Le Monde
Economie, mardi 27 septembre 2005, p. 1
Le Monde ECONOMIE DOSSIER
Investissements étrangers : qui en profite ?
Hewlett-Packard en France, Suez en Argentine... les pays d'accueil ne sont pas toujours gagnants
Laurence Caramel
Les investissements directs étrangers (IDE) sont-ils toujours profitables aux pays d'accueil ? A observer la course planétaire à laquelle se livrent les gouvernements du Nord comme du Sud pour capter une partie de ces capitaux nomades, la réponse semble aller de soi. En 2004, plus d'une centaine de nouveaux accords bilatéraux ou régionaux ont été signés pour faciliter l'implantation des IDE. En France, au demeurant toujours bien placée dans la course, il n'existe pas moins de trois instances chargées de vendre le « made in France » : l'Agence française pour les investissements internationaux qui dépend du ministère de l'économie, le Conseil stratégique de l'attractivité, créé en 2004 et qui regroupe des chefs d'entreprises françaises et étrangères, et enfin, le tout nouveau « Cercle de l'attractivité-Win in France », où siègent une vingtaine de grandes entreprises françaises et que préside Louis Schweitzer, l'ancien PDG de Renault. C'est dire si le sujet est d'importance nationale.
L'histoire n'est pourtant pas pavée que de success stories. Alors que les affaires Hoover en 1993 et Daewoo dix ans plus tard, pour ne citer que les plus célèbres, sont encore dans les mémoires, le cas Hewlett-Packard s'apprête aussi à rejoindre la liste des mauvaises expériences. Avec à chaque fois, cette question : combien au final cela aura-t-il coûté à l'Etat ? Dans le cas présent, le premier ministre, Dominique de Villepin, a déclaré ne pas vouloir en rester là et envisage de demander au géant américain de l'informatique de rembourser les aides publiques dont il a pu bénéficier. Les mésaventures de la France avec ces multinationales dont on attend souvent qu'elles sauvent l'activité et l'emploi d'un territoire ne sont pas isolées. En Argentine, c'est la compagnie française Suez, chargée de la distribution d'eau à Buenos Aires, qui a été pointée du doigt par le ministre de l'économie Roberto Lavagna, pour avoir manqué, selon lui, aux obligations de son contrat. Après trois années de discussions houleuses, la compagnie a annoncé le 9 septembre qu'elle quitterait le pays.
Les relations entre les Etats et les multinationales reposent souvent sur un malentendu. Quand les premiers attendent des investissements étrangers qu'ils soient un levier de développement et de croissance, les secondes gardent pour ligne d'horizon un impératif de rentabilité et de profit. Chacun est dans son rôle, mais les deux objectifs ne se rencontrent pas forcément. Surtout quand, pour attirer ces capitaux, les gouvernements ont dû faire des concessions coûteuses pour le budget de l'Etat.
Depuis la fin des années 1980, il est convenu de faire rimer afflux d'investissements directs étrangers avec croissance mais, en réalité, le débat académique est loin d'être tranché. « Si les premiers travaux ont pu conclure à une relation bénéfique, la communauté scientifique est aujourd'hui divisée », explique Thierry Mayer, spécialiste du commerce international au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), qui souligne la fragilité des données sur lesquelles peuvent être échafaudées des conclusions. Les statistiques d'IDE additionnent des investissements ex nihilo, des fusions-acquisitions, des rapatriements de capitaux et des gymnastiques comptables et fiscales qui font que le Luxembourg, en raison de l'optimisation fiscale pratiquée par les firmes, se retrouve dans le peloton de tête des terres d'accueil des investissements étrangers.
Plusieurs pays ont commencé à faire marche arrière estimant qu'ils avaient payé trop cher le ticket d'entrée des belles étrangères. En particulier dans le secteur minier, où l'envolée des cours des matières premières, depuis 2003, a clairement montré que l'essentiel des retombées de la rente échappait à l'économie locale. « Entre 2002 et 2004, 75 % du revenu supplémentaire qu'auraient dû engranger les pays en développement exportateurs de produits miniers sont repartis à l'étranger sous forme de rapatriement de bénéfices », souligne la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) dans un rapport publié début septembre. En 2004, alors que les prix mondiaux atteignaient plus de 30 dollars en moyenne, le gouvernement tchadien a reçu 2 dollars de royalties par baril de la part des compagnies étrangères chargées d'y exploiter le pétrole.
Dans le secteur manufacturier, et plus récemment dans les services, où se concentrent l'essentiel des IDE, les relations entre les multinationales et l'économie locale sont plus complexes à observer. Mais là aussi tend à émerger une approche qui tienne compte des avantages et des coûts. Anne Miroux, qui dirige à la Cnuced l'analyse des investissements étrangers distingue au moins deux conditions pour que le partenariat profite au pays d'accueil : « Il faut que le pays ait une population bien formée pour que les transferts de connaissance puissent exister et que le tissu des entreprises locales soit suffisamment développé et solide pour pouvoir profiter - sans se faire exclure du marché -, de la présence de firmes étrangères plus grosses et plus compétitives. » La greffe des IDE en Asie et particulièrement en Chine, trouverait là une partie de son explication.
L'investissement étranger est devenu la principale source de financement des pays en développement et est appelé à le rester. Des pays émergents comme la Chine, le Brésil ou l'Afrique du Sud y contribuent désormais en investissant chez leurs voisins plus pauvres, voire dans les pays industrialisés. Sans qu'il existe vraiment de cadre, en dehors des accords bilatéraux ou régionaux. Les pays en développement avaient refusé lors de la conférence de l'Organisation mondiale du commerce à Cancun , en 2003, l'ouverture de négociations multilatérales. Depuis on n'en a plus reparlé.
La part des pays industrialisés reste prépondérante : flux des investissements directs étrangers (IDE) / SOURCE : Cnuced World Investment Report 2004 - La Chine une destination prioritaire : les 20 premiers pays bénéficiaires des IDE / SOURCE : Cnuced - Une manne recherchée : Flux des capitaux vers les pays en développement / SOURCE : Cnuced