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 Les écrivains et la colonie : les mensonges de l'Histoire

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mihou
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mihou


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15032006
MessageLes écrivains et la colonie : les mensonges de l'Histoire

Les écrivains et la colonie : les mensonges de l'Histoire



« La France est secouée ces derniers temps par des débats, des déclarations, des lois qui, loin de la grandir, nous montrent finalement le visage d’un pays adepte de la langue de bois lorsqu’il s’agit d’affronter sa part sombre de l’Histoire… » Écrit mon ami Alain Mabanckou le 12 décembre 2005, dans un article en ligne de son Blog, intitulé : « Peut-on vraiment défendre la colonisation comme l’a fait le Parlement français ? »

Par Alain Brezault


Ce à quoi, parmi les nombreuses réponses suscitées par cet article passionnant, un autre ami, écrivain lui aussi de grand talent, Sami Tchak, répond : « L’histoire a toujours été orientée et ce sont les intellectuels et historiens qui la font en étant des esprits d’une époque, d’un contexte. A aucun moment, elle n’a été neutre, il a fallu donner une certaine lecture de la monarchie pour justifier l’avènement de la République, et les Ki-Zerbo se sont déjà battus contre une certaine histoire DE L’Afrique, en proposant la leur, elle aussi orientée d’une certaine façon. La "victime" n’est pas plus objective que le "bourreau", ils n’ont tout simplement pas les mêmes intérêts à un moment donné. Ce qui choque ici, ce n’est pas le caractère subjectif ou orienté de l’Histoire, c’est l’institutionnalisation de cette subjectivité. »

C’est pour tenter d’éclairer d’éventuels jeunes lecteurs, plus ou moins bien documentés sur cette époque tragique, que je trouve nécessaire de procéder à un bref survol de ce qu’a été, au plan de l’écriture, le rôle de certains écrivains de la métropole dans la façon dont l’idéologie coloniale s’est infiltrée insidieusement dans les cerveaux durant plus d’un siècle. Comment peut-elle encore perdurer chez quelques politiciens nostalgiques d’une France dont la grandeur ne réside certainement pas dans ce passé trop longtemps occulté, voire mutilé, par nos manuels d’histoire et malgré tous les témoignages qui devraient imposer une analyse objective des faits ? Enfin, quel a été le rôle des écrivains africains contemporains pour faire remonter à la surface tous les non-dits et les mensonges qui empoisonnent actuellement les relations entre les communautés d’une France qui se voudrait multiculturelle et donc respectueuse du passé et des valeurs de chacune de ses composantes ?

La Conférence de Berlin (1885), vit les puissances occidentales négocier entre elles le scandaleux partage de l’Afrique afin de mieux en exploiter les richesses au mépris absolu des peuples et des civilisations du continent. Pour des raisons de propagande, des écrivains aux ordres, défenseurs acharnés de l’idéologie coloniale, s’attelèrent alors à la tâche de relater ce qui était censé se passer dans les colonies en mettant en scène la vie quotidienne des Blancs expatriés accomplissant leurs devoirs civilisateurs au service de la patrie, dans « l’enfer équatorial » et parmi une sous-population « indigène » décrite comme « apathique et fourbe ».

« Pourquoi des colonies ? », demandait Jules Ferry dans un discours prononcé le 28 juillet 1885 à l’Assemblée nationale, quelques mois après la Conférence de Berlin. La réponse était sans ambiguïté : « La question coloniale, c'est pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, comme la nôtre, la question même des débouchés… Il y a un second point que je dois aborder : c'est le côté civilisateur de la question. Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu'il y a pour elles un droit parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… ».

