La bonne gouvernance publique et privée
dans le contexte de la mondialisation
Remarques introductives de M. Pascal LAMY, Séminaire OSCE
Bruxelles, 30 janvier 2001
Je suis particulièrement heureux d’avoir l’occasion de m’exprimer devant vous aujourd’hui et
de participer ainsi à votre réflexion de ces deux journées sur la globalisation et la
gouvernance.
Ces deux thèmes sont au centre d’un nombre considérable de réflexions. C’est, je crois, un
des premiers débats de société qui ait une véritable dimension mondiale:
• Ce débat est abordé de façon différenciée d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre
mais il se rapproche de cet essai humain de représentation de l’idée de construction de
la «Cité» universelle que l’on retrouve dans la plupart des grands courants
philosophiques, religieux sinon dans les mythologies,
• ce débat qui touche aussi tous les acteurs : responsables politiques et économiques et
société civile. Parce qu’à un titre ou à un autre, personne ne peut pas faire l’impasse sur
la façon dont «la mondialisation» influe sur sa propre destinée, celle de la société à
laquelle il appartient et sur les systèmes politiques.
Dans ce foisonnement, un travail d’analyse et de repérage de ce qui est riche de sens et
utile pour l’action est indispensable. C’est le sens de votre travail.
Chacun fait cette sélection à partir de la trajectoire culturelle à laquelle il appartient, de ses
responsabilités propres, mais il participe, par-là même, à l’élaboration d’un socle de
références communes. A ce titre, le travail de ce séminaire s’inscrit dans le prolongement
des décisions prises dans le cadre de votre organisation au Sommet d’Istambul de
novembre 1999, et en particulier de l’adoption de la Charte de la Sécurité européenne.
Je voudrais me prêter à cet exercice en essayant de répondre successivement aux deux
questions soulevées par le thème de votre Séminaire :
• une meilleure gouvernance collective : pourquoi faire ? quel est l’objectif ? quelle est la
configuration des systèmes de décision que nous voulons forger dans le contexte la
globalisation?
• une meilleure gouvernance collective : de quelle manière ? Comment concevoir les
principes fondateurs de cette gouvernance ? organiser un dialogue efficace entre les
différentes formes de gouvernance, publiques et privées, locales et globales ?
I. Quelle finalité? Gouvernance et démarche collective de maîtrise de la globalisation
A. Le concept de gouvernance
Vous avez raison de partir, dans ce séminaire, de la recherche d’une vision commune de la
signification des concepts et de la démarche analytique qu’il convient d’adopter. La tâche
n’est pas facile. Il s’agit d’éviter à la fois :
• de s’arrêter à des considérations trop générales pour déboucher sur des
recommandations pratiques,
• et, à l’inverse, de ne voir que la spécificité des situations et des problématiques locales
ce qui dédouanerait de tout effort de synthèse et d’action.
La notion de «gouvernance» est heureusement, me semble-t-il un concept assez solide
pour cristalliser la réflexion et assez flexible pour faciliter la convergence de vues. C’est un
peu comme un embrayage de voiture: c’est indispensable mais cela vient en plusieurs
versions.
Cette flexibilité est d’ailleurs un sujet de reproches pour certains. L’organisation des
Institutions publiques ne pourrait pas être traitée, à leurs yeux, avec des instruments
communs à d’autres disciplines.
Tout en reconnaissant la spécificité des affaires publiques, je crois que l’on peut tirer parti de
la souplesse du concept pour aborder simultanément :
• l’idée de «gouvernement» et en particulier tout ce qui concerne la pertinence des
systèmes de régulation internes et internationaux,
• l’idée de «bonne gestion», y compris le caractère participatif du «management».
Pour ma part, je définis la gouvernance comme l’ensemble des processus par lesquels des
règles collectives sont élaborées, décidées et mises en oeuvre et des dispositifs de contrôle
de ces processus.
B. La globalisation et le besoin de «gouvernance»
Au-delà du concept de gouvernance, il me parait nécessaire de situer la démarche
d’ensemble. Quels sont les enjeux ?
Le principal objectif à atteindre est de permettre un développement économique équitable et
soutenable à l’échelle mondiale. Celui-ci ne se fera pas naturellement par la seule logique
des marchés. Une prospérité partagée est possible si la globalisation est maîtrisée à bon
escient et à bonne échelle. Pour cela, il faut trouver le bon niveau d’articulation entre les
acteurs : les systèmes de décision publics et en particulier les Etats, les marchés et la
société civile.
Pourquoi la globalisation appelle-t-elle ce sursaut de gouvernance?
Le commerce est, depuis des siècles, le vecteur universel de l’interdépendance
économique. Il est source d’une plus grande efficience dans la mobilisation des ressources
et donc d’économies d’échelle et d’accélérations du progrès technique. Il transfert, par là
même, à l’échelle internationale, la question du partage de la valeur ajoutée qui a été bien
identifiée, depuis la première révolution industrielle, comme étant la question centrale du
capitalisme.
