Le Monde
International, vendredi 16 septembre 2005, p. 3
Les investissements étrangers produisent des effets pervers en Afrique
L'ONU analyse la « marginalisation » du continent
Philippe Bernard
ATTIRER les investissements étrangers en Afrique en privatisant et en limitant le rôle des Etats permet-il d'assurer le développement ? Assurément non, répond la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) dans un rapport publié, mardi 13 septembre, alors que se déroule le sommet de l'ONU à New York.
Le document, qui bouscule nombre d'idées libérales dominantes ayant conduit au remède de cheval de l'« ajustement structurel » imposé à l'Afrique et à la réduction de l'aide publique, repose sur un constat calamiteux : les flux d'investissements étrangers directs ont sensiblement augmenté depuis les années 1990, mais le continent noir n'a pas cessé de perdre du terrain à l'échelle planétaire : il ne reçoit que 2 à 3 % des flux mondiaux de capitaux contre 28 % en 1976 et sa part dans le commerce international dépasse à peine 2 %, contre 6 % en 1980. « L'Afrique est marginalisée dans une économie de plus en plus mondialisée », peut-on ainsi lire dans ce rapport qui, dans son titre, appelle à « repenser le rôle de l'investissement étranger direct ».
Multiplication d'enclaves dévolues à l'exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l'économie locale, découplage entre les intérêts des investisseurs étrangers et ceux des pays d'accueil, généreuses incitations fiscales compromettant les recettes des Etats, recherche du profit immédiat au détriment de l'extension des capacités de production, poids de l'histoire coloniale qui limite l'éventail des partenaires... La liste est longue des processus qui font des investissements étrangers des instruments d'« intégration » dans l'économie mondiale plus que de consolidation des économies nationales, et transforment les flux de capitaux prétendument salvateurs en « véritable danger ».
Alors qu'en Afrique, les trois quarts des investissements étrangers convergent vers les 24 pays producteurs de pétrole et de minéraux, le secteur agricole bénéficie peu des capitaux extérieurs. Il reste confiné à la production brute, mais ne conduit pas à l'émergence d'un secteur agroalimentaire ou textile. Cette mutation permettrait pourtant de rompre la dépendance à l'égard des produits de base aux cours incertains.
Le rapport pointe le fait qu'au Ghana, où les exportations d'or ont triplé en quinze ans, l'Etat n'a perçu que 5 % de la valeur totale de cette manne. En Afrique du Sud et au Gabon, les sorties de bénéfices ont dépassé les apports d'investissements étrangers. Le rapport rappelle que trois pays seulement - les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France - génèrent 70 % des flux.
Une erreur d'analyse préside à ces résultats « au mieux décevants » : on a poussé les Africains à ouvrir leurs frontières avant que leur économie ne soit compétitive, en oubliant que l'investissement étranger « suit le développement plutôt qu'il ne le stimule ».
Le rapport va jusqu'à relativiser le poids de la mauvaise gouvernance africaine mais, s'appuyant sur les rares exemples de réussite - Botswana, Maurice -, il appelle à la mise en place de politiques d'Etat aptes à « mobiliser les ressources intérieures » par la relance des investissements publics et la formation d'une fonction publique « indépendante et compétente ».