Le coup de gueule de Stomy Bugsy
"Les dirigeants africains adorent voir leur peuple crever de faim !"
jeudi 27 octobre 2005
Suite aux incendies dans les garnis parisiens, le rappeur-acteur d’origine cap-verdienne, membre du Ministère AMER, auteur du tube "Mon papa est un gangster", a tenu à interpeller l’opinion.
De notre partenaire Le Gri-Gri International
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Un rapport (le Gri Gri n°38, NDLR) prouve que depuis 2003 le Ministère de l’Intérieur est au courant de l’insalubrité de ces immeubles. Selon toi, quelle est la vraie raison pour laquelle rien ne bouge ?
Stomy Bugsy : Tout simplement parce que ce sont des Africains qui vivent dans ces taudis. Il n’y a pas à intellectualiser le débat. Beaucoup ont des situations, payent des impôts, etc. Certains sont sur liste d’attente depuis 15 ans ! Il faut que les Africains tapent du poing sur la table, se mobilisent, fassent du bruit, se manifestent. Pas juste "manifestent"... Y’en a marre de faire Bastille-Nation gentiment, calmement. Il faut aller là où ça dérange, devant le ministère de l’Intérieur, manifester sur les Champs-Élysées : 5 000 Noirs sur les Champs ! Quitte à prendre des coups de bâton ou à en donner. On dirait que ce pays s’endort ! Il faut que les personnes d’origine africaine influentes se mobilisent...
À part toi et Sonia Rolland, on n’en a pas vu beaucoup...
Stomy Bugsy : Franchement, à part Dieudonné, personne. Les gens de la Mairie voulaient l’empêcher d’entrer dans le gymnase où sont les rescapés. Beaucoup ont peur.
Mais peur de quoi ?
Stomy Bugsy : De perdre leur rotation en radio, leurs acquis, je sais pas moi ! Ils n’en ont rien à foutre ! Quand tu es connu, tu commences à ne plus être en rapport avec le peuple. Tu ne prends plus le métro, mais le taxi... C’est dangereux pour un artiste, un intello, de ne plus prendre le métro ! Tu ne sais plus qu’il y a des gens qui crèvent.
Les rappeurs français sont prêts à faire des chansons sur Mumia Abu-Jamal (ex-Black Panther enfermé dans le fameux couloir de la mort aux USA, NDLR), mais pour Omar Raddad ou pour ces gens, ici, en France, on n’entend personne ?
Stomy Bugsy : Tu sais, le rap français est, malheureusement, très influencé par le rap américain. Quand tu regardes les clips américains, c’est string et bling-bling...
Oui, mais suite à "Katrina", on a vu Kanye West à la télé, qui a dénoncé le fait que lorsque deux Blancs circulent avec un sac de nourriture, ce sont des "rescapés", alors que lorsqu’il s’agit de Noirs, on les appelle "voleurs"...
Stomy Bugsy : J’ai vu ça. Ça m’a fait très plaisir. Il a d’ailleurs fait un morceau sur les diamants de Sierra-Leone. Pour une fois ! Un discours ! De la politique !
Comment faire pour que la banlieue s’émeuve du sort réservé à ces Africains et se mobilisent ? On dirait que ça ne les concerne pas...
Stomy Bugsy : C’est devenu banal. Ça fait même partie du folklore de Paris, des Africains dans des immeubles pourris... Comme s’il y avait une fatalité.
Pourquoi n’y a-t-il pas déjà eu des actions un peu plus virulentes ?
Stomy Bugsy : Dans son subconscient, l’homme noir a peur. Dès que l’un d’eux s’est levé face à l’oppresseur, il a souvent pris une rafale de balles. De Malcolm X à Amilcar Cabra (leader indépendantiste cap-verdien, NDLR)... Plus la peur des représailles dans les pays d’origine pour ceux qui parleraient ici. Lorsque tu arrives avec une carte de séjour, tu te tais, déjà, à la base. Dès l’aéroport, tu comprends la différence de traitement pour les Africains. Quand j’étais jeune, en garde à vue, on était dix : le flic demandait qui avait les papiers français, et c’était aux autres de morfler. Mais quand je vois "Katrina" aux USA, ça ici... Je suis très croyant. Il y a peut-être là une sorte d’appel du ciel : "Réveillez-vous !"
Quelle est la réaction du pouvoir dans les pays d’origine de ces gens ?
Stomy Bugsy : 95% des dirigeants africains sont à maudire. Ils adorent voir leur peuple à terre, à genoux, crever de faim. Pourquoi ? Pour s’élever, aller dans les villages avec leur Mercedes, balancer des sacs de riz... J’ai été en Guinée, au Sénégal, en Égypte, au Congo-Brazza. J’ai vu. Combien d’entre eux ont fait l’ENA, des études ici ? Qu’est-ce qu’ils vont aller dire à Chirac ?! Il les a vus pisser au lit ! Franchement, la politique africaine... Quand tu vas faire des concerts en Afrique, il y a le concert pour le peuple, et celui pour le pouvoir.
Toi, tu l’as fait ?
Stomy Bugsy : J’ai fait les deux. J’ai failli mourir ! Au Congo-Brazza, on m’amène dans un hôtel super luxueux, devant Sassou. Il y avait un défilé de jolies filles pour lui ! J’ai pris le micro et je l’ai interpellé. Tous les artistes africains lui léchaient les bottes : "Son Excellence ! Ma révérence ! Son Altesse royale !" Moi j’ai dit : "Il y a plein de morts ici, Denis, ils sont où les responsables ?" Il était fou ! Son fils l’a calmé.
Tu penses qu’il y aura des enquêtes sur les responsabilités ?
Stomy Bugsy : Il faut qu’on entende aussi bien Tibéri que Delanoë, le gouvernement... Il faut que ces gens payent pour ces listes d’attente depuis 1991. Ils ont choisi de donner les appartements à d’autres gens !
Tu voudrais entendre qui ?
Stomy Bugsy : Yannick Noah et Zidane. Eux, d’un mot ils changent tout. Quand on me demande la différence entre un "Black" et un "Nègre", je dis : Noah, c’est un "Black", moi je suis un "Nègre". J’aime bien Noah, humainement, mais qu’il se réveille ! "Mets des chaussures et tape du poing ! Les gens t’aiment, mon frère ! T’es un enfant béni. Tu fais des chansons de merde qui cartonnent, tu as gagné à Roland-Garros, alors sers à quelque chose !" Idem pour Zidane.
Propos recueillis par Grégory PROTCHE