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 Olympe Bhêly-Quenum : "Agressez les intellectuels afric

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mihou
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mihou


Nombre de messages : 8092
Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 28/05/2005

Olympe Bhêly-Quenum : "Agressez les intellectuels afric Empty
04122005
MessageOlympe Bhêly-Quenum : "Agressez les intellectuels afric

LES GRANDS ENTRETIENS DU GRI-GRI INTERNATIONAL

Olympe Bhêly-Quenum : "Agressez les intellectuels africains."

Quelque part entre David Diop, Mongo Beti et Cheikh Hamidou Kane,
Olympe Bhêly-Quenum appartient d'ores et déjà au patrimoine
littéraire africain. Comme les héros de ses romans, il est frustré,
révolté et insoumis. Encore. Toujours ! Le Gri-Gri a tenté
d'envoûter cet icône de la littérature négro-africaine. Il n'a pas
été déçu !


Je vous offre Africains si vous parliez, qui regroupe quelques
textes de combat du regretté romancier et essayiste Mongo Beti.
Comme lui, vous semblez prêcher dans le désert du village
françafricain…

Intellectuels africains, écrivains et francophones, créateurs de nos
œuvres en utilisant la langue française, nous contribuons autant à
l'ancrage qu'à l'expansion du français dans nos pays au détriment de
nos langues africaines, hélas sans lecteurs. Sans lecteurs parce que
l'oppression coloniale a empêché les Africains francophones
d'apprendre, par le truchement de l'enseignement, la maîtrise d'au
moins une de leurs langues maternelles. Ce qui, sur un autre plan,
est inique et déplorable, c'est l'ostracisme dont sont victimes dans
les médias, de la part des coteries qui les régentent, les œuvres
des écrivains africains francophones. Ainsi, nous n'existons ni à la
télévision, ni dans les journaux, même si nous en sommes des
abonnés. La rentrée littéraire se fait sans nous. Bernard Pivot
n'invitait pas de Nègres. Guillaume Durand non plus.


Vous n'exagérez pas un petit peu ?

Soyons juste : la seule fois que Monsieur Pivot avait invité Mongo
Beti, l'entretien a tourné court parce que l'excellent écrivain
camerounais a eu le malheur de déclarer, d'entrée, qu'il n'avait
jamais été invité à cette émission. Des années plus tard, ce fut
l'écrivain Henri Lopès, congolais, ambassadeur, ancien Premier
ministre, ancien haut fonctionnaire à l'Unesco, qui se verra offrir,
selon son propre terme, un "strapontin" dans cette émission. À la
tribune lors d'une semaine du Livre à Toulon, j'ai rouvert la
marmite de calalou de notre ostracisme ; Yves Berger (que Dieu ait
son âme), alors Directeur littéraire chez Grasset, a réagi en citant
les écrivains africains francophones ayant obtenu, qui le prix de
l'Académie française, qui, le Renaudot, qui celui de la
Francophonie, et de conclure : "Je peux confirmer, cher ami Olympe,
que les médias de France n'avaient pas manqué de s'en faire l'écho."
J'ai posé la question à laquelle il n'a pu répondre, mais qui fait
rire : "Mais enfin, Yves, les trois hirondelles que tu viens de
lâcher feraient-elles le printemps ? Ce n'est pas parce que trois
Nègres auront obtenu des prix que le problème sera résolu." Il m'a
dit plus tard que j'étais "dur, même cruel !", et j'ai livré un
autre constat : "Quand certains critiques s'avisent de présenter
l'ouvrage d'un auteur africain, c'est une vraie catastrophe parce
que, très souvent, c'est le recyclage de vieux dossiers de presse."



À un jeune écrivain, Mongo Béti disait :"Attends-toi à être toujours
le jeune écrivain africain quelque soit ton âge."

Bien sûr. Ce que veulent les gens, c'est trouver le nègre de service
dont on dira qu'il est le Voltaire, le Rabelais ou le Céline de
l'Afrique. Pour eux, nous ne pouvons pas exister par nous-même. Mon
père m'avait dit un jour ceci que j'ai fait répéter par le
personnage de Kouglo qui déclare à Irène : "La reconnaissance des
fondements de l'acculturation chez un Africain, ça permet, à un
Français de souche, de retrouver, en la personne d'un tel Africain,
un pur produit de la civilisation des Blancs." Traiter un Africain
couronné de Voltaire, Rabelais ou Céline de l'Afrique fait le
bonheur de certains écrivains qui brossent bien l'événementiel. Tant
mieux pour eux, mais je préfère rester moi-même.