Les petits écoliers de la IIIe République pourront ainsi lire dans le Tour de France par deux enfants, d’Augustine Fouillée, publié sous le pseudonyme de G. Bruno, que dans la hiérarchie des races de l’espèce humaine, la blanche est la « plus parfaite ». Véritable best-seller, ce livre, dont la première édition date de 1877, fut vendu à des millions d’exemplaires. A la même époque, L’Afrique, choix de lectures de géographie, un recueil de plus de 900 pages publié aux Editions Belin Frères sous la direction du professeur Lanier, agrégé de l’Université, était recommandé par le ministère de l’Instruction publique et la ville de Paris pour les distributions de prix et pour les bibliothèques scolaires et populaires. La 7e édition proposait en 1893 aux lycéens et écoliers de France un choix de textes relatant les exploits exotiques des militaires et des explorateurs à la glorieuse conquête du continent africain. Le point culminant de la bêtise suffisante était atteint dans l’extrait suivant, dû à la plume d’un certain Girard de Rialle qui avait commis un livre intitulé « Les Peuples de l’Afrique et de l’Amérique », publié aux éditions Germer-Baillère en 1880 : « Le nègre, peut-on lire sous sa plume, est un grand enfant, tout à l’impression du moment et absolument esclave de ses passions. (…) Le nègre n’a qu’une prévoyance très restreinte : il est l’homme du moment ; le passé ne laisse pas de trace profonde dans sa mémoire, et l’avenir ne le préoccupe point ; aussi n’a-t-il ni histoire, ni chronologie, il ne connaît même jamais exactement son âge. (…) La légèreté, la paresse, la superstition du nègre sont à coup sûr les causes de l’arrêt subi par lui dans l’évolution sociale. (…) C’est pourquoi le nègre est en général si peu fait pour la liberté… »

La plupart des missionnaires tenaient eux aussi, avec la bénédiction du Pape Léon XIII, des propos semblables concernant les populations qu’ils avaient la charge de convertir et de « civiliser ». Par exemple, le Révérend Père Gorgu, un missionnaire parmi tant d’autre, écrivait à propos de ses ouailles : « Chez ces peuples, les mœurs atteignent les derniers degrés de la corruption : ils ne considèrent la vie que comme un moyen d’assouvir leurs appétits, leurs instincts les plus grossiers. Et le missionnaire aura pour tâche de faire jaillir une étincelle de cette fange et de faire comprendre à ces natures retombées au niveau de la brute sans raison les beautés tout immatérielles de la pureté et des autres vertus chrétiennes. » (in « La Côte d’Ivoire chrétienne », 1912).

L’école chrétienne va alors devenir le pôle stratégique de tout l’enjeu missionnaire. L’effort de la mission se focalisera avant tout sur l’éducation religieuse enseignée à une sélection d’enfants noirs qu’il s’agit d’arracher à la sauvagerie de leurs parents, afin que les meilleurs d’entre eux puissent ensuite aller porter la bonne parole de Dieu et des nations conquérantes dans les villages au cœur de la brousse (1).

