La Croix
ECONOMIE ET ENTREPRISES, lundi 14 avril 2003, p. 18
AFRIQUE. Les PME africaines, fer de lance du développement du continent ?
REBUFFEL Catherine
Le monde de l'entreprise est-il prêt à s'engager dans le développement des pays du Sud ? « Tout dépend de quel investissement il est question. S'il s'agit de l'investissement industriel, les entreprises le font le plus souvent dans des pays qui offrent de vrais débouchés comme la Chine, le Brésil ou l'Inde », répond François Jay, directeur général d'Afrique initiatives. Or, la démarche de cette société, présidée par l'ancien premier ministre Michel Rocard, se veut en décalage avec cette idée. En effet, la vocation d'Afrique initiatives est d'investir dans le développement privé en Afrique. Parce que, selon Michel Rocard, « la croissance économique est repartie en Afrique, des opportunités commerciales et d'investissement se révèlent tous les jours à des acteurs économiques dynamiques ». Et surtout pour montrer que « le marché prioritaire pour les acteurs économiques africains est le marché africain ».
L'Afrique ne serait donc pas ce continent perclus par les guerres et autres conflits internes, ainsi que par son très haut niveau de pauvreté ? « Je rencontre tous les jours des entrepreneurs africains qui gardent la tête hors de l'eau, se battent contre la corruption. Avec Internet et la téléphonie mobile en développement, je pense que l'Afrique s'en sortira », répond François Jay. Il en est sûr : si l'on veut vraiment aider l'Afrique à accélérer son développement, il faut commencer par arrêter la gratuité. « C'est toxique et nuit au développement. »
Des champs d'intervention privilégiés, comme l'éducation
C'est pourquoi Afrique initiatives acquiert et gère des participations dans des PME africaines qui contribuent directement au développement en Afrique par un mieux-être des Africains. Pour ce faire, la société s'appuie sur un réseau de partenaires européens et africains, qui interviennent selon leur niveau de compétence sur les différents projets. Cinq champs d'intervention sont privilégiés : l'éducation et la formation, l'alimentation, la santé, l'eau et l'énergie en milieu rural, les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Quelques exemples très concrets : Michelin, l'un des actionnaires principaux d'Afrique initiatives est en train de s'intéresser aux petites plantations d'hévéas au Nigeria. Afin de pérenniser leur structure sur un marché sans cesse fluctuant, l'idée est de garantir aux petits planteurs un prix d'achat fixe. Certes, l'entreprise n'est pas totalement désintéressée : en cas de hausse des cours, elle sera avantagée par rapport à ces concurrents.
« L'objectif de nos partenaires est de faire des affaires. Chacun doit y trouver son intérêt », insiste François Jay. C'est bien ainsi que l'entend un autre actionnaire, la société Pierre Fabre, spécialisée dans la fabrication de médicaments à base de plantes. D'où sa prospection en Ouganda en vue de faciliter la culture d'une plante (dont le nom reste secret) destinée à produire un médicament en quantité industrielle pour les Africains, à un coût abordable. « Nous soutenons leur démarche. Elle présente un aspect éthique indispensable », ajoute François Jay. Pour Afrique initiatives, l'essentiel est bien là.
Autre gros actionnaire, EDF a développé son programme Access au Mali. L'idée consiste à mettre en place des « plates-formes multifonctionnelles », avec l'aide de groupements de femmes. Il s'agit, autour d'un moteur électrogène, de développer des micro-activités génératrices de revenus. Par exemple, mécaniser l'activité traditionnelle de pilage et de décorticage du mil permet aux femmes de gagner trois heures dans la journée, qu'elles peuvent consacrer à d'autres activités rémunératrices.
S'investir dans le développement des pays du Sud est-il un phénomène durable ou simplement un effet de mode pour les riches entreprises des pays du Nord ? Pour François Jay, le sentiment de solidarité avec le reste du monde semble se répandre dans le monde de l'entreprise. Ne serait-ce que par l'encouragement à prendre des congés-solidarité, où les salariés partent mettre leurs compétences au service d'un chantier dans un pays du Sud. Ainsi des agents EDF sont-ils allés remettre en l'état la centrale électrique de Chinguetti, en Mauritanie, redonnant le courant à toute une population dans l'obscurité depuis plus de vingt ans.
Pour autant, les entreprises ne sont pas appelées à remplacer les ONG. Pour François Jay, les deux sont complémentaires, surtout si leur objectif est bien d'aider les Africains à valoriser les propres ressources. Car il n'en doute pas, l'Afrique peut s'en sortir.
Catherine REBUFFEL