THURAM CONTRE SARKOSY
Sans-papiers
Sarkozy redoute la contre-attaque des sportifs
Les positions de Thuram ou Vieira creusent le fossé entre le ministre et la
France black-beur.
Par Antoine GUIRAL
QUOTIDIEN : Samedi 9 septembre 2006 - 06:00
Rien n'y fait. L'UMP a eu beau inviter Doc Gyneco le week-end dernier à son
université d'été, la fracture entre Nicolas Sarkozy et la France black-beur ne
cesse de s'accentuer. Même si les proches du ministre de l'Intérieur cherchent à
en minimiser la portée, l'invitation au match France-Italie, mercredi soir, des
immigrés expulsés du squat de Cachan par deux stars de l'équipe de France,
Lilian Thuram et Patrick Vieira, a été très mal vécue par le clan sarkozyste.
Prises de bec. Depuis son dérapage sur la «racaille» et sa stigmatisation de
La Courneuve à «passer au Kärcher», toutes les tentatives pour renouer le fil
ont été vaines. Ou jugées trop risquées. «Il ne peut plus mettre les pieds en
banlieue, sinon c'est l'émeute», se désole un haut dirigeant de l'UMP alors que,
au moment de son retour Place Beauvau, Nicolas Sarkozy avait prévu de s'y rendre
une fois par semaine. Membre du Haut Comité à l'intégration, Lilian Thuram a
déjà eu des prises de bec avec le patron de l'UMP. Lors des émeutes en banlieue,
le ministre de l'Intérieur avait même polémiqué avec le joueur de Barcelone en
raillant sa fortune et lui reprochant de ne pas avoir «mis les pieds en banlieue
depuis des années».
Le soutien de Patrick Vieira à son collègue de l'équipe de France est jugé en
privé «très inquiétant» par un député proche de Nicolas Sarkozy qui redoute une
«contagion» à d'autres sportifs tricolores. Autre figure emblématique de la
France multiraciale, l'ancien tennisman Yannick Noah ne perd pas une occasion de
dire tout le mal qu'il pense de la politique de Sarkozy, qu'il traite de «petit
Zorro». Le député sarkozyste Yves Jégo préfère croire que «l'opinion publique ne
se laisse pas impressionner» et juge Thuram et Vieira victimes de «l'empathie
médiatique» envers les mal-logés ou les sans-papiers. Il déplore que le message
envoyé par les deux tricolores puisse être interprété de la manière suivante :
squattez, ne respectez pas la loi et vous serez invités au Stade de France.
La garde rapprochée du ministre de l'Intérieur a pourtant flairé le danger.
Plus question d'envoyer Sarkozy répondre en première ligne. «On ne va pas
rentrer en débat avec des gens qui font des choix de citoyens et prennent des
positions. Ce ne sont pas des hommes politiques, mais des sportifs», note un
membre de son cabinet. Un profil bas qui tranche avec la promptitude habituelle
à réagir, comme s'il ne voulait surtout pas creuser davantage le fossé. La
réponse sarkozyste consistera, le moment venu, à afficher aux côtés du patron de
l'UMP des sportifs blacks ou beurs renommés. Encore faut-il que ses amis ­
en pleine recherche ­ parviennent à en trouver.
Voyages. En attendant, plusieurs ministres et parlementaires poussent le futur
candidat à la présidentielle de l'UMP à tenter d'envoyer des messages positifs à
cette frange de l'électorat issue de l'immigration qui est en train de lui
tourner définitivement le dos. Certains le poussent à «prendre la route du Sud»
et à voyager au plus vite en Afrique. Et ce, même si sa dernière escapade au
Mali pour expliquer son concept d'immigration choisie s'était soldée par des
démonstrations d'hostilité sur place. D'autres lui répètent qu'il doit réserver
de vraies places éligibles aux législatives à des candidats black-beur et les
mettre en valeur pour se différencier du PS. Ce qui est loin d'être le choix
retenu par le patron de l'UMP aujourd'hui.
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