Les défis des intellectuels africains de la diaspora
Etienne de Tayo est journaliste, promoteur du réseau des journaliste pour l'intégration en Afrique "Afrique Intègre".
Par Etienne de Tayo
"L'esclavage est en train de devenir un thème extrêmement fédérateur dans lequel les noirs de France se reconnaissent..." soutient le Magazine "Le Monde 2" dans une grande enquête joliment intitulée "La question noire posée à la France".
En effet, vu de Paris et plus que jamais, le processus de "dépollution mentale" de la race noire en générale et des peuples africains en particulier est engagé. Décidés à faire triompher le devoir de mémoires, les intellectuels, les membres de la société civile et de tous les autres corps de métier dans la diaspora semblent désormais tenir le bon bout. Sous la conduite des intellectuels de renom tels Théophile Obenga, Achille Mbembé, Elikia Mbokolo, Fatou Sow ou Henri Hogbe Nlend - lancés sur la trace de l'Egyptologue Cheick Anta Diop et du Révérend Père Angelbert Mveng, tous deux de regrettées mémoires - un travail de glorification du passé de l'Afrique est en train d'être fait. L'Afrique perçue ici comme, non seulement le berceau de l'humanité mais terre d'émergence de plusieurs inventions qui ont changé le cours de l'humanité et qui semblent aujourd'hui vouloir laisser l'Afrique du 21e siècle sur le bord du chemin et la réduire à la mendicité. La société civile de la diaspora africaine est tenue par une multitude d'associations dont le collectif Devoirs de Mémoires de Jean Claude Tchicaya ou le Collectif Egalité et Combat de l'écrivaine camerounaise Calixte Beyala. A coté de tout ce monde, l'électron libre, le franco-camerounais Dieudonné contribue, à sa manière, à l'animation et parfois à l'envenimement du débat.
Ce travail de mémoire est relayé aussi bien par l'édition (Menaibuc, Duboiris, Desnel) que tous les autres moyens qu'offrent les nouvelles technologies de l'information et de la communication. On peut citer les blog : Dignité de l'Afrique, Panafricanisons, Africa... les sites Internet : Menaibuc.com, africamaat.com, afriblog.com, Africultures.com, Africagora.com, Afrology.com... La production de la pensée panafricaine est une réalité. Elle est riche et foisonnante.
Cette production intellectuelle se trouve aux antipodes de ce qui se fait aujourd'hui sur le continent africain. Là-bas, les intellectuels qui n'ont pas pu se mettre à l'abri en choisissant l'exil – après l'affrontement avec les pouvoirs au cours des années 90 – et qui ont voulu le rester ont tout simplement été broyés par la médiocratie ambiante. Les plus malins se sont dédoublés pour s'aligner dans la politique du ventre et du bas ventre, mais auparavant, ils auraient subi une castration intellectuelle avant d'être jetés dans l'arène politique des systèmes où, parce qu'ils n'avaient jamais été préparés à ce jeu là se font broyer à grosse pelletée ou se font tuer à petit feu. Mais il reste qu'il faut tirer un coup de chapeau à un groupe de téméraires qui bien que démunis et très souvent harcelés continuent d'affronter les systèmes qui les oppriment. On peut citer pour ce qui est du Cameroun : Abel Eyinga, Sindjoun Pokam, Fabien Kangue Ewane, Fabien Eboussi Boulaga, Shanda Tomne; pour le Sénégal: Malick Ndiaye et Latif Coulibaly; pour le Gabon: Guy Rossatanga Rignault et Luc Ngowet; Pour le Burkina Faso: Joseph Ki Zerbo. Pour le Congo-Brazzaville: Dieudonné Tsokini…
Il ressort de ce panorama de la production intellectuelle africaine et afro-caribéenne que cinq siècles d'esclavage, de colonisation et 20 ans de plan d'ajustement structurel ont ruiné les nations africaines au point de les réduire à la mendicité internationale et ont ramené l'homme noir au rang de sous-homme.
