La bataille des Plaines annulée pour raisons de sécurité Antoine Robitaille
Édition du mercredi 18 février 2009
Mots
clés : André Juneau, Commission des champs de bataille nationaux,
Commémoration de la bataille des plaines d'Abraham, Histoires, Québec
(ville), Québec (province)
Québec -- De peur que des souverainistes «extrémistes» cassent ou
incendient des campements de «soldats», la Commission des champs de
bataille nationaux (CCBN) a annoncé hier qu'elle annulait la
reconstitution des affrontements de 1759 et 1760 entre la France et
l'Angleterre, à laquelle 2000 à 3000 personnes devaient participer, à
la fin juillet, sur les plaines d'Abraham.
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«Compte tenu des excès de langage enregistrés ces derniers jours
et des menaces faites par médias interposés, nous ne pouvons, en tant
que gestionnaires responsables, risquer de compromettre la sécurité des
familles et des enfants qui pourraient assister à l'événement», a
déclaré André Juneau, président de la CCBN, en conférence de presse
hier.
Pratiquement silencieux depuis deux semaines alors que le débat
faisait rage dans les médias, M. Juneau a soutenu hier qu'il voulait
éviter une confrontation qui aurait pu rapidement dégénérer en tempête
de «poivre de Cayenne», lorsque, par exemple, des policiers auraient
voulu déloger les sit-in annoncés. «On ne voulait pas que ça devienne
un affrontement. Il y en a eu un en 1759 et en 1760. On ne veut pas en
avoir un autre!»
Selon M. Juneau, «des souverainistes» sont responsables du
«dérapage politique» du débat. Pas l'ensemble du mouvement, a-t-il
indiqué, mais «les deux groupes qui nous ont fait des menaces, [...]
s'associent d'eux-mêmes au mouvement souverainiste». Il a reproché à la
chef péquiste Pauline Marois d'avoir affirmé qu'une reconstitution
organisée par un organisme québécois et non fédéral aurait été
acceptable.
Quant aux réticences d'une figure de proue fédéraliste comme le
premier ministre Jean Charest, qui a dit dès la mi-janvier qu'il ne
souhaitait pas participer à l'événement et se demandait où la CCBN
«s'en allait avec ça», M. Juneau semblait avoir du mal à se les
expliquer. «C'est vrai qu'il a dit ça. Mais c'était parce qu'il n'était
pas informé», a soutenu M. Juneau.
Juneau n'a aucun regret
Semblant amer, M. Juneau estime que la première version de la
programmation a été rejetée injustement. La reconstitution de la
bataille «restait une bonne idée», selon lui, et s'apparentait à une
sorte de grande représentation à la fois théâtrale et pédagogique,
comme La Fabuleuse Histoire d'un royaume, qui raconte l'épopée du
Saguenay-Lac-Saint-Jean. Cette reconstitution aurait été bénéfique au
tourisme à Québec: «On attendait 100 000 personnes», a-t-il dit.
Le représentant du Corps historique du Québec présent à la
conférence de presse, Stéphane Tremblay, a dit comprendre la décision
de la CCBN, mais a admis être un peu désemparé par celle-ci puisque les
groupes y travaillaient depuis au moins deux ans. Il a dit ignorer pour
l'instant si l'activité sera reprise ailleurs au Canada.
Illustration du caractère «festif» de la programmation, un bal
masqué, qui devait avoir lieu le 26 juin au parc des Braves, a été
aussi annulé et remplacé par une journée thématique baptisée «État de
guerre». M. Juneau a toutefois défendu cette idée finalement abandonnée
de tenir un bal. À ses yeux, il s'agissait essentiellement de présenter
un portrait de la vie à Québec à l'époque. «Une certaine aristocratie
menait à Québec un grand train de vie fait de bals, de rencontres
mondaines et de jeux de hasard.» Selon lui, les bals à l'époque ont
créé la zizanie entre Montcalm et Vaudreuil, ce qui a influé sur le
dénouement de la fameuse bataille du 13 septembre 1759.