Vous êtes un écrivain prolifique. Tous les jeunes africains
connaissent votre nom mais très peu peuvent parler de votre œuvre.
C'est bizarre, non ?

Je ne me plains pas : Un piège sans fin est sur le terrain depuis 46
ans. Des extraits en existent dans des manuels scolaires, même en
France. Peu d'Africains aujourd'hui quinquagénaires ignorent ce
roman qualifié de "tragédie grecque en Afrique noire" par le
regretté Wilfried F. Feuser. L'Initié fait aussi son chemin. Il a
été réédité en 2000. Si en Afrique "très peu de jeunes peuvent
parler de mes œuvres", c'est parce que le prix du livre décourage.
Quel parent paysan a les moyens de dépenser 15 à 23 € pour acheter
un seul livre à son enfant ? Au-delà de cela, il y a réel problème
de diffusion. Tenez, "invité de marque" du président Abdou Diouf,
Secrétaire général de l'OIF au Xème Sommet de la Francophonie à
Ouagadougou, nous promenant dans la rue, ma femme et moi sommes
entrés dans une sorte de Bibliobus. En regardant les litres des
ouvrages sur les rayonnages, nous avons constaté qu'il n'y avait pas
celui d'un seul auteur africain, pas même Murekatete (2) de Monique
Ilboudo sur le Rwanda, tellement bien écrit, d'une vigueur et d'une
facture tragique telles que je lui aurais volontiers consacré un
article, si, comme dans les années 50-65, la presse de l'Hexagone
acceptait mes articles.
Mme Ilboudo est ministre. En France, on aurait longuement jacté sur
un ouvrage, même médiocre, consacré à un tel sujet par un homme
politique sans talent. Monique Ilboudo avait prouvé les siens dans
son roman Le mal de peau que j'ai beaucoup aimé.



Qu'avez-vous vu dans le fameux Bibliobus ?

Majoritairement, des ouvrages d'auteurs français bon teint, des
livres de cuisine, des traductions - américain, anglais, allemand et
russe. Un tel constat dans le pays hôte d'un Sommet de Francophonie
s'apparente à un symptôme. Un autre fait : l'année dernière, un
thésard de la RDC qui consacre son travail à je ne sais plus quels
aspects de mes œuvres m'a envoyé un email pour m'informer qu'il
n'avait pu trouver aucun de mes livres au Centre culturel de
Kinshasa ; d'où des commandes par Internet. C'est dire jusqu'où va
le processus des exclusions ! On nous chasse même de chez nous.
Aussi longtemps que nous dépendrons de l'ancienne "Mère-Patrie",
rien dans ce domaine ne marchera. Il y aura toujours des lobbyistes
pour noyauter le terrain et qu'on ne se méprenne pas : en font
partie des Africains qui, comme l'a écrit John Milton, "pour l'amour
de leurs ventres, se faufilent, rampent et grimpent dans le
troupeau."


Il existe bien des solutions pour renverser la tendance, non ?

D'abord les maisons d'éditions "africaines" devraient…doivent penser
à s'organiser et se doter de comités de lecture dignes de ce nom,
afin de ne pas passer à côté de bons manuscrits. En 1959, les
éditions Stock ont accepté le manuscrit de Un piège sans fin, refusé
par Présence Africaine. La première édition épuisée, les éditions
Stock n'ont pas voulu rééditer ce roman, sous prétexte qu'il
était "violemment anti-colonialiste", appréciation qui figure dans
le Larousse, en trois volumes. Aurais-je dû faire des concessions au
colonialisme ? Homme à ne jamais renier ses écrits, j'assume
pleinement ce jugement. Alioune Diop (fondateur de présence
africaine, ndlr) que je connaissais m'a contacté pour me dire :"On a
fait une erreur stratégique sur ton œuvre. Donne-le moi." Par
amitié, voire par tendresse, j'ai accepté. Aujourd'hui, à Présence
Africaine, Un piège sans fin en est peut-être à sa 6ème ou 7ème
réédition. Traduit en anglais, et en slovène, il était inscrit à
l'Institut Gorki, à Moscou. Le chant du lac est mon second roman
publié par Présence Africaine. Paru en 1965, l'ouvrage a été
couronné en 1966 par le Grand prix littéraire de l'Afrique noire.
Drisse Chraïbi (écrivain maghrébin) l'a adapté pour France Culture
où il a été joué par les célébrités négro-africaines tels que Douta
Seck, Bachir Touré, Toto Bisinthe, etc. Le Chant du lac est traduit
en russe, en tchèque aussi, ce qui m'a valu d'être invité à Moscou
et à Prague. Il faut ensuite en finir avec le petit artisanat, les
prétextes de manque de moyens financiers qui font étouffer de bons
manuscrits, ou la réédition de bons ouvrages épuisés sans cesse
demandés par les lecteurs. Je sais qu'il y a chez certains éditeurs
des préférences qui font laisser en carafe la publication de l'œuvre
d'un auteur africain, même très connu.



