Propositions de réformes institutionnelles :
Rendre la République aux citoyens, installer la citoyenneté au cœur de la République !
Près de six ans après l’alternance politique qui avait mobilisé tant d’énergies et suscité tant d’espoirs, c’est l’évidence que les changements escomptés ne sont même pas en vue ; et l’amertume a gagné le cœur et l’esprit de la majorité de nos concitoyens, entraînant chez la plupart désaffection et suspicion, si non mépris, à l’égard de la politique et de ceux qui la font. La conclusion s’impose, donc, que le Sénégal est malade.
Ce désenchantement de la population, à l’analyse, est largement imputable à des malformations du Pouvoir dit de l’alternance et à ses pratiques. L’histoire retiendra que pour notre part, en son temps, nous nous étions lucidement et fermement démarqué du vaste consensus qui a présidé à l’adoption de la Constitution de 2001, conçue par le Pouvoir alors tout neuf, et qui régit aujourd’hui notre vie politique. Dans la perspective du changement auquel nous oeuvrons, je considère que la réforme des Institutions de notre pays est un préalable indispensable. Le mal sénégalais a d’abord des racines institutionnelles. Ses symptômes sont connus :
- une omnipuissance du Président de la République qui projette son ombre et a pratiquement la haute main sur le fonctionnement de toutes les autres Institutions : Assemblée Nationale, Cours et Tribunaux, Corps de contrôle, Administration et même Collectivités décentralisées.
- une marginalisation du Parlement, dont la relégation n’a jamais été aussi marquée que sous le « régime de l’alternance », dont l’avènement se recommandait pourtant de la nécessité de rendre le pouvoir à la Nation, source de la légitimité politique ;
- une dévalorisation du pouvoir judiciaire, institution dont le dénuement n’a d’égal, aux yeux de nombre de nos concitoyens, que l’« instrumentalisation » par le pouvoir politique ;
- un affaiblissement des corps de contrôle de l’exécution de missions publiques ;
- un « pouvoir local » confisqué par des hommes plus sensibles à leurs attaches partisanes qu’à la promotion de l’intérêt des populations ;
- un divorce entre les citoyens et la politique.
Sur la base d’un tel diagnostic, je considère que la réforme des Institutions doit satisfaire à trois exigences :
1- Rééquilibrer les pouvoirs pour un meilleur fonctionnement du régime politique
2- Renforcer l’indépendance et les moyens de la Justice et des corps de contrôle
3- Rendre le pouvoir aux citoyens en ouvrant la politique à de nouveaux acteurs
Chacun de ces trois impératifs renvoie à des réformes précises.
1. Rééquilibrer les pouvoirs pour un meilleur fonctionnement de notre régime politique
L’une des plus grandes revendications de l’opposition sénégalaise avant l’alternance a été l’instauration d’un « régime parlementaire » dans notre pays. Si la Constitution de 2001 n’a pas totalement tourné le dos à cette aspiration, elle n’a certainement pas réussi à susciter les ruptures escomptées. D’un point de vue formel en effet, elle ne se distingue point de la Constitution qui la précède, toutes deux consacrant bien la quintessence du « régime parlementaire ».
Mais sur le fond, surtout, le texte s’est avéré impuissant à fonder une nouvelle pratique du pouvoir, qui était bien le but recherché.
Ce constat doit mener à une conclusion. C’est la nécessité d’éviter, désormais, d’aborder ce débat sur la Constitution en termes généraux, en termes quelque peu simplistes d’instauration de tel ou tel « régime ». Il convient d’être plus concret, plus pratique et moins « systématique » dans l’approche. C’est pourquoi, tout en restant conscient que le mal sénégalais se trouve dans nos choix constitutionnels, je propose, non un « régime », mais des réformes précises, qui sont les suivantes :
Pour le Président de la République
a) suppression de l’article 38 de la Constitution : le Président de la République cesserait d’être un chef de Parti politique. Tout le monde sait le tort que cette disposition a fait à notre vie politique. Le chef de l’Etat s’est impliqué dans des enjeux partisans, l’Etat a été utilisé à des fins partisanes, le Palais de la République s’est transformé en « siège » du parti au pouvoir.
La charge de Président de la République, de Président de l’Assemblée Nationale ou de membre du Gouvernement serait incompatible avec l’exercice de toute autre fonction, publique ou privée, même élective ;
b) suppression de l’article 42 de la Constitution : le Président de la République ne déterminerait plus la politique de la Nation. La raison d’une telle suppression est simple : dans l’hypothèse où il perdrait la majorité au Parlement, le chef de l’Etat serait dans l’impossibilité politique d’exercer ce droit puisque cette politique est approuvée ou soutenue par une majorité parlementaire, d’où le Premier ministre serait en principe issu.
Faut-il alors, comme dans les régimes parlementaires authentiques, reconnaître ce pouvoir de détermination au chef du Gouvernement ?