Rappelons que le Pape Léon XIII, en zélé propagandiste de la foi chrétienne, s’était grandement réjoui que les missionnaires belges puissent accomplir leur tâche sous la protection de « leur très religieux prince », Léopold II, tout en feignant d’ignorer les rumeurs de plus en plus alarmistes qui couraient au sujet d’atrocités subies par les populations soumises aux caprices mégalomaniaques de leur maître (2).
Les crimes contre l’humanité qui eurent lieu au Congo furent pourtant violemment dénoncés à l’époque et firent l’objet d’une grande campagne de presse dans laquelle de nombreux intellectuels, à l’image de l’écrivain américain Mark Twain (1835-1910), stigmatisèrent les atrocités commises là-bas. Cette dénonciation sans appel déclencha même de très nombreux mouvements de protestation aux Etats-Unis et en Europe. En Angleterre, le secrétaire d’Etat au Foreign Office, sir Edward Grey alla même jusqu’à déclarer officiellement le 23 décembre 1908 : « Depuis au moins trente ans, aucun problème de politique extérieure n’a remué le pays avec une telle force et une telle véhémence ».
Un exotisme à la portée de toutes les inconsciences
L’imaginaire européen fut ainsi nourri par toute une littérature aux relents d’exotisme mettant en scène d’« héroïques aventuriers » qui se heurtaient à la « sauvagerie et à l’animalité » des populations autochtones, espèces de sous-hommes qu’il fallait arracher à la noire barbarie ancestrale afin de leur faire goûter les bienfaits de la blanche civilisation européenne.
Cette littérature, dont le succès ne s’est pas démenti durant un bon demi-siècle, confortait l’idéologie coloniale ; elle recourait aux clichés les plus éculés du populisme racoleur, pour décrire des situations romanesques qui n’étaient que des transpositions de ce dont le public européen se montrait friand à l’époque : déchéance sociale, cocufiage, alcoolisme mondain, héroïsme, lâcheté, bref, tous les stéréotypes de la société métropolitaine transposés sur fond tropical, avec main-d’œuvre africaine à bon marché pour justifier la présence des maîtres.
Parmi cette production pléthorique, citons deux romans exemplaires du préjugé culturel et de l'approche exotique : Le roman d'un spahi (1881) de Pierre Loti et Terre de soleil et de sommeil (1906) d'Ernest Psichari. Le personnage principal du roman de Loti est français, mais sa femme et ses comparses sont des Noirs qui agissent de façon négative sur le destin du héros. Le réalisme apparent est sans cesse contredit par les clichés habituels, notamment sur l’impossibilité d’échapper aux feux infernaux du soleil africain qui transforme tous les personnages en pitoyables zombies. Psichari, dans son roman bourré de contradictions, n’hésite pas à assimiler certains Africains aux derniers représentants d'une « humanité des origines » confrontés à la décadence de la civilisation européenne. En réalité, Loti et Psichari se servent du décor de l’Afrique comme pour mieux exorciser leur propre subjectivité d’écrivains attirés par les mythes faussement romantiques dont on affuble ce continent afin d’idéaliser l’aventure coloniale.
Les deux frères Marius et Ary Leblond se bâtirent à la Réunion, puis en métropole, une certaine renommée littéraire. Ils obtinrent même le prix Goncourt en 1909 pour un roman, « En France », qui évoquait le déracinement et les errances de jeunes créoles réunionnais transplantés à Paris pour étudier à la Sorbonne. Dans « La Sarabande » (1904), réédité en 1934 sous le titre « La Kermesse noire, roman d'une élection aux colonies », les auteurs évoquent, sans d’ailleurs dénoncer cette situation, comment des hommes de main payés par les notables locaux, prompts aux insultes et aux coups, forcent la population à voter pour le candidat de leur choix. « Le Miracle de la race » (1914) s’intéresse aux malheurs d’Alexis Balzamet, un jeune orphelin réunionnais d'excellente famille blanche, que l'avarice de ses tantes contraint à quitter la pension bourgeoise où il étudiait, pour fréquenter l'école des Frères, sur les mêmes bancs que les enfants noirs nécessiteux. Mais, grâce au « miracle de la race », le jeune parvient à faire reconnaître ses qualités naturelles : il entre au Service des Ponts et Chaussées et s'engage patriotiquement dans le corps expéditionnaire lancé à la conquête de Madagascar en 1895.
