Article 31
Ne pourront aussi les esclaves être partie ni être en jugement ni en matière civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle, sauf à leurs maîtres d’agir et de défendre en matière civile, et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été commis contre leurs esclaves.
Article 32
Pourront les esclaves être poursuivis criminellement sans qu’il soit besoin de rendre leur maître partie, sinon en cas de complicité ; et seront les dits esclaves jugés en première instance par les juges ordinaires et par appel au Conseil souverain sur la même instruction, avec les mêmes formalités que les personnes libres.
Article 33
L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.
Article 34
Et quant aux excès ou voies de fait qui seront commis par les esclaves contre les personnes libres, voulons qu’ils soient sévèrement punis, même de mort s’il y échet.
Article 35
Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, bœufs et vaches qui auront été faits par les esclaves, ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort, si le cas le requiert.
Article 36
Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, cannes de sucre, pois, mil, manioc ou autres légumes faits par les esclaves seront punis selon la qualité du vol, par les juges, qui pourront s’il y échet les condamner à être battus de verges par l’exécuteur de la haute justice, et marqués d’une fleur de lis.
Article 37
Seront tenus les maîtres en cas de vol ou d’autre dommage causé par leurs esclaves, outre la peine corporelle des esclaves, de réparer le tort en leur nom, s’ils n’aiment pas mieux abandonner l’esclave à celui auquel le tort a été fait ; ce qu’ils seront tenus d’opter dans les trois jours, à compter du jour de la condamnation, autrement ils en seront déchus.
Article 38
L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule ; et s’il récidive une autre fois à compter pareillement du jour de la dénonciation, aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort.
Article 39
Les affranchis qui auront donné retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs seront condamnés par corps envers leurs maîtres en l’amende de trois cents livres de sucre par chacun jour de rétention ; et les autres personnes libres qui leur auront donné pareille retraite, en dix livres tournois d’amende pour chaque jour de rétention.
Article 40
L’esclave puni de mort sur la dénonciation de son maître, non complice du crime par lequel il aura été condamné, sera estimé avant l’exécution par deux principaux habitants de l’île qui seront nommés d’office par le juge ; et le prix de l’estimation sera payé au maître ; et pour à quoi satisfaire, il sera imposé par l’intendant sur chacune tête des nègres payant droits la somme porté par l’estimation, laquelle sera régalée sur chacun des dits nègres, et levée par le fermier du Domaine royal d’Occident pour éviter à frais.
Article 41
Défendons aux juges, à nos procureurs et aux greffiers de prendre aucune taxe dans les procès criminels contre les esclaves, à peine de concussion.
Article 42
Pourront seulement les maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verges ou de cordes ; leur défendons de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membre, à peine de confiscation des esclaves et d’être procédé contre les maîtres extraordinairement.
Article 43
Enjoignons à nos officiers de poursuivre criminellement les maîtres ou les commandeurs qui auront tué un esclave sous leur puissance sous leur direction, et de punir le meurtre selon l’atrocité des circonstances ; et en cas qu’il y ait lieu de l’absolution, permettons à nos officiers de renvoyer tant les maîtres que les commandeurs absous, sans qu’ils aient besoin d’obtenir de nous lettres de grâce.
Article 44
Déclarons les esclaves être meubles, et comme tels entrer en la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers sans préciput ni droit d’aînesse, ni être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni aux retranchements des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort ou testamentaire.
Article 45
N’entendons toutefois priver nos sujets de la faculté de les stipuler propres à leurs personnes et aux leurs de leur côté et ligne, ainsi qu’il se pratique pour les sommes de deniers et autres choses mobiliaires.
Article 46
Dans les saisies des esclaves seront observées les formalités prescrites par nos Ordonnances et les coutumes pour les saisies des choses mobiliaires. Voulons que les deniers en provenant soient distribués par ordre des saisies, ou, en cas de déconfiture, au sol la livre, après que les dettes privilégiées auront été payées, et généralement que la condition des esclaves soit réglée en toute affaires, comme celle des autres choses mobiliaires, aux exceptions suivantes.
Article 47
Ne pourront être saisis et vendus séparément le mari de la femme et leurs enfants impubères, s’ils sont tous sous la puissance du même maître ; déclarons nulles les saisies et ventes séparées qui en seront faites, ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sur peine contre ceux qui feraient les aliénations d’être privés de celui ou de ceux qu’ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplément de prix.
Article 48
Ne pourront aussi les esclaves travaillant actuellement dans les sucreries, indigoteries et habitations, âgés de quatorze ans et au-dessus jusqu’à soixante ans, être saisis pour dettes, sinon pour ce qui sera dû du prix de leur achat, ou que la sucrerie ou indigoterie, ou habitation dans laquelle ils travaillent, soient saisies réellement ; défendons, à peine de nullité, de procéder par saisie réelle et adjudication par décret sur les sucreries, indigoteries ni habitations, sans y comprendre les esclaves de l’âge susdit et y travaillant actuellement.
