Vous qualifiez votre passage (de 20 ans) à l'Unesco de perte inutile
de temps. Comment cela se fait-il ?
Je préfère ne plus en parler.
J'insiste.
Dans ce cas, je vous renvoie au bel ouvrage qu'est L'Afrique des
profondeurs. Mélanges offerts à Olympe Bhêly-Quenum à l'occasion du
40ème anniversaire d'Un piège sans fin. C'est le travail d'une
importante brochette internationale de chercheurs et
d'universitaires ; j'ai eu l'occasion d'y expliquer dans une
interview pourquoi l'Unesco est exclue de mon CV. J'ai même cité des
noms.
Est-ce que les intellectuels noirs ne souffrent pas de
schizophrénie ? Au moment où on voudrait vous entendre sur les
incendies de logements insalubres abritant les Noirs, les expulsions…
vous animez un dîner-débat sur le vodou !
Depuis mon petit village, en Languedoc, à 850 km de Paris, je manque
rarement une occasion valable pour intervenir dans des problèmes
politiques ou sociaux concernant les Noirs en France. Quels
journaux, africains ou franco-africains, relaient mes textes parfois
reproduits au Bénin, voire ailleurs en Afrique ? Un exemple ? Quand
Nicolas Sarkozy a déclaré, puis réitéré dans les médias qu'il y a
plus de médecins béninois en France qu'au Bénin, j'ai envoyé à des
journaux que je lisais, voire ceux dont j'étais un abonné depuis des
lustres, un texte dans lequel j'expliquais au ministre de
l'Intérieur que les médecins en question sont Français ; leurs
grands-pères, pères ou oncles avaient participé, ès qualité
de "Soldats sénégalais", à des guerres qui n'étaient pas celles des
Nègres. Je ne crois pas que le pays d'origine de la famille Sarkozy
aussi fut une colonie française dont les hommes auraient été
zigouillés dans ces guerres-là. Avez-vous lu mes propos dans un
journal de France ? Vous imaginez les 2 ou 3 Nègres que nous sommes
dans deux villages manifester dans la rue au sujet des "incendies de
logements insalubres abritant les Noirs, les expulsions" ? Quant au
dîner-débat, il était prévu depuis l'année dernière. C'est le
propriétaire d'un excellent restaurant africain, en l'occurrence "Le
Sodabi", enseigne bien de mon pays natal, qui m'avait invité à faire
un exposé sur le Vodou. Une trentaine d'années durant, j'avais
effectué des recherches en sociologie et en anthropologie culturelle
avant d'en présenter le résultat à la Sorbonne ; ç'aurait été
incongru de refuser de parler d'un tel sujet. Ce qui ne m'empêche
pas d'être solidaire de tous les Noirs menacés dans leur vie en
France. En 1958, muté de Normandie en région parisienne, j'ai dû
vivre huit mois entiers sans logement parce que je suis nègre ; né
français, professeur de Lettres en France, époux d'une Normande
droit du sol droit du sang, restée là-bas parce qu'elle attendait
notre troisième enfant, je dormais sur un matelas, à même le sol,
chez mon oncle, alors Sénateur, père de cinq enfants. Ni place ni
lit pour une autre personne, mais il y avait un matelas et je m'en
contentais. Il m'a fallu écrire au ministre de l'Education
nationale, M. Fouchet, en menaçant de quitter mon poste de prof de
Lettres classiques pour qu'on m'attribue un logement. Vous voyez
l'évolution des choses depuis 1958 ? Dans C'était à Tigony, je pose,
entre autres, la question de savoir pourquoi, en France, quantités
d'Africains sont-ils parqués dans des ghettos, des taudis dangereux
pour leur vie, alors qu'en Afrique, mêmes des Blancs hors-la-loi
règnent en maîtres. Dans ce roman, un Africain, haut gradé de la
police, qui avait travaillé en France avant de réintégrer le
bercail, fait observer que s'il fallait traquer tous les Blancs sans
papiers, il n'y aurait pas assez de charter pour les rapatrier. Vous
faites bien de vous interroger sur l'attitude des intellectuels. Un
proverbe fon dit à juste titre :"L'unanimité d'un pays ne rit pas à
l'unisson, il y a toujours quelqu'un qu'un deuil écrase." Agressez
les intellectuels, agressez-nous : il y a des compradores qu'il faut
faire sortir du bois. Il faudrait en France un mouvement bien
structuré qui ne laisse aucun répit aux intellectuels africains.
Propos recueillis à Paris par Gnim Atakpama
(1) Africains, si vous parliez, de Mongo Beti, éd Omnisphères, 2005.
(2) Murekatete. Monique Ilboudo, éd (à Bamako), Le figuier, (à
Lille), Fest'Africa, 2000.
Biographie et bibliographie : www.obhelyquenum.com
Source :
http://www.lesamisdugrigri.com/journal/no44/olympe.html