La mondialisation pourrait aussi contribuer à l'obésité
Krol, Ariane
La mondialisation et les inégalités socioéconomiques qui l'accompagnent sont-elles responsables de l'obésité? C'est très plausible, affirment deux spécialistes de ce problème de santé maintenant considéré comme une épidémie.
Quelles que soient les causes de l'obésité chez un individu (alimentation, sédentarité, prédispositions génétiques, etc.), l'équation de base demeure la même: un bilan énergétique déséquilibré dans lequel l'apport calorique excède les dépenses énergétiques.
Physiologiste et titulaire de la chaire de recherche du Canada en activité physique, nutrition et bilan énergétique à l'Université Laval, Angelo Tremblay a réfléchi à certains mots clés associés à la mondialisation, tels productivité, rentabilité, profitabilité, travail, technologie et innovation. " Est-ce qu'un environnement qui gravite autour de ces mots clés peut créer un environnement qui débalance le bilan énergétique? " a-t-il demandé hier, dans le cadre du Forum économique international des Amériques.
Plusieurs données scientifiques l'incitent à considérer ce scénario. Le manque de sommeil, d'abord. Des études ont noté une augmentation de l'indice de masse corporelle (IMC) chez les petits dormeurs. " La privation expérimentale de sommeil affecte le niveau de certaines hormones ", explique Angelo Tremblay. La privation de sommeil diminue à la fois le niveau d'une hormone qui favorise la diminution de la prise alimentaire, la leptine, et la sécrétion d'une hormone qui augmente le désir de manger, la ghreline. Or, les Américains dorment une à deux heures de moins par jour qu'il y a 40 ans. En 1960, seulement 15,6 % des jeunes adultes dormaient moins de sept heures par jour. En 2001, ils étaient 37,1 %, indique Angelo Tremblay.
Il y a aussi le stress, qui augmente les niveaux des glucocorticoïdes, des hormones qui agissent sur le métabolisme des glucides. Le cortisol, en particulier, augmente le désir de manger. Les liens entre le stress et les gains de poids ont fait l'objet de nombreuses études depuis plus de 20 ans. Plus récemment, Angelo Tremblay et son équipe ont mené une expérience sur la sédentarité et le stress psychologique. Ils ont demandé à un groupe d'étudiants de rédiger un texte à l'ordinateur et à un autre de relaxer, puis ils ont laissé tous les participants manger à leur guise. Résultat? Alors que les étudiants des deux groupes ont dépensé le même nombre de calories, ceux à qui on avait demandé un texte ont ingurgité en moyenne 200 calories de plus.
Des chercheurs de l'Université Laval ont aussi suivi des résidants de Québec durant une dizaine d'années, de l'adolescence à l'âge adulte. Tous ont engraissé, mais une partie des sujets féminins accusaient un gain de poids deux fois plus important que les autres. Leur récepteur de glucorticoïdes pourrait être plus sensible au stress.
" Est-ce que l'obésité est un effet secondaire de la mondialisation? Je serais bien tenté de dire oui pour certains individus vulnérables exposés à un contexte féroce susceptible d'induire des changements hormonaux qui favorisent le gain de poids ", a conclu Angelo Tremblay.
Pour le directeur du Centre de santé publique et de nutrition de l'Université de Washington, le lien entre obésité et mondialisation ne fait aucun doute. " La lutte contre l'obésité et la précarité sont une seule et une même chose ", affirme Adam Drewnowski. Selon lui, il est temps de s'intéresser aux effets de Wal-Mart plutôt qu'à ceux de Pepsi ou de McDonald's. " Si les gens achètent de la nourriture à bas coût parce qu'ils sont pauvres, qui les a rendus pauvres? "
Le comté de Seattle-King, qu'a étudié Adam Drewnowski, confirme encore une fois que les segments les moins riches de la population sont plus touchés par l'obésité. Dans les quartiers où la valeur des maisons tournait autour de 150 000 $, le taux d'obésité atteignait 23,1 %. Mais il n'était que de 5,9 % dans les zones où les maisons se vendent 1,8 million. Le chercheur est en train de dresser une carte de la restauration rapide à Seattle. " Les consommateurs tendent à acheter- et à avoir accès à- plus de nourriture à bas prix ", dit-il.
M. Drewnowski cite une étude française qui a classé des aliments selon leur coût pour 1000 calories. Les moins chers sont le sucre, l'huile et le beurre. Viennent ensuite les céréales, le fromage, le lait et le poisson. Mais les produits qui, à calories égales, coûtent le plus cher, sont les fruits et les légumes.
" Paradoxalement, en essayant d'économiser de l'argent, vous pourriez finir par manger davantage ", dit le chercheur américain.