sur fraternité matin

NOS ENFANTS IRONT PISSER SUR LEURS MÉMOIRES MAUDITES

Éditorial
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Hissène Habré menacé. Charles Taylor sur des braises. Certains génocidaires du Rwanda jugés, d’autres toujours traqués. Les crimes qui rattrapent les uns et les autres remontent à moins d’un quart de siècle. Accélération de l’histoire du continent sans doute inattendue, inespérée même, mais qui n’est pas que symbolique. Les Africains veulent désormais lire et comprendre les pages qu’ils tournent. Les acteurs principaux de leur histoire doivent rendre compte. Si ce n’est pas aux peuples directement, ce sera à des tribunaux supra-nationaux. Début certes difficile, mais ne sont-ce pas là des signes annonciateurs de ce que les choses peuvent changer ? Peut-être même qu’elles ont déjà changé. Tribunal pénal international d’Arusha, Tribunal pénal international de Sierra Leone, tentative d’extradition vers la Belgique…
Un lien existe qui noue le Tchad d’Hissène Habré au Rwanda d’Habyarimana au Libéria de Charles Taylor : le pouvoir. Sa conquête, son exercice. Par la force, dans la douleur, le sang et les larmes. 40 000 cadavres dans la cagnotte personnelle d’Hissène Habré. Ça pèse et ça annonce des lendemains sombres qui contrastent violemment avec la petite calotte blanche éternellement vissée sur la tête, et assortie au grand et long boubou, lui aussi blanc. Couleur immaculée qui est de camouflage dans le cas d’Hissène Habré : le rouge lui conviendrait si bien.
800.000 morts ? 1.500.000 ? 1.800.000 ? Habyarimana aurait convoité le trôné du Furher, qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Parcours parfait de grand prédateur. Assurément un des dignes successeurs du petit moustachu de célèbre et triste mémoire.
Charles Taylor, disait-on, était en exil doré. Mais l’étau semble, sans relâche, se resserrer autour de lui. Une quinzaine d’années de guerre de rébellion et des centaines de milliers de cadavres qui ne viendront certainement pas à sons secours.
À la suite d’Habré et de Taylor, qui montera demain sur l’échafaud de l’histoire ? Si le Tribunal pénal international d’Arusha, en Tanzanie, est proche, celui de la Sierra Leone l’est davantage. Peu d’Ivoiriens semblent pourtant en avoir pris conscience. La nation toute entière, assourdie par le fracas de la guerre du pouvoir, dressée en factions belliqueuses et belligérantes les unes contre les autres, semble avoir perdu toute notion de l’essentiel : demain. L’impunité sanctuarisée, la loi et la justice sont mises à la retraite. Ni notre histoire immédiate et lointaine, ni celle des autres n’instruisent le pays. La culture du présent immédiat, qui s’est emparé du corps social, a aboli toute mise en perspective, toute projection dans le futur. Maintenant, et tout, tout de suite, ou rien ! Les extrêmes se sont développés sur ce fumier de l’impunité. Mais aucune impunité n’est jamais éternelle.
Habré et Taylor et des génocidaires rwandais. Une leçon : la mémoire est le rempart contre l’oubli. Et une arme contre l’impunité. Quelle est cette génération qui juge aujourd’hui Pinochet, ne le lâche guère d’une semelle et l’oblige, à son âge, à jouer les malades peut-être imaginaires ? Il n’est pas exclu que parmi ses plus farouches juges actuels figurent quelques enfants ou petits-enfants de ses nombreuses victimes qu’ils croyaient pourtant avoir réduites au silence, pour toujours. Les acteurs de l’histoire, qu’ils aient exercé le pouvoir d’Etat ou qu’ils n’aient été que des opposants, intermédiaires, acteurs périphériques, quand ils ont été commanditaires de crimes ou criminels eux-mêmes croient pouvoir fuir la justice, mais leur passé qui les suit, parfois les devance, et souvent les rattrape.
Nombre d’Ivoiriens, engagés dans la course au pouvoir ou dans l’érection de bastilles pour le conserver s’imaginent que jamais les actes qu’ils posent aujourd’hui ne peuvent les conduire à en répondre demain. Et pourtant, s’amoncellent déjà contre eux leurs propos, leurs engagements, les entreprises auxquelles ils s’associent, leurs petites et grandes magouilles, leurs mensonges…
Ils peuvent être assurés d’échapper aujourd’hui à la justice et aux lois qu’ils ont émasculés en pliant l’une et l’autre à leurs basses ambitions, leurs veuleries et leurs lâchetés. Mais ceux qui feront de vieux os le savent : leur passé les rattrapera. La génération des enfants et petits-enfants, celle des lycées et collèges, témoins engagés du présent, auront de la mémoire. Quand les passions se seront estompées, la fureur meurtrière apaisée, viendra le temps des comptes. Les plus jeunes des acteurs d’aujourd’hui seront sans doute encore dans la fleur de l’âge, et les plus âgés encore suffisamment lucides : les uns et les autres devront alors répondre de leurs actes. Ce devoir de mémoire est un devoir de vérité. Un devoir sacré. S’il est une seule entreprise à laquelle ce qui reste de lucide au-dedans de la nation et au-dehors d’elle devra entièrement se consacrer, c’est bien celle-là : apprendre à cette génération à ne pas oublier. Pour que le nécessaire pardon ne soit pas une lâcheté.

Auteur: ZIO Moussa