Une page sombre dans l’histoire de la France et des Pays-Bas
Les débats autour de la mémoire de l’esclavage, de la traite négrière et de leurs séquelles les plus actuelles n’ont jamais été aussi âpres que ces derniers mois, en écho à une actualité largement relayée par les grands médias nationaux. Si ces questions sont familières depuis longtemps aux historiens et aux militants des associations, le grand public ne les a véritablement découvertes que depuis peu d’années : en 1998 les commémorations du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises furent, pour beaucoup, un point de départ, puis, en mai 2001, le vote de la loi qualifiant la traite négrière et l’esclavage de crime « contre l’humanité » donna un nouvel élan aux débats en cours. Aux Pays-Bas l’intérêt porté à l’histoire de la traite des Noirs et à l’esclavage est également récent. La communauté noire néerlandaise, composée en grande partie de Surinamiens et d’Antillais (500 000 personnes) en est la force motrice.
La forte revendication des communautés noires pour la reconnaissance de la tragédie de l’esclavage conduit à s’interroger sur le rôle historique que la France et les Pays-Bas ont joué dans cette tragédie humaine. L’implication de ces deux pays dans la traite des esclaves est considérable et étroitement liée à l’essor économique des XVIIe et XVIIIe siècles.
Débat sur la présentation et l’interprétation de la réalité de l'esclavage et de la traite des Noirs.
Intervenants : Françoise Vergès, politologue, vice-présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage, Piet Emmer, historien, auteur de De Nederlandse slavenhandel 1500-1850 (Les Pays-Bas et la traite des Noirs, 1500-1850, éditions Karthala, 2005) et Olivier Pétré Grenouilleau, historien, auteur de Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, 2004.
Modérateur : Christophe de Voogd, historien, Institut d’Etudes Politiques à Paris
Biographies
Pieter C. Emmer est actuellement professeur d’histoire de l’expansion européenne à l’université de Leyde aux Pays-Bas. Il est vice-président de la commission de rédaction de l’Histoire générale des Caraïbes (UNESCO). Il a publié en anglais The Dutch in the Atlantic Economy, 1580-1880 chez Ashgate/Variorum (1998). Il est membre de l’Academia Europaea (Londres).
Dans Les Pays-Bas et la traite des Noirs, 1500-1850, tout en détaillant l'implication active des Néerlandais dans le commerce de l'or et de l'ivoire puis, à partir du XVIIe siècle, dans la traite des Africains, M. Emmer décrit l'organisation de la traite dans le Nouveau Monde. Par ailleurs, il rapporte le débat enflammé qui a eu lieu à propos de la traite et de l'esclavage entre leurs défenseurs et les abolitionnistes.
Olivier Pétré-Grenouilleau, professeur d’histoire à l’Université de Bretagne Sud et membre de l’Institut Universitaire de France est un spécialiste connu de l’histoire de la traite négrière : outre de nombreux articles, édition de textes et numéros de revues, Les traites négrières. Essai d’histoire globale est le quatrième ouvrage qu’il consacre à ce sujet. L’ouvrage se divise en trois parties précédées d’une longue introduction : 1. Essor et évolution des traites négrières, 2. Le processus abolitionniste et 3. La traite dans l’histoire mondiale.
Les grandes interprétations que l’auteur propose dans ses travaux se trouvent au centre du débat sur la mémoire de l’esclavage.
Avec Pieter Emmer il a publié A Deus ex Machina Revisited. Colonial Trade and European Economic Development (1500-1940), (« Introduction” et “Colonial Trade and Economic Development in France from the Seventeenth to the Twentieth Century »), Londres, Ashgate, Colloque Lorient 2001.
Françoise Vergès, vice-présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage, est docteur en sciences politiques, professeur à l’Université de Londres et assure la direction culturelle de la Maison de la Civilisation et de l’Unité réunionnaise. Les domaines de recherche de Françoise Vergès sont les théories politiques en postcolonie, les économies de prédation (esclavage et guerres), les politiques de réparation, et les processus et pratiques de créolisation dans l’océan Indien. Depuis plusieurs années, elle collabore à des événements culturels divers tels Latitudes (2003) et le film Frantz Fanon, Black Skin, White Mask (1996). Dans un de ses ouvrages les plus récents : Abolir l’esclavage : une utopie coloniale. Les Ambiguïtés d’une politique humanitaire (2001) elle met en lumière des liens peu connus entre l’abolitionnisme, les politiques de réparation, l’héritage du colonialisme et les origines complexes et souvent peu attendues de l’humanitaire. Son dernier titre, avec Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, est La République coloniale, essai sur une utopie (2003).
Christophe de Voogd, historien, ancien directeur de la Maison Descartes (Institut français des Pays-Bas), est actuellement maître de conférence à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Il est l’auteur de l’ouvrage de référence Histoire des Pays-Bas (Fayard, Paris 2003).