La Presse
Monde, vendredi 28 avril 2006, p. A12
Chavez joue l'atout du pétrole
Faux, Frédéric
Collaboration spéciale
San Salvador - Au Nicaragua, on n'a pas de pétrole, mais on sait cultiver les amitiés politiques. Un groupe de 53 maires de ce pays qui compte parmi les plus pauvres d'Amérique latine, appartenant en majorité à la gauche sandiniste, a en effet signé mardi un accord avec le président et révolutionnaire vénézuélien Hugo Chavez portant sur une livraison annuelle de 10 millions de barils.
L'événement s'est déroulé en présence de Daniel Ortega, leader historique de la révolution sandiniste, qui espère bien remporter les élections présidentielles du 5 novembre prochain après trois échecs consécutifs. Les élus concernés, également invités à Caracas, étaient visiblement satisfaits des conditions de financement offertes par le Venezuela: ce pétrole importé, distribué et commercialisé par une société binationale sera payable à 60 % en 90 jours, le reste de la facture étant réparti sur 25 ans, avec un taux d'intérêt de 1 %.
" Ce protocole de commerce des peuples va se révéler d'une énorme importance pour la population du Nicaragua ", a aussitôt prédit Dioniso Marenco, maire de la capitale nicaraguayenne. Tout aussi lyrique, Hugo Chavez avait par ailleurs rappelé dans son émission dominicale radiotélévisée Al presidente! que les Nicaraguayens pouvaient payer leur dette en kilos de viande, litres de lait ou livres de fromage, ou tout autre produit qu'ils pourraient exporter.
Dans un pays où 60 % de l'électricité est d'origine thermique, et où l'économie est mise à genoux par la hausse des carburants, cet accord ne sera pas dénué de conséquences politiques, et c'est exactement le but recherché par Hugo Chavez.
À la tête du cinquième pays exportateur de brut, le leader de la révolution bolivarienne n'en est pas à son coup d'essai. En juin, il lançait une initiative baptisée Petrocaribe, permettant à 13 îles-nations des Caraïbes d'acheter du pétrole sans intermédiaire. Cet or noir à prix cassé s'écoule aujourd'hui sur tout le continent, de Cuba à l'Uruguay, en passant même par les quartiers populaires de Brooklyn, aux États-Unis.
Contrer l'ALCA
L'objectif affiché du président vénézuélien est de contrer le très libéral Accord de libre-échange des Amériques (ALCA), promu par un George Bush qui souhaite l'abolition des frontières de l'Alaska à la Terre de Feu, par une très politique Alternative bolivarienne pour les peuples d'Amérique (ALBA), à laquelle adhèrent déjà Cuba et le Pérou. Soucieux de contrer le président américain partout où il peut, Hugo Chavez se tourne vers l'Amérique centrale, où la gauche lui tend les bras.
Au Costa Rica, le principal syndicat du pays ne jure que par lui. Au Salvador, les discussions d'un accord pétrolier sont déjà en cours avec le FMLN, parti issu de la guérilla. " Petrocaribe offre de meilleures conditions que les multinationales, constate Carlos Ruiz, maire FMLN de Soyapango. Notre but n'est pas de vendre du carburant, mais nous devons diminuer les souffrances du peuple. "
Les gouvernements d'Amérique centrale, sous tutelle étroite de Washington, restent pour l'instant à l'écart. Mais la flambée inconsidérée des prix du pétrole pourrait changer la donne. Le président du Guatemala, allié traditionnel des États-Unis, a par exemple exprimé son intérêt envers le pétrole vénézuélien. C'est au Nicaragua, seul pays d'Amérique centrale à avoir triomphé de " l'empire américain ", qu'Hugo Chavez place cependant ses plus grands espoirs.
Un retour au pouvoir de Daniel Ortega, qui a dirigé la révolution nicaraguayenne de 1979 à 1984, avant d'être élu et de présider le pays jusqu'en 1990, serait une humiliation de plus pour George Bush.