Mais, la globalisation une marque une nouvelle étape : elle accélère l’intensification de la
division internationale du travail parce que la compétition se joue désormais, de plus en
plus, sur d’autres bases que les seuls avantages comparatifs «naturels» des Etats. La
cohésion sociale, la qualité des systèmes d’éducation et de recherche, le niveau de qualité
des normes qui protègent les consommateurs, longtemps considérés comme des
caractéristiques internes des Etats, deviennent les enjeux de la compétition.
Cette évolution accroît la polarisation des activités et de la richesse et est source
d’inégalités sociales – inégalités globales et à l’intérieur des Etats- d’insécurité collective et
de menaces pour l’environnement. Ce qui fait la différence avec le XIXème siècle est la
puissance des technologies de l’information : qui est à la fois un atout considérable tant le
besoin d’accès au savoir est fort, mais qui est aussi à l’origine de phénomènes nouveaux et
sérieux d’asymétries et donc d’exclusion.
L’accroissement de la pression des marchés est permis par cette technologie de
l’information. Elle est renforcée par l’internationalisation des mouvements de capitaux. Sous
cette double influence, l’ensemble de l’ordre social tend à devenir dépendant des
jugements-sanctions des analystes financiers. L’expérience de la crise asiatique n’a pas
qu’une seule lecture mais elle a fait la preuve de la vulnérabilité de ce système. De même
voit-on se renforcer la violence shumpeterienne des stratégies d’entreprise qui recherchent
naturellement la sécurité et qui tentent de la trouver, en permanence, dans la constitution
d’oligopoles aujourd’hui «en réseaux» à l’échelle mondiale.
La pression exacerbée du marché global relance donc le débat sur les aspects «sociaux»
du capitalisme et sur la qualité des réponses politiques, internes et internationales.
C. Quelle est la stratégie de l’Union Européenne ?
Tous les pays européens ont une vocation transformatrice et ont besoin de l’échange
international pour développer leur économie interne. L’Union européenne n’est pas un
espace clos, mais ouvert sur le monde et ses opérateurs sont au centre de cette compétition
internationale.
Pour cette raison, la promotion de nos valeurs et de nos intérêts suppose une convergence
d’efforts non seulement internes, mais aussi au niveau international pour renforcer le
respect de règles du jeu communes à l’échelle mondiale et mieux maîtriser la
mondialisation.
C’est le sens des propositions de l’Union européenne en faveur d’un nouveau cycle de
négociations commerciales multilatérales et d’un renforcement de la «gouvernance»
mondiale. Leur finalité est de rendre le commerce international plus équitable et, pour cette
raison, plus dynamique à long terme.
L’Union européenne, a par ailleurs, des accords régionaux avec la plupart des pays en
développement. Ceux-ci jouent un rôle de renforcement mutuel avec la stratégie
multilatérale globale de l’Union, y compris dans le volet de cette stratégie qui concerne les
pays en Développement. L’objectif d’une meilleure intégration des pays en développement
dans l’économie mondiale est, en effet, essentiel pour la soutenabilité de la croissance
mondiale au XXème siècle. Ceci suppose d’agir conjointement avec eux sur plusieurs plans :
en assurant un meilleur accès à nos marchés, sur la base de règles communes, et avec des
aménagements différenciés suivant les cas.
Comme vous le savez, j’ai l’occasion d’avoir des consultations sur les différents aspects de
cette démarche commerciale de l’Union européenne avec l’ensemble des pays candidats à
l’adhésion.
II. Une meilleure gouvernance collective: Comment ? Sur quels fondements et
principes généraux ? pour remplir quelles fonctions ?
Il ne suffit pas d’énoncer les raisons pour lesquels la question de la gouvernance se pose
aujourd’hui avec acuité à l’intérieur de cercles très différents : dans les entreprises, au sein
des collectivités locales, des Gouvernements et des Parlements nationaux, et au sein de la
Commission, elle-même, qui conduit une réflexion approfondie sur ce thème pour la
préparation de son Livre Blanc sur la gouvernance.
Il faut aussi arriver à identifier les clés qui nous permettrons de renforcer notre capacité à
agir ensemble, les critères qui apparaissent nécessairement communs entre des systèmes
multiples de gouvernance.
A. Quelques éléments de référence
Je suis intéressé par les conclusions auxquelles vous allez aboutir sur ce plan. Pour ouvrir
vos travaux, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les éléments de
référence qui me paraissent pertinents.
Parmi ces éléments de référence, il me semble qu’il faut s’arrêter d’une part sur les
principes organiques de la gouvernance, et d’autre part sur ses fonctions.
Sam 3 Juin - 19:14 par mihou