Les "racailles de France" affichent leur colère
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-719455,0.html
LE MONDE | 09.12.05 | 14h55 • Mis à jour le 09.12.05 | 15h30
e loin, cela pourrait s'apparenter à une plaisanterie. Ce n'en est
pas une. Depuis le début de la semaine, des "plaques commémoratives"
inédites fleurissent sur les murs de Paris. Le contenu n'est pas
anodin. Les auteurs sont culottés. Florilège : "A la mémoire des
grands-parents de la racaille venus défendre la France chaque fois
qu'elle était en guerre. (...) En avril 1917, ils étaient 170 000 à
se battre aux côtés des Français. Leurs enfants et petits-enfants
méritent la patrie." Ou encore : "Hommage aux centaines de milliers
d'immigrants venus construire et reconstruire une France qui
maintient depuis toujours leurs enfants et petits-enfants au ban de
sa société. A quand une loi sur le rôle positif de l'immigration ?"
Au total, dix messages différents, signés : "Les racailles de
France".
Lundi 5 décembre, à 17 h 31, "Les racailles de France" annoncent
dans un communiqué de presse solennel qu'ils viennent de
déposer "300 plaques commémoratives dans Paris en l'honneur de leurs
parents et de leurs grands-parents, qui ont tout donné pour une
France qui n'a aucune considération ou presque pour leurs petits-
enfants". Le Monde a pu rencontrer quatre membres du noyau dur de
ce "groupuscule". Ils souhaitent garder l'anonymat.
Agée de 23 ans, en maîtrise de psychologie, cheveux longs bouclés,
sourire aussi immuable que sa "rage contre la France de Sarko",
Nadia est "le cerveau" des "racailles de France". "Il y a 11 filles
sur les 16 membres du groupe", dit-elle fièrement. "On a tendance à
croire que les filles subissent trop de choses dans les cités. Mais
nous sommes solidaires des garçons qui ont mené une lutte dans les
banlieues", explique Samantha, 23 ans, technicienne de
laboratoire. "Nous sommes une bande de potes du 92, 93, 94, tous
issus de pays colonisés", explique Nadia avant d'égrener les
origines des garçons, "basanés, Noirs, Vietnamiens". Les filles ont
toutes le même profil : bac + 3 minimum, des parents algériens
ouvriers et un "ras-la-casquette Lacoste" de la discrimination. "En
1968, on n'a pas mis les jeunes en prison car ils étaient les
enfants de la bourgeoisie. Nous oui, car nous sommes les enfants de
personne", assure la responsable du groupe.
Medhi, 29 ans, l'un des cinq garçons du groupe, le plus révolté,
travaillant dans l'événementiel, un diamant à l'oreille gauche,
enchaîne : "On va acheter une flûte à Chirac. Je n'oublierai jamais
ses mots : "le bruit et l'odeur". Il peut toujours déclarer après
que nous sommes les enfants de la République."
Samantha, plus timide, affirme : "Nous voulons continuer la lutte
mais d'une manière plus constructive et intelligente. Après le feu,
les mots, avec humour, mais un humour désespéré." Medhi acquiesce et
atteste : "Généralement quand les jeunes se regroupent, c'est pour
vendre du shit, braquer ou voler. Nous, notre démarche est
pédagogique." "La France nous méprise. Quand elle avait besoin de
nous pour se défendre contre l'Allemagne, nous faisions partie de la
solution. Quelques générations plus tard, nous sommes le problème",
enrage Nadia. Elle poursuit : "Ce rappel historique de la France
coloniale est important. Dire que des milliers d'Africains sont
morts pour la France et qu'aujourd'hui elle ghettoïse ses enfants :
c'est honteux ! L'immigration, ce n'est pas un Yo-Yo !"
Dans la nuit du 4 au 5 décembre donc, de 23 heures à 5 heures du
matin, les 16 "racailles de France", embarquées dans huit voitures,
carte de Paris en poche, armés de rouleaux de ruban adhésif double
face payés 50 euros, ont placardé "stratégiquement" leurs "plaques
commémoratives" de papier imprimées en format A3, notamment sur les
murs de l'AFP, du Figaro, de Libération, du Monde, de l'UMP, sur des
Abribus et dans le métro à Nation, Bastille, République...
"Faut pas oublier que c'est l'état d'urgence. On a eu peur de se
faire arrêter surtout devant l'UMP. On s'était préparés à aller en
garde à vue", confesse Nadia mais, "c'était important de montrer le
contraste entre les héros et la racaille".
Mustapha Kessous
Article paru dans l'édition du 10.12.05