COMMEMORATION
Le Président participait hier à la première commémoration nationale de
l'abolition.
Esclavage : Chirac joue la carte de la «cohésion nationale» (liberation.fr)
par Didier ARNAUD et Stéphanie BINET
QUOTIDIEN : jeudi 11 mai 2006
Devant les grilles du jardin du Luxembourg, la foule est soigneusement triée.
Plusieurs centaines de personnes attendent. Des sportifs ­ Lilian Thuram,
Marie-José Pérec ­, le rappeur Stomy Bugsy, des représentants
d'associations... Un vieil homme s'énerve : «J'ai mon arbre généalogique avec
moi, je ne peux pas entrer. L'exclusion continue.» Des policiers en nombre et en
civil. Briefing : «Arrivée du "PR" (président de la République) à 11 h 45. Les
perturbateurs, on les évacue par là.» Il n'y en aura pas. Le PR arrive, au côté
de Léa de Saint-Julien, l'artiste qui a conçu, pour la circonstance, une
installation de bambous et de portraits (la Forêt des mânes). Le comédien
Jacques Martial dit un texte d'Aimé Césaire où il est question des «pulsations
de la négrité».
Larmes. Dans son discours, Chirac parle de «trafic odieux», d'«échos que
cette tragédie a encore. Elle a donné corps aux thèses racistes». Au même
moment, Brigitte Girardin, ministre déléguée à la Coopération, en déplacement à
l'île de Gorée, enfonce le clou : «Oui, la France a bel et bien profité, à
l'instar d'autres pays européens, du commerce d'êtres humains.» Plus loin,
Chirac : «Les discriminations font perdre la foi républicaine à ceux qui en sont
victimes. Elles sont la négation de tout ce que nous sommes.» Enfin, il conclut
: «Regarder tout notre passé en face est une des clefs de notre cohésion
nationale.» Une dame dit tout haut : «Qu'est-ce que je suis contente, j'ai même
apporté une photo du grand-père dans mon sac.» Un vieil homme, les larmes aux
yeux, tout bas : «J'aurais jamais cru ça possible de mon vivant.» Puis le
Président prend son bain de foule. Plus tôt, un homme confiait à une journaliste
: «Cet anniversaire, c'est un petit geste mais cela aurait
pu être mieux. Les Français ne sont pas encore prêts. Votre petit-fils,
peut-être, le sera...»
Place de la Nation, fin de journée. Un rassemblement populaire ­ organisé
notamment par les travailleurs africains de France ­ se tient sous une
banderole unique : «1454-2006, 551 ans de razzia, de pillage, de déportation, de
génocide pour les Africains et descendants d'Africains». Poèmes et contes
rappelant les moments les plus durs de l'esclavage sont lus dans le calme et la
dignité. Claudy Siar, présentateur de l'Eurovision, rappelle qu'il n'est pas
question de faire la fête, mais de célébrer un anniversaire et un message que le
Président a exposé clairement : «On a un passé en commun.»
«Faire la lumière». Ce passé commun, le collectif Devoirs de mémoires, mené
par le rappeur Joey Starr et le leader de la LCR, Olivier Besancenot, l'a visité
à sa manière mardi vers 23 heures, devant l'Assemblée nationale. «Le 10 mai,
c'est une journée de réflexion, de recueillement, de commémoration, pas
d'action. C'est pour ça qu'on a voulu faire un acte symbolique la veille.» En
recouvrant la statue de Colbert d'un drap noir, ils ont voulu «attirer
l'attention sur le ministre de Louis XIV qui siège devant la maison du peuple de
France. Colbert était un grand homme mais c'est lui qui a rédigé le Code noir.
On est prêts à assumer les bons et les mauvais côtés de l'histoire de France,
mais aussi à faire la lumière sur ce qui a été occulté. On voulait que Colbert
ne puisse pas voir Paris.»
Le drap restera en place pour la photo. Jean-Louis Debré est sorti voir ce qui
se passait, rompant sa pause lors des débats sur le projet de loi concernant
«l'immigration choisie». Le président de l'Assemblée ne portera pas plainte. Le
collectif en sera quitte pour une main courante.