J’ai pensé qu’il n’était pas nécessaire d’aller jusque-là, compte tenu du fait qu’une telle disposition pouvait, en remettant explicitement le pouvoir au Premier ministre face à un Président doté d’une légitimité populaire et élu au suffrage universel direct, et qui l’a lui-même choisi dans son propre camp, créer la tentation d’une émancipation du chef du Gouvernement et un risque de conflit avec le Président de la République.
De façon encore plus décisive, il est apparu, au fond, que celui qui détermine la politique nationale est tout simplement celui qui a la majorité parlementaire. C’est dire qu’il s’agit là d’une affaire de conjoncture politique, que la Constitution ne peut à l’évidence pas régir. Il est donc proposé, sur cette question aléatoire, de s’en tenir à la conjoncture et à l’esprit du régime parlementaire que constitue à cet égard, le nôtre ;
c) modification de l’article 51 : les projets de référendum du Président de la République seraient désormais soumis à l’ « avis conforme » de la Haute Cour constitutionnelle. Ainsi, la formulation de toute question référendaire devrait être conforme à la Constitution, ce qui serait un moyen d’éviter une violation de celle-ci par le Président de la République s’appuyant sur une « volonté populaire » viciée ;
d) suppression de l’article 52 de la Constitution : il prévoit des « pouvoirs de crise » pour le Président de la République, lesquels peuvent s’avérer très dangereux pour les libertés et la démocratie. J’estime que la possibilité, qui existe déjà, de déclencher l’ « état de siège » et l’ « état d’urgence » suffit à pallier la menace qui justifie l’existence de l’article 52 ;
e) le pouvoir de nomination du chef de l’Etat, extrêmement large dans l’actuelle Constitution, serait réduit. D’autres instances interviendraient pour la nomination aux emplois civils (déterminer par une loi la liste des emplois dont la nomination est pourvue par le Président de la république en conseil des ministres – il s’agirait des hauts emplois- et réserver le reste au Premier ministre), des membres de la Haute Cour constitutionnelle et de la CENA (Parlement et professions judiciaires).
f) Les pouvoirs du chef de l’Etat seraient désormais les suivants :
- nomme le Premier ministre
- met fin aux fonctions du Premier ministre
- nomme à des emplois civils (pouvoir partagé avec le PM en vertu d’une liste établie par une loi)
- nomme à tous les emplois militaires (du fait de sa qualité de chef des Armées)
- signe les ordonnances et les décrets (sous réserve du respect des pouvoirs du PM en la matière)
- responsable de la Défense nationale
- accrédite les ambassadeurs
- a le droit de faire grâce
- recourt au référendum (sous réserve de l’avis conforme de la Haute Cour constitutionnelle)
- a l’initiative des lois
- a le droit de dissolution de l’Assemblée Nationale
Pour le Premier Ministre
a) Droit de déterminer la politique de la Nation, dès lors qu’il n’est pas du même camp que le Président de la République. C’est une conséquence logique du régime que nous avons choisi. Il est clair que dans une telle hypothèse, le Président de la République devrait « s’effacer » et laisser le PM gouverner ;
b) modification de l’article 77 : le Parlement n’habiliterait plus le Président de la République, mais bien le Gouvernement, à « intervenir dans des matières qui sont du domaine de la loi ». Dans la mesure où il a vocation à gouverner, et qu’il est l’interlocuteur naturel des députés, il est normal que ce soit le chef du Gouvernement qui soit l’attributaire d’une telle habilitation ;
c) le PM aurait un pouvoir règlementaire indépendant de celui du chef de l’Etat. C’est par là qu’il acquiert les moyens juridiques, normatifs, de gouverner ;
d) Le PM aurait un pouvoir de nomination à des emplois civils. C’est aussi une nécessité pour gouverner. Le partage d’une telle compétence avec le chef de l’Etat serait précisé, dans ses modalités, par une loi ;
e) Le PM aurait des pouvoirs en matière diplomatique. Il signerait et « approuverait » les « accords », alors que le chef de l’Etat se chargerait de la « ratification » des « traités en forme solennelle ». Les bases d’une telle répartition existent aujourd’hui, elles ne sont pas cependant « exploitées » ;
f) Le PM disposerait d’un délai de 3 mois pour faire sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Ce délai existe dans le Règlement Intérieur de l’Assemblée mais il n’est pas spécifié dans la Constitution.
