Voir de l'antisémitisme partout pour mieux défendre le sionisme, c'est la
nouvelle trouvaille des anciens philosophes gauchistes reconvertis dans
l'extrême-droitisme de l'homme.
Ce qui prouve bien qu'on ne peut rien dire sur Israël ! Dieudonné a été
immédiatement traité d'antisémite alors qu'il a fait un sketch strictement
antisioniste sans aucune allusion raciale, ni même religieuse. La violente
propagande consensuelle n'arrête pas de faire croire qu'on peut très bien être
antisioniste sans être jugé automatiquement comme un antisémite, mais l'affaire
Dieudonné prouve, encore une fois, le contraire. S'il y a bien quelqu'un qu'on
pouvait tout à loisir taxer d'antisionisme c'est Dieudonné dans son sketch. Et
pourtant, on a dit que son personnage était une caricature raciste ! En quoi un
colon de la bande de Gaza, cagoulé, en treillis, qui vante l'axe
américano-sioniste contre la défense de la Palestine peut-il être assimilé à un
Juif en général ? Que les pro-israéliens arrêtent donc de mentir et crachent
franchement leurs sentiments : toute personne qui critique ou caricature le
sionisme sera mécaniquement traitée d'antisémite, un point c'est tout, qu'on se
le dise.
En littérature, un écrivain n'a pas le droit de s'occuper de politique, même
d'une façon littéraire, ça devient forcément de la littérature « ratée », il
doit rester « désengagé ». Dans le même ordre d'idée, un comique doit faire rire
aux larmes et aux éclats, sans jamais parler des problèmes de son époque, ou
alors comme un chansonnier, sinon il sort de l'humour et devient un pyromane, un
martyr, un pompier en feu, que sais-je encore comme autres conneries !...
Pourtant, c'est le devoir aujourd'hui d'un écrivain de ne plus écrire de la
littérature telle que les amateurs de littérature en exigent, comme c'est celui
d'un comique de ne plus faire rire avec l'humour au second degré et la dérision
qui rassure les amateurs de rigolade et leur évite de penser un peu à ce qui se
passe autour d'eux.
Dans cette société où seuls les comiques et quelques sportifs ont la parole,
j'ai entendu dire que le problème avec Dieudonné, c'est qu'on ne savait pas
quand il plaisantait et quand il ne plaisantait pas. Ah, bon ? C'est pourtant
facile : il ne plaisante jamais, surtout quand il veut faire rire ! Lui
reprocher ça, c'est une autre façon de lui intimer l'ordre de ne pas dire ce
qu'il pense, sauf par le « biais » de l'humour où là, tout est permis puisqu'on
peut douter, grâce à l'ironie, que l'humoriste dise ce qu'il pense ! Les pires
flouteurs hypocrites de leurs sales petites pensées sont les premiers à exiger
que Dieudonné soit « clair » : ou il déconne dans ses sketches, ou il se tait en
dehors. L'oncle-tomisation de l'humour c'est ça. « Arrête de gesticuler quand tu
ne danses pas, nègro ! »
« Je vois l'avenir de l'humour dans une certaine forme de terrorisme », dixit
Dieudo. Ce n'est pas son ex-collègue qui dirait ça ! Élie Semoun se prend pour
un chanteur de bossa-nova alors que c'est l'un des pousseurs de chansonnette qui
chante le plus faux au monde, au point qu'il faille lui rajouter une chanteuse
professionnelle pour redresser jusqu'à un semblant de justesse sa petite voix
de châtré prétentieux. Car il en faut de la prétention pour susurrer de telles
bluettes pseudo-brésiliennes, pompées et mal pompées sur tout ce qui s'est déjà
fait à Rio de Janeiro depuis cinquante ans. Grotesque Élie qui se prend beaucoup
plus au sérieux que Dieudonné en se proclamant avec fausse modestie « chanteur
de charme », et si pointilleux sur la question of course. Le crooner contre
l'antisémite, voilà leur nouveau duo. À hurler de rire. Le rossignol aphone
s'est même fendu d'une lettre dans Libération où il fait la leçon à son ancien
bouffon. Dieudonné a envoyé sa mère pour répondre (dans une autre lettre
ouverte) au chantonneur sentimental ; elle lui a bien rivé son clou d'hypocrite
en dédouanant son fils métis, comme toute mère bretonne qui se respecte sait le
faire. Parfait remontage de bretelles. A l'antisémitisme, la maman du monstre
oppose le judéo-centrisme aussi dévastateur. Ah ! Mme M'Bala M'Bala a bien dû
lui retourner le coeur, au stakhanoviste des petites annonces !
.../...
Oui, Dieudonné est borderline comme a dit Fogiel avant de danser un slow tout
contre le vilain Noir, et après son sketch pas drôle. On dirait qu'il est
soudain le seul borderline de l'histoire de l'humour ! Sommés de donner leur
avis (négatif) sur le dérapage dieudonnesque, les professionnels du rire
deviennent soudain très graves quand on leur rediffuse, à titre d'exemples, les
sketches des grands anciens du borderline. Coluche, Desproges, Bedos n'arrachent
plus un sourire aux nouveaux profs de morale qui sont censés connaître mieux que
personne les limites du rire. Ils se forcent à ne pas se marrer pour ne pas
avoir l'air de couvrir l'infâme Dieudonné ! Est-ce que ça ne les fait plus rire
aujourd'hui ou est-ce qu'ils ont honte d'avoir ri hier ? La vérité, c'est qu'il
ne faut plus rire aujourd'hui de ce qui faisait rire hier. La célèbre formule de
Desproges s'allonge de semaine en semaine : « On peut rire de tout mais pas avec
n'importe qui, n'importe quand, n'importe comment, n'importe où, n'importe
pourquoi... » Que Dieudonné se console... À Dostoïevski aussi on a interdit de
se produire en spectacle. Au moment où son affaire éclate, le troisième tome de
la correspondance du grand Russe qui vient de sortir est immédiatement dénoncé
par la presse littéraire comme « antisémite ». Oui ! Un recueil précieux de
lettres du père des Frères Karamazov boycotté par les libraires... Personne
n'est à l'abri ! Neuf cents pages du plus grand écrivain de tous les temps
passent à l'as à cause de quelques lignes sur les Juifs écrites en 1877 à
Saint-Pétersbourg ! On ne rêve pas, c'est le début du siècle.
Marc-Edourd Nabe