Les multinationales agroalimentaires : grandes absentes des négociations de l'OMC
Qui est donc le plus grand bénéficiaire de la Politique agricole commune (PAC) ? Un céréalier français, la reine d'Angleterre, gentleman farmer à ses heures, ou bien un betteravier allemand ? Aucun de ces trois symboles de l'agriculture productiviste volontiers dénoncés par les organisations non gouvernementales, car ce n'est pas un producteur qui tire le plus grand profit du système, mais une entreprise : selon un quotidien anglais la société sucrière britannique Tate and Lyle a empoché 336 millions d'euros dans la période 2003 - 2004. Dans cette enquête sur les multinationales émargeant à Bruxelles sont également citées Kraft, Nestlé ou encore le négociant en sucre Czarnikow.
Un palmarès qui met en lumière une réalité souvent occultée du débat sur la libéralisation des marchés agricoles : en favorisant les exportations européennes les aides publiques font surtout le lit des grands groupes de l'agroalimentaire. Une situation valable également pour les Etats-Unis où il est, par exemple, aussi lucratif de stocker du coton dans un port, activité contrôlée par les grands négociants qui donne droit à une aide publique, que de le faire pousser.
Absentes du débat qui fait rage entre agricultures des pays riches et des pays pauvres, les multinationales sont pourtant la clé de voûte des marchés agricoles : comme elles se retrouvent en situation d'oligopole sur des marchés où l'offre est pléthorique, elles sont capables d'influencer la formation des prix. La majeure partie du commerce du café est contrôlé par une poignée d'entres elles.
Pour le coton une dizaine de groupes se partagent la majorité des échanges. Idem pour les céréales où le taux de concentration du négoce en Europe comme aux Etats-Unis est encore beaucoup plus élevé. Michel Prugnaud, qui travaille pour l'un des premiers opérateurs céréaliers en mer Noire n'y va pas par quatre chemins : «Bruxelles fait des règlements favorables aux majors», et d'épingler un appel d'offres pour du blé dur lancé cet automne par la Commission : il était assorti d'une caution que seules des grandes compagnies avaient les moyens financiers de supporter, éliminant ainsi tous les autres importateurs y compris ceux dont l'offre eût été plus compétitive. D'après Michel Fok, chercheur au Cirad, le gain en prix escompté avec la suppression des subventions discutée en ce moment à Hong Kong ne profitera donc pas tant aux pays exportateurs mais bien à ces groupes puissants capables de digérer très rapidement la soi-disant libéralisation des échanges.
Dominique Baillard