C'est votre cas ? Qu'avez-vous fait ?

Dans ce genre de situation, je tranche vite et je romps le contrat
afférent au manuscrit. Je vais ailleurs, ou j'autoédite quand j'en
ai les moyens. Quand, aux éditions Plon, Monsieur Orango, je crois,
avait manifesté son désir de publier Les Appels du Vodou avec, pour
des raisons que j'ignore, la préface d'"un spécialiste des problèmes
des cultes en Afrique", j'ai refusé, bien que, sincèrement, il m'eût
été aussi agréable qu'utile d'être édité chez Plon. Hélas, c'est
L'Harmattan qui a publié ce roman en le truffant de coquilles, de
fautes d'orthographe, et de syntaxe, allant jusqu'à écorcher huit
fois le nom de ma mère. J'ai rompu le contrat après une lutte très
serrée contre le Directeur.



Pour en revenir aux solutions…

Il appartient aux décideurs politiques en Afrique de créer des
structures de distributions et des centres culturels africains. Il y
a des centres culturels français, américains ou allemands un peu
partout sur le continent africain. C'est très gentil. Mais puisque
nous sommes francophones en Afrique francophone, pourquoi nos livres
d'écrivains d'Africains francophones n'existent-ils pas dans les
Centres culturels français, afin que les Africains sur le terrain
puissent avoir accès à nos créations littéraires essentiellement
campées sur le sol africain ? Créer, parallèlement au Centre
culturel français, un Centre culturel africain dans un de nos pays
serait-il la violation du "pré carré" ? D'avoir soulevé une telle
idée dans C'était à Tigony m'a valu des quolibets : "Les
élucubrations d'un aristocrate… (…) Rêves d'un vieux gauchiste, fils
de famille…" Enfin, il faudrait que tous les quinze jours au moins,
les critiques africains s'expriment sur les livres publiés par les
auteurs africains.



Dans L'Initié, vous peigniez une Afrique fruste où l'apport des
Blancs est bénéfique. Alors que dans votre dernier roman, C'était à
Tigony, vous invitez le continent noir à se méfier des pays du Nord.
Avez-vous perdu vos illusions ?

Pas du tout ! Il faudrait bien relire L'Initié, publié en 1979,
réédité en 2003 sans que j'y aie modifié un iota des faits et des
idées qui figuraient dans le manuscrit de ce roman écrit aussitôt
après la parution, en 1960, de Un piège sans fin, mon premier roman
publié, le vrai premier étant Années du bac de Kouglo. Si certains
chapitres d'Un piège sans fin dénonçaient le colonialisme, en
revanche, L'Initié incitait les Africains à ouvrir les yeux sur nos
problèmes et peint le portrait en pied d'une époque. Le docteur
Tingo est l'alter ego du vendeur de journaux de C'était à Tigony
dont 45 exemplaires ont été envoyés à la presse française qui n'en a
soufflé mot. Serait-ce parce que je pose une question simple mais
fondamentale :"Dans quelle mesure les Africains qui ont les moyens
pourraient-ils investir dans leurs pays ?" Il faudrait bien lire ce
roman contestataire, voire subversif où quatre millions de personnes
sont descendues dans la rue. Le chef de l'Etat fut contraint d'aller
à Canossa. Ce roman était en avance de six mois sur la Côte
d'Ivoire. Ceux qui voulaient m'enfermer dans le Vodou ont été
surpris mais les lecteurs perspicaces de mes autres romans et
nouvelles savaient que je suis un écrivain politique. Je n'ai pas
changé d'optique et vous en seriez convaincu si vous lisiez bien As-
tu vu Kokolie ? Je suis de mon époque, mais fondamentalement, je
n'ai pas changé : bien que produit d'une aristocratie je n'aime pas
l'ordre établi. Je suis militant de gauche ; mon premier bulletin de
vote en 1949 était pour Mendès-France.
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