Henry de Monfreid (1879-1974) est à classer dans la catégorie des « écrivains aventuriers » qui ont contribué à populariser le mythe de l’exotisme colonial. Sur les conseils de Joseph Kessel, il rédige ses premiers récits de voyages et des romans pittoresques dont la publication obtient un succès foudroyant : Les secrets de la mer Rouge, Pilleurs d'épaves, La Croisière du haschich… Mais quelques années avant la seconde guerre mondiale, dans les journaux de l'époque, on suivra avec un certain effarement les tribulations de cet intrigant sans scrupule qui essayera de justifier les conquêtes coloniales de l’Italie mussolinienne en Abyssinie…
Un vent de remise en cause
L’aventure coloniale inspira aussi en France quelques rares textes critiques. Publié en 1822, Ourika, de Mme de Duras est une œuvre romantique peu connue qui fut certainement le premier roman dénonçant les préjugés racistes d’une époque, encore peu concernée par la colonisation du continent africain, et dans lequel l’auteur se fit le porte-parole de la cause méprisée des Noirs. L’héroïne, Ourika, amenée toute petite de l'Afrique à Paris, a été élevée dans un milieu cultivé et aucun signe ne la distinguerait d'une jeune parisienne de la « bonne société », si ce n'était sa couleur de peau. Elle se comporte en jeune aristocrate et rien, dans ses manières, ne rappelle ses origines africaines. Elle va pourtant sombrer dans la déchéance en étant l’objet d'une exclusion totale, tant de la part de la société blanche, que de sa société d'origine qui la renie. Quant à la société coloniale, qui lui fait horreur et dont elle se sent étrangère, elle ne lui réservera aucune place et l’abandonnera à son triste sort…
Tard, beaucoup plus tard, des journalistes et des écrivains célèbres commencèrent à porter un regard plus incisif sur ce qui se passait vraiment dans les colonies. On pense à Albert Londres (1884-1932), qui fit scandale en écrivant dans Terre d’ébène (1927) : « Il faut aussi sauver le nègre (…) Le moteur à essence doit remplacer le moteur à bananes. Le portage décime l’Afrique. Au siècle de l’automobile, un continent se dépeuple parce qu’il en coûte moins cher de se servir d’hommes que de machines ! Ce n’est plus de l’économie, c’est de la stupidité. » Ou à André Gide (1869-1951), avec Voyage au Congo, NRF, 1927, et un long article, « De la détresse de notre Afrique équatoriale », publié dans La Grande Revue de Paris). Mais leur regard critique portait uniquement sur la mauvaise rentabilité de l’effort colonial et la façon dont les Blancs gaspillaient le potentiel de richesses qu’ils étaient censés exploiter au bénéfice exclusif de la société métropolitaine. Les Africains, taillables et corvéables à merci, restaient toujours à l’arrière-plan, en tant que victimes d’enjeux économiques dépassant leur entendement et vus à travers le crible d’un paternalisme de circonstance.
Dans A la recherche de l’homme nu (1932), Georges Simenon dénonce lui aussi (avec une certaine condescendance non dénuée du racisme qui imprègne l’époque), l’exploitation des « nègres » dans les colonies d’Afrique qu’il visite. Il commettra par la suite quelques romans coloniaux qui ne serviront certainement pas sa postérité (voir Coup de lune en 1933 ; Quartier nègre en 1935 ; Le Blanc à lunettes en 1937).
Bien qu’il ne soit mêlé en aucune façon à la vogue de la littérature coloniale, Céline, dans son impitoyable Voyage au bout de la nuit (1932), fera une description au vitriol de la société blanche qui croupit à Bambola-Fort-Gono, un de ces calamiteux comptoirs coloniaux qui bordaient le Golfe de Guinée. Mais lorsque le regard de son héros, Bardamu, se pose parfois sur les Noirs qui peuplent le décor comme des ombres portées sur cette société d’exilés rongée par l’ennui, ce n’est que pour les ridiculiser jusqu’au grotesque : « Au commandement d’Alcide, péremptoire, ces ingénieux guerriers, posant à terre leurs sacs fictifs, couraient dans le vide décocher à d’illusoires ennemis, d’illusoires estocades. Ils constituaient, après avoir fait semblant de se déboutonner, d’invisibles faisceaux et sur un autre signe se passionnaient en abstractions de mousqueterie. A les voir s’éparpiller, gesticuler minutieusement de la sorte et se perdre en dentelles de mouvements saccadés et follement inutiles, on en demeurait découragé jusqu’au marasme. »
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