Pour l’Assemblée Nationale
a) Suppression du scrutin majoritaire à un tour au niveau départemental. Instauration d’un système mixte : 1/3 des députés serait élu à la proportionnelle intégrale sur des listes nationales et 2/3 des membres composants l’Assemblée Nationale au scrutin uninominal à deux tours, dans les circonscriptions délimitées de façon pertinente suivant le critère de population ;
b) gratuité du mandat de député, mais paiement d’indemnités de session (plafonnées pour éviter des abus) et amélioration des conditions matérielles de travail des députés ;
c) modification de l’article 82 : les députés ne se verraient plus opposer, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, l’irrecevabilité de leurs propositions et amendements ayant des incidences financières. Ils pourraient surmonter cette irrecevabilité soit en proposant des recettes compensatrices ou des économies équivalentes, soit en approuvant, par une majorité qualifiée des 3/5, la proposition qui leur est faite ;
d) obligation juridique que toute opération de maintien de la paix ou tout envoi de troupes à l’étranger donne lieu à un débat, pas forcément suivi de vote, à l’Assemblée. Ce serait à la fois le moyen de concrétiser une compétence (l’organisation de la Défense nationale relève de la loi) et d’informer la Nation sur les enjeux en cause ;
e) modification de l’article 73 : suppression de l’exigence de la majorité qualifiée des 3/5 en cas de seconde délibération demandée par le Président de la République à l’Assemblée nationale. L’alourdissement des conditions d’adoption de la loi ici donne l’impression que la volonté de l’Exécutif pèse dans l’accomplissement de la fonction législative ;
f) obligation de voter la loi de règlement durant le premier semestre de l’année suivant l’exécution du budget comme y invite les dispositions du Droit communautaire (UEMOA) et la nouvelle loi organique relative aux lois de finances de 2001. Il faut revenir à cette formalité presque oubliée aujourd’hui, qui est le vote de la loi de règlement. C’est par ce vote que les députés vérifient la régularité de l’usage des pouvoirs qu’ils ont consentis au Gouvernement en votant la loi de finance.
Pour le CRAES
Suppression de l’actuel CRAES et retour au « Conseil Economique et Social ». L’apport de cet organe, en termes d’éclairage des décisions politiques et d’expression des préoccupations des milieux socioprofessionnels, est indéniable. Il nous semble incontestablement plus utile et moins coûteux que l’institution qui a eu la vocation de le remplacer.
II. Renforcer l’indépendance et les moyens de la Justice et des corps de contrôle
Pour le Conseil Supérieur de la Magistrature
a) Un Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) détaché de l’autorité politique : Retirer la disposition selon laquelle le Président de la république est le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ni le chef de l’Etat, qui le préside actuellement, ni un « Garde des Sceaux », n’y seraient présents. L’instance qui gère la carrière des Magistrats serait uniquement composée de professionnels, magistrats. C’est là une implication de la volonté de rendre la Justice indépendante du pouvoir politique. Les pouvoirs du CSM doivent être renforcés – gestion de la carrière administrative des magistrats, élaboration du budget à allouer au pouvoir judiciaire et annexé au budget général, le Président du CSM – celui de la Cour de Cassation – serait l’ordonnateur du budget.
g) un Ministère chargé des Relations avec les Institutions (Judiciaires et législatives) pourrait amplement suffire pour assurer les rapports fonctionnels entre les Pouvoirs. Il n’aurait ni le pouvoir d’administration des magistrats, ni celui d’intervenir dans le fonctionnement même du service public judiciaire. En d’autres termes, le cordon ombilical qui relie aujourd’hui la Justice au pouvoir politique serait rompu. Le Ministère chargé des relations avec les Institutions n’aurait qu’un droit de présence et une voix consultative aux délibérations du CSM (à l’exclusion des sessions consacrées aux questions disciplinaires) ;
h) développer les moyens de la Justice : recrutement massif de magistrats, greffiers et autres travailleurs de la Justice, construction de Palais de Justice, informatisation totale des greffes, réduction des délais de jugement et de délivrance.
Pour la Haute Cour Constitutionnelle (à la place du Conseil Constitutionnel)
a) augmentation du nombre de juges constitutionnels et diversification des autorités qui les nomment : 9 juges (et non plus 5), choisis selon les modalités suivantes : 3 par la famille des professions judiciaires (magistrats, avocats, notaires, huissiers), 2 par les Universités, 2 par le Parlement et 2 par le pouvoir exécutif. Ces 4 derniers juges seraient choisis en raison de leurs compétences techniques, ils ne seraient pas nécessairement issus du milieu politique. Le chef de l’Etat nommerait formellement ces juges, mais leurs noms seraient proposés par les instances citées ;
b) Elargissement des compétences de la Haute Cour Constitutionnelle à tous les actes du législateur faisant grief, à ceux de l’exécutif portant atteinte aux droits fondamentaux et à tout conflit de nature constitutionnelle ne pouvant pas être tranché par une autre juridiction ;
c) possibilité pour la Haute Cour Constitutionnelle de donner des avis consultatifs, sous réserve que ceux –ci ne portent pas sur l’opportunité politique, ou sur un projet de décision. La requête aux fins d’avis doit porter sur une question de droit pur, les modalités pourraient en être précisées ;
d) Réinstaurer le contrôle obligatoire de constitutionnalité des lois organiques.