté a diminué de moitié chez les Noirs. Tout, pourtant, n’est pas rose, malgré des décennies d’affirmative action.
Environ 8 % des Américains blancs sont pauvres, contre 25 % d’Africains-Américains. Il y a dans les écoles publiques une ségrégation de fait, non pas imposée par la loi, mais découlant du choix que font les Blancs et les Noirs de leur lieu de résidence. En moyenne, les Noirs gagnent près de 17 000 dollars de moins par an que les Blancs. Leur espérance de vie est plus courte de six ans. Les Noirs de sexe masculin représentent 6 % de la population américaine, mais 44 % des détenus dans les prisons.
Il faut beaucoup de temps pour réparer les conséquences de la persécution raciale. On se heurte à une forte résistance, parce que personne n’aime se sentir coupable. Mais il n’y a pas d’autre choix que de régler cette dette historique, et pas de meilleur espoir pour l’Afrique que le succès du pays de Nelson Mandela.
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