Cour ou gare de triage?
Roux, Paul
La cour de triage d'Outremont vient de réapparaître dans l'actualité, à la faveur de l'interminable débat sur l'emplacement du futur CHUM. Rappelons que le mot cour est une traduction littérale de yard dans cette appellation. Il faut plutôt parler de gare de triage.
Soit dit en passant, je suis bien heureux de voir qu'on a cessé ou presque de parler de mégahôpital. Au rythme où diminue le nombre de lits de cet établissement universitaire, avant même qu'il ne soit construit, personne n'ose encore employer cette appellation abusive.
Jeu décisif?
Q: Dans votre livreLexique des difficultés du français dans les médias,vous suggérezjeu décisifau lieu debris d'égalité. Je crois que la notion de bris d'une égalité n'est pas clairement exprimée dans cette expression. Pourquoi l'Office de la langue française tient-il tant à s'éloigner des expressions anglaises, même quand elles traduisent mieux une réalité? Dans ce cas-ci,brisetégalitésont deux mots français qui traduisent parfaitement l'esprit du jeu, ce quejeu décisifne fait pas. Si je gagne une manche 5 à 4, le sixième jeu que je gagne devient le jeu décisif du match, mais pourtant il n'y a pas eu égalité.
Michel Cayer
Non seulement l'OLF n'a pas proposé jeu décisif, mais il accepte bris d'égalité. En fait, la locution jeu décisif est une recommandation officielle qui a été reprise par les dictionnaires Robert, Larousse et Hachette. C'est ce terme qu'on emploie maintenant aux Internationaux de tennis de Roland-Garros. Contrairement à vous, je préfère jeu décisif à bris d'égalité, qui constitue une traduction littérale. Mais vous n'êtes pas le seul à ne pas partager mon avis sur le sujet. Je peux même vous avouer que les journalistes de la section des Sports sont d'accord avec vous.
Toutes vos gens?
Q: J'ai une question pour vous: devons-nous écrire " des présents pour toutes vos gens ", comme le fait Bell dans sa publicité, ou " des présents pour tous ces gens "?
J.F. Lambert
Je n'aime pas les récentes publicités de Bell parues dans les journaux, comme je l'ai d'ailleurs souligné la semaine dernière, mais je ne suis pas malhonnête: l'accord de toutes au féminin est correct dans leur publicité. En effet, bien que le mot gens soit masculin, l'adjectif qui le précède est féminin.
Une lectrice, Geneviève Morin (que je soupçonne d'être de l'agence Cossette), s'est d'ailleurs portée à la défense de ces pubs. " Qu'avez-vous, me demande-t-elle contre le français parlé au Québec? Ce n'est pas parce qu'on anglicise pas chacune de nos phrases comme les Français que nous parlons mal. Le français d'aujourd'hui n'est pas celui d'il y a 20 ans, et encore moins celui d'il y a 100 ans. Il n'y a pas eu dégénération, il y a eu transformation. "
Primo: je suis toujours étonné qu'on évoque l'argument selon lequel la langue évolue pour défendre la langue... du passé. Mon interlocutrice se définit comme une grande amoureuse de la langue française contemporaine. Allez comprendre pourquoi! Ça me fait penser à cette prof de l'UQTR qui défendait l'emploi du moé et du toé en disant que c'est ainsi que Louis XIV parlait et qui ajoutait: " Vous savez, la langue évolue. " Comme disent les chauffeurs d'autobus de Montréal: " Avancez en arrière. "
Secundo: à en croire les preux défenseurs de notre belle parlure, tous les Français, bien entendu, parleraient quasiment anglais. Je leur conseille d'aller voir, ou plutôt d'aller entendre, Comme une image, le très beau film d'Agnès Jaoui. S'ils peuvent écouter les dialogues, sans préjugés, ils découvriront comment le français, parlé par des Français, peut être une merveilleuse langue.
Tertio: je n'ai rien contre le français québécois, qui peut lui aussi être très beau. J'en ai contre le québécois. Ce qui est bien différent.
Bientôt un blogue
Comme vous pouvez le constater, chacun semaine, je reçois de nombreux courriels qui ne sont pas des questions, mais plutôt des réflexions ou des commentaires sur la chronique qui vient d'être publiée. Il m'arrive de donner suite à ces messages. Mais la plupart du temps, je dois y renoncer, faute d'espace. Cette lacune sera bientôt corrigée grâce à Cyberpresse, le site Internet de La Presse. La chronique Mots et actualités y est publiée depuis quelques semaines. Elle se métamorphosera bientôt en blogue. Vous pourrez donc y aller de vos commentaires; le cyberespace vous appartiendra. Je vous tiens au courant.
Cette initiative de Cyberpresse arrive à point nommé, car je commence à crouler sous le courrier (j'espère que mes patrons lisent ces lignes). Je ne m'en plains surtout pas; j'adore. Cette chronique, c'est ce que j'ai fait de plus passionnant en 35 ans de carrière. J'aimerais répondre à tous (enfin, à presque tous), mais je n'y arrive pas, même en répondant personnellement à de nombreux courriels. Continuez donc à m'écrire en grand nombre, mais ne soyez point offusqués si je ne vous réponds pas toujours.
Petits pièges
Un problème technique a fait disparaître les Petits pièges de la chronique de la semaine dernière. J'en suis désolé. Voici donc les pièges d'il y a 15 jours:
1. Des offres bidons.
2. Nous prenons pour acquit que vous êtes d'accord avec nous.-
Le mot bidon est invariable quand il est employé comme adjectif.-
La locution prendre pour acquit est doublement fautive. D'abord, il ne faut pas écrire acquit mais acquis. Ensuite, le verbe prendre est généralement considéré comme un calque (to take for granted). On dira plutôt qu'on tient pour acquis ou qu'on considère comme acquis. On peut aussi dire qu'on admet au départ ou sans discussion, qu'on pose en principe, qu'on présume, qu'on présuppose, qu'on est convaincu ou persuadé, etc.
Il aurait donc fallu écrire:
1. Des offres bidon.
2. Nous considérons comme acquis ce premier point.
Voici les pièges de cette semaine. Les phrases suivantes comprennent chacune une faute. Quelles sont-elles?
1. Des jeux vidéos.
2. J'ai loué un vidéo.
Les réponses la semaine prochaine.
Paul Roux est l'auteur duLexique des difficultés du français dans les médias, aux Éditions La Presse. Faites-lui parvenir vos questions, vos suggestions ou vos commentaires par courriel à paul.roux@lapresse.ca ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal (QC), H2Y 1K9.