Article 49
Les fermiers judiciaires des sucreries, indigoteries ou habitations saisies réellement conjointement avec les esclaves seront tenus de payer le prix entier de leur bail : sans qu’ils puissent compter parmi les fruits qu’ils percevront les enfants nés des esclaves pendant le bail.
Article 50
Voulons, nonobstant toutes conventions contraires que nous déclarons nulles, que les dits enfants appartiennent à la partie saisie, si les créanciers sont satisfaits d’ailleurs, où à l’adjudicataire, s’il intervient un décret ; et à cet effet mention sera faite, dans la dernière affiche avant l’interposition du décret, des dits enfants nés des esclaves depuis la saisie réelle ; que dans la même affiche il sera fait mention des esclaves décédés depuis la saisie réelle dans laquelle ils étaient compris.
Article 51
Voulons, pour éviter aux frais et aux longueurs des procédures, que la distribution du prix entier de l’adjudication conjointe des fonds et des esclaves, et de ce qui proviendra du prix des baux judiciaires, soit faite entre les créanciers selon l’ordre de leurs privilèges et hypothèques, sans distinguer ce qui est pour le prix des fonds d’avec ce qui est pour le prix des esclaves.
Article 52
Et néanmoins les droits féodaux et seigneuriaux ne seront payés qu’à proportion du prix des fonds.
Article 53
Ne seront reçus les lignagiers et seigneurs féodaux à retirer les fonds décrétés, s’ils ne retirent les esclaves vendus conjointement avec les fonds, ni les adjudicataires à retenir les esclaves sans les fonds.
Article 54
Enjoignons aux gardiens nobles et bourgeois, usufruitiers amodiateurs et autres jouissants des fonds auxquels sont attachés des esclaves qui travaillent, de gouverner les dits esclaves comme bons pères de famille sans qu’ils soient tenus après leur administration de rendre le prix de ceux qui seront décédés ou diminué par maladies, vieillesse ou autrement sans leur faute, et sans qu’ils puissent aussi retenir comme fruits à leurs profits les enfants nés des esclaves durant leur administration ; lesquels nous voulons être conservés et rendus à ceux qui en seront les maîtres et propriétaires.
Article 55
Les maîtres âgés de vingt ans pourront affranchir leurs esclaves par tous actes entre vifs ou à cause de mort, sans qu’ils soient tenus de rendre raison de leur affranchissement, ni qu’ils aient besoin d’avis de parents, encore qu’ils soient mineurs de vingt-cinq ans.
Article 56
Les esclaves qui auront été faits légataires universels par leurs maîtres, ou nommés exécuteurs de leurs testaments, ou tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés, les tenons et réputons pour affranchis.
Article 57
Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles leur tenir lieu de naissance dans nos îles, et les esclaves affranchis n’avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos sujets naturels dans notre royaume, terres et pays de notre obéissance, encore qu’ils soient nés dans les pays étrangers.
Article 58
Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et à leurs enfants ; en sorte que l’injure qu’ils leur auront faite soit punie plus grièvement, que si elle était faite à une autre personne. Les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre, tant sur les personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons.
Article 59
Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ; voulons que le mérite d’une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets.
Article 60
Déclarons les confiscations et les amendes, qui n’ont point de destination particulière par ces présentes, nous appartenir, pour être payées à ceux qui se sont préposés à la recette de nos revenus. Voulons néanmoins que distraction soit faite du tiers des dites confiscations et amendes au profit de l’hôpital établi dans l’île où elles auront été adjugées. Si donnons en mandement à nos amés et féaux les Gens tenant notre Conseil souverain établi à la Martinique, Gade-Loupe, Saint-Christophe, que ces présentes ils aient à faire lire, publier et enregistrer, et le contenu en elles garder et observer de point en point selon leur forme et teneur, sans convenir ni permettre qu’il y soit contrevenu en quelque sorte et manière que ce soit, nonobstant tous édits, déclarations, arrêts et usages, auxquels nous avons dérogé et dérogeons par ces dites présentes. Car tel est notre bon plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre scel. Donné à Versailles au mois de mars mil six cent quatre-vingt-cinq, et de notre règne le quarante deuxième. Signé Louis. Et plus bas, par le Roi, Colbert. Visa, Le Tellier. Et scellé du grand sceau de cire verte, en lacs de soie verte et rouge.
PS. Bibliographie : Le Code Noir, Louis Sala-Molins, Presses Universitaires de France