L’abolition de l’esclavage à Maurice
© Libération
L’abolition de l’esclavage à Maurice ( 03/02/2004 )
L’abolition de l’esclavage à Maurice date du 1er février 1835
Par Benjamin Moutou
LA DÉCISION du gouvernement britannique d’abolir l’esclavage à Maurice eut pour conséquence directe de créer 67 500 nouveaux sujets de plein droit de Sa Majesté britannique dans la colonie de Maurice. Elle devait devenir effective le 1er avril au terme de la période d’apprentissage de quatre ans.
Mais l’abolition de l’esclavage le 1er février 1835 ne signifie pas nécessairement, qu’avant cette date, il n’y avait pas de noirs libres dans la colonie. Dans le sillage de la Révolution Française, la Convention avait, le 4 février 1794, décidé que tous les citoyens de la République Française étaient dorénavant libres et égaux. Cela impliquait de fait que l’esclavage était aboli dans toutes les colonies françaises. On sait également que cette décision resta lettre morte car les esclavagistes d’un commun accord refusèrent d’entériner la décision arguant qu’aucune compensation n’avait été prévue en échange.
Il en fut ainsi dans toutes les autres colonies françaises. Cependant, de 1794 à 1803, l’île de France resta dans un flou juridique sur le statut des esclaves et aucun esclave ne fut libéré. L’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte en 1803 et la nomination d’Isidore de Caen au poste de gouverneur de l’île de France et de Bourbon devait redonner au régime servile tout son statut juridique.
On connaît la célèbre phrase de l’empereur des Français pour justifier sa décision : “Je ferai ce que la majorité des gens désirent, j’abolirai l’esclavage à Haïti et je rétablirai l’esclavage à l’île de France.” Si après cette date, le régime servile devait reprendre force et vigueur, le rétablissement de l’esclavage devait, dans un premier temps, affecter le statut des libres en les assimilant aux esclaves. Ce qui poussa Evénor Ythier à écrire dans son fameux livre sur la question “Ile Maurice” écrit en 1892 et dédié au Gouverneur Robert Chancellor : “La population de couleur alla dormir libre et se réveilla esclaves !”
Projet de loi sur l’affranchissement
Mais qui étaient ces citoyens dits “libres” et qui, au terme de l’abolition de l’esclavage, se chiffrait à 18 039. Il faut remonter à 1767 pour prendre connaissance d’un projet de loi sur l’affranchissement. Avant la promulgation de cette loi il n’y avait que deux types d’individus à l’île de France : les Blancs et les Noirs.
Avec l’entrée en vigueur de la loi de 1767, qui existait en Louisiane, une ancienne colonie française d’Amérique, émergea une troisième catégorie de citoyens qui, quoique n’étant pas de race blanche, n’étaient pas des esclaves pour autant. Les “libres” n’étaient pas tous des gens de couleur – ceux-ci étaient pour la plupart des enfants illégitimes issus d’unions illicites entres maîtres et esclaves - car cette catégorie de citoyens dits libres comprenait également toute une catégorie de non blancs telles les Indiens libres venus des comptoirs et provinces françaises des Indes : Pondichéry, Karikal et Bengale, entre autres.
Dans un premier temps, c’est à la demande de leurs maîtres qu’ils purent accéder au statut de libres. On pouvait également dénombrer parmi les libres des gens appartenant à une multitude de races et d’ethnies comprenant les Chinois, les mulâtres, les métis et naturellement les esclaves originaires de Madagascar et du Mozambique, dont les maîtres avaient racheté la liberté pour mieux gérer leurs entreprises. Le port d’armes était interdit aux esclaves.
Mais les libres ne jouissaient pas nécessairement de tous les droits conférés à la population blanche. Bien qu’ils eussent le droit à la propriété et possédaient des esclaves, ils ne pouvaient contracter des mariages avec la population blanche et ne pouvaient acquérir des concessions au même titre que la population blanche mais avaient droit à de petits lopins de terre.
Registres paroissiaux différents
De plus, ils ne pouvaient combattre aux côtés des blancs dans l’armée. Ceci étant, aucun homme de couleur ne put prêter main-forte à l’armée française lors de l’invasion de l’île par les Britanniques en 1810 avec les résultats que l’on sait. A l’église, en tant que chrétiens, ils étaient répertoriés sur des registres paroissiaux séparés. Au cimetière également ils étaient enterrés à des endroits séparés.
Malgré leur nombre, leur niveau d’éducation et leur savoir-faire, les libres furent exclus de toutes les sphères d’activité et même durant la première partie de l’occupation britannique. La Constitution de 1831, qui accéda à une requête des colons pour siéger au Conseil du gouvernement, ne fit aucune provision pour que l’homme de couleur soit nommé à ce Conseil.
Comme bon nombre de “libres” étaient souvent de petits propriétaires terriens, lors des discussions sur les problèmes qui découleraient de l’abolition de l’esclavage, ils firent cause commune avec la population blanche et s’opposèrent à une éventuelle abolition sans compensation. Il fut même question que Charles Nayna fasse partie de la délégation qui alla discuter les termes de la compensation avec pour chef de file, Adrien D’Epinay.
Combat pour la représentativité
En 1829, les libres cessèrent d’être recensés sur des registres séparés par rapport aux blancs selon l’ordonnance 57 de 1829. Quant à la population d’esclaves libérés le 1er février 1835, elle fut répertoriée séparément sous la dénomination d’apprentis. Il faut attendre le recensement de 1846 pour voir blancs, hommes de couleur, anciens esclaves et Chinois être répertoriés sous la même appellation de “population générale”, sans doute pour faire la distinction avec les immigrants indiens venus sous “l’engagisme”.
D’ailleurs, dans beaucoup de rapports, la dénomination “population générale” est scindée en whites, white creoles, coloured creoles et black creoles ou ex-apprentices. La population chinoise fut répertoriée séparément à partir de 1860.
Le combat de la population de couleur pour une meilleure reconnaissance devait reprendre avec Rémy Ollier mais il faut attendre la réforme de Pope Hennessy du 16 septembre 1885 quand les premières élections eurent lieu sous le régime censitaire pour que cette catégorie de Mauriciens ait son mot à dire dans les affaires du pays.
Le combat des gens de couleur pour une plus grande représentativité fut poursuivi par d’autres tribuns dont Onésipho Beaugeard, Eugène Laurent, Maurice Curé, Guy Rozemont, Guy Forget voire Gaëtan Duval, mais cela est une autre histoire !