Ce destin de l'Afrique est factice. Les Etats africains sont maintenus dans un état de précarité par ceux qui ne veulent pas voir démentis les écrits historiques qui font croire que l'Afrique est un continent merveilleux mais habité de grands enfants et que pour cela, sa charge sera à jamais supportée par les autres.
"Le fardeau de l'homme blanc"
Ce qui est intéressant de faire remarquer c'est que les intellectuels occidentaux avaient accompagné systématiquement la "mission civilisatrice" de l'homme blanc en direction des peuples indigènes d'Afrique – en réalité un processus de déshumanisation du noir successivement conduit par l'explorateur et le colonisateur et parfois appuyé par certains princes d'église. Cette mission avait au moins deux objectifs bien précis:
Polluer mentalement le noir en lui faisant comprendre qu'il n'a pas d'histoire ni de culture et que son histoire commence avec les explorations. Dans ce travail de lavage de cerveaux on retrouvait en première ligne des philosophes, des sociologues/ethnologues, des anthropologues. Le père Tempels par exemple avait affirmé que le noir avait une "mentalité prélogique", une façon polie de dire qu'il n'a pas l'intelligence. Cette sale besogne, qui a culminé avec la rédaction du "code noir" – un chef d'œuvre de la chosification du noir - a contribué à construire pendant cinq siècles dans le mental du peuple noir, ce qu'on a appelé plus tard "le complexe du nègre" qu'il traine aujourd'hui tel un boulet et qui bloque chez lui toute tentative d'affranchissement. Certains intellectuels occidentaux que les nôtres magnifiaient pourtant, lorsque nous faisions nos classes terminales avec l'initiation à la fameuse "philo", n'ont pas hésité à mêler leur voix à ce concert de refus de la culture à l'Africain, tel Jean Paul Sartre qui écrivait: "Les écrivains africains doivent arrêter d'écrire pour créer des sociétés où la littérature est possible" disait-il. En clair, pour lui, la littérature comme la démocratie aujourd'hui est un luxe pour l'Afrique.
Reviser l'histoire à l'avantage de l'occident par la dissimulation, pour manipuler les populations occidentales et obtenir leur adhésion dans la conduite de la "mission civilisatrice". Les portes flambeau de cet autre travail étaient des historiens. Il faut d'ailleurs dire qu'on rencontre aujourd'hui des courants néo-révisionnistes qui sont très actifs. Beaucoup pensent qu'Olivier Pétré-Grenouilleau, en s'intéressant à d'autres trafics d'esclaves que celui du triangle Europe-Afrique-Amériques, tente de fondre la traite négrière dont se plaignent les populations noires dans un phénomène partagé et réduire ainsi sa portée. Un révisionnisme subtil qui bien qu'ayant été plusieurs fois primé en France n'a pas échappé aux veilleurs de la cause noire qui ont tenu à la dénoncer avec la dernière énergie.
Aujourd'hui, un autre front a été ouvert et vise à opposer les noirs descendants des esclaves et ceux d'origine africaine qui sont en fait une même famille qui avait été séparée par le drame qu'on connaît. Il consiste à dire aux premiers que les seconds, de par leurs ancêtres, sont responsables de la traite négrière. Un peu sous la forme de "si ce n'est toi, c'est donc ton frère... C'est donc quelqu'un des tiens", comme nous avait appris les fables de la fontaines. On leur fait comprendre que si les africains de l'époque ne l'avaient pas cautionné, le commerce des esclaves n'aurait jamais eu lieu. Les plus manipulateurs font comprendre que d'ailleurs, les roitelets d'Afrique de l'époque pratiquaient déjà le commerce des esclaves. Un silence assoudissant est par contre fait sur les tentatives de résistance des populations noires qui ont été stoppées net par la suprématie technologique des envahisseurs, particulièrement dans le domaine des armes à feu. C'est un peu comme si demain on racontait aux Irakiens que leur peuple n'avait pas résisté à l'envahisseur américain.