Quant à l'affiche annonçant cette programmation où l'on voyait des
descendants des généraux Montcalm et Wolfe se serrant la main, elle a
été éliminée pour «tenir compte des susceptibilités». Le tollé suscité
par l'affiche Wolfe-Montcalm a surpris M. Juneau. Il a d'ailleurs admis
avoir sous-estimé «la sensibilité des gens» qu'il aurait crue moins
«élevée» après 250 ans.
Nouvelle programmation
La CCBN n'a pas renoncé à souligner le 250e anniversaire. Elle y
consacrera 320 000 $ à même son budget normal. La nouvelle
programmation est pratiquement identique à celle présentée en 2007, à
l'exception des trois éléments éliminés (reconstitution, bal masqué et
affiche). Bref, les expositions et colloques, les dévoilements de
mémoriaux se tiendront comme prévu. S'ajouteront des activités
organisées par diverses associations de descendants des soldats morts
au champ de bataille.
M. Juneau a affirmé n'avoir reçu aucune directive de la part de
Patrimoine Canada pour annuler la reconstitution et adopter une autre
programmation. Le ministre du Patrimoine, James Moore, a d'ailleurs dit
hier à Montréal que la décision était inévitable en raison du danger de
«violence extrême» qui planait sur Québec. «Je suis désappointé car les
menaces qui venaient d'éléments extrémistes du mouvement séparatiste
ont réussi à stopper un événement supporté [sic] par le maire et le
gouvernement du Québec. Le Bloc et les gens qui ont joué à la politique
avec cet événement au détriment de la ville de Québec et de l'histoire
canadienne ont créé du tort à Québec», a dit M. Moore.
Le Bloc a pour sa part accueilli «favorablement la décision» de la
CCBN, mais a dénoncé le «motif invoqué» par M. Juneau. Selon la députée
Christiane Gagnon, «il s'agit d'une opération de visibilité pour le
gouvernement fédéral, qui visait à célébrer la Conquête anglaise».
Quant au chef libéral fédéral Michael Ignatieff, de passage à la
mairie de Québec hier, il a soutenu que la bataille des Plaines était
une «défaite» qu'il ne fallait pas fêter. Mais à ses yeux, il faut
toutefois se réjouir de ce qui est arrivé après cette défaite et qui
est «surprenant» à ses yeux, soit l'épanouissement des francophones en
Amérique du Nord. Il a accusé les souverainistes de vouloir «dominer un
débat libre» sur le sens à donner à l'histoire du pays. «Dans un Canada
libre, il y a parfois deux visions différentes de notre histoire.»
Opposants
Les principaux opposants, dont une quinzaine de représentants se
sont pointés à la conférence de presse, ont vu dans le recul de la CCBN
une demi-victoire. Insatisfaits, Impératif français et la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal ont décidé de maintenir leur
manifestation de dimanche midi à Ottawa. Ils demandaient hier à la CCBN
d'annuler l'ensemble des commémorations. «Aucun gouvernement
n'accepterait qu'un autre gouvernement vienne célébrer son patrimoine
national dans sa capitale nationale. C'est indécent, c'est
inacceptable», a déclaré Jean-Paul Perreault, d'Impératif français.
Patrick Bourgeois, du RRQ, a dénoncé le climat de provocation
instauré selon lui par la CCBN. Il a qualifié d'«odieux» le fait que le
président Juneau fasse porter les risques de violence sur le dos du
RRQ. «Moi, je ne suis pas plus responsable des menaces que des excités
indépendantistes ont formulées qu'André Juneau est responsable des
menaces de mort que moi j'ai reçues.»
Lorsqu'on lui a demandé si le cinéaste Pierre Falardeau,
sympathisant du RRQ, pouvait être à la source de ce climat, M.
Bourgeois a paru embêté. «Pierre, c'est Pierre. C'est sûr qu'on l'aime
beaucoup. C'est notre ami. Il travaille avec nous autres. Il fait [sic]
dans l'image. Mais des fois, ses images sont moins appropriées», a-t-il
noté.
***
Avec Isabelle Paré et Robert Dutrisac
Source: http://www.ledevoir.com/2009/02/18/234499.html?fe=6166&fp=381431&fr=133533