Ossétie: comprendre la nouvelle guerre du Caucase Par David Servenay | Rue89 | 08/08/2008 | 17H58
Hasard
ou ruse de guerre ? Les Géorgiens ont choisi la trêve olympique pour
lancer une vaste offensive dans la nuit de jeudi à vendredi sur
l’Ossétie du Sud. Selon les dernières dépêches,
l’armée géorgienne a pris, puis reperdu, le contrôle de la capitale
ossète. Des forces russes participent aux combats. D’où vient ce
conflit ? Quels en sont les enjeux ? Explicateur.Où se trouve l’Ossétie?
D’abord, ne pas confondre l’Ossétie du Nord et l’Ossétie du Sud. Les
deux territoires, situés sur les contreforts de la chaîne du Caucase, à
plus de 1000 mètres d’altitude, dans la zone des ex-républiques
soviétiques, ont pour point commun d’avoir subi au XXe siècle les
oukases des maîtres de Moscou. Staline a massivement déporté les
Ingouches, selon la bonne vieille méthode du diviser pour mieux régner.
Les deux territoires ont été formellement séparés au moment de
l’éclatement de l’URSS.
La République d’Ossétie du Nord-Alanie,
qui bénéficiait d’un statut de république autonome depuis les années
30, se retrouve alors directement rattachée à la Fédération de Russie.
C’est l’une des ex marches de l’Empire soviétique les plus
industrialisées de la région (mineraies, sidérurgie). Deux fois plus
petite, dix fois moins peuplée, la République d’Ossétie du Sud fut
rattachée à la Géorgie le 9 avril 1991, au moment de la déclaration
d’indépendance de cette dernière.
Grande comme deux fois la principauté de Monaco, l’Ossétie du Sud
est occupée par environ 100 000 habitants, dont beaucoup ont un
passeport russe. Au moment où la Géorgie tente de reprendre le contrôle
de la région, beaucoup vont fuir vers le Nord. En 1994, l’Ossétie du
sud proclame son indépendance, mais sans être reconnue par la
communauté internationale. La petite république se place alors
délibérément sous la coupe de Moscou. Elle a un Président, un Premier
ministre et sa monnaie officielle est le rouble. Quels enjeux dans ce territoire?
D’un côté, Moscou estime que l’Ossétie du Sud peut devenir une sorte
de cheval de Troie de l’occident dans la région. Ainsi, Vladimir
Poutine voit d’un très mauvais oeil le projet géorgien de rattachement
à l’Otan. Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Thomas
More, y voit d’ailleurs dans un récent article le prétexte pour justifier une intervention armée:
« Lors du sommet atlantique de Bucarest, du 2 au 4 avril
dernier, la décision de surseoir à la signature d’un Plan d’action pour
l’adhésion à l’Otan avec la Géorgie et l’Ukraine était justifiée, selon
les gouvernements allemand et français notamment, par la volonté
d’accorder du temps à Dmitri Medvedev, au seuil du Kremlin, et de
préserver les chances d’une solution diplomatique en Abkhazie et en
Ossétie du Sud. Il est malheureusement à craindre que la Russie ait
interprété ce report comme un acte de faiblesse et une incitation à
‘pousser les feux’. »
Derrière la géopolitique, on peut aussi déceler un enjeu autrement
plus lourd : le contrôle des routes du pétrôle et du gaz produits dans
la région. La proximité des champs pétrolifères de la mer caspienne,
mais surtout la position stratégique de ces petits territoires
permettant de faire passer les tuyaux d’approvisionnement en matières
premières vers la Turquie les rendent particulièrement précieux.
Aussi bien pour les Russes qui exploitent ces ressources par le
consortium Gazprom que pour les Européens, dont Total, qui ont
désormais de gros intérêts dans la région. Un point qui, pour
Jean-Sylvestre Mongrenier, permet aussi de comprendre la situation:
« Les capitaux de milieux proches du maire de Moscou,
Iouri Loujkov, de son épouse, l’une des plus grosses fortunes russes,
affluent dans les centres et infrastructures touristiques du littoral
abkhaze. En Ossétie du Sud, Gazprom construit un gazoduc, reliant la
Russie à cette portion du territoire géorgien, sans accord préalable
avec les autorités géorgiennes; il en est de même en Abkhazie, où
Gazprom négocie l’exploitation d’hydrocarbures ‘off shore’. Dans
chacune de ces entités, les trafics prospèrent. »
Pour le nouveau pouvoir à Moscou, cette guerre sera peut-être aussi
l’occasion d’une reconfiguration de l’équilibre des pouvoirs entre les
deux têtes de l’exécutuf russe.Le scénario de la radicalisation
Depuis quatre ans, Tbilissi (capitale de la Géorgie) essaie de
reconstituter son unité territoriale puisque, entre l’Ossétie du Sud et
l’Abkazie, c’est environ un tiers de son espace qui échappe à sa
tutelle. En 2004, l’élection d’un président nationaliste, Mikhaïl
Saakachvili, en Géorgie relance le débat autour de l’Ossétie. Un
premier référendum sur l’indépendance et le rattachement à la Russie
-approuvé par la majorité des votants- a lieu en 2006. Il n’est pas
reconnu par la communauté internationale. Résultat : la situation
empire. En avril dernier, Moscou reconnaît officiellement l’Abkhazie et
l’Ossétie du Sud. En juin, les Russes amassent des troupes en Abkhazie.
Depuis plusieurs semaines, les incidents se sont multipliés entre les
troupes géorgiennes et russes.
La nuit dernière, l’artillerie géorgienne a ouvert les hostilités.
L’armée russe n’a pas tardé à réagir en envoyant trois avions bombarder
un poste de police. Selon un porte-parole du ministère géorgien de
l’Intérieur :
« Trois Soukhoï-24 russes ont pénétré dans l’espace
aérien géorgien vendredi. L’un d’eux a lâché deux bombes à proximité
d’un poste de police à Kareli. »
Quant à Vladimir Poutine, en déplacement à Pékin pour la cérémonie
d’ouverture des Jeux, il a promis des « mesures de rétorsion ».
Pourquoi avoir choisi cette date pour déclencher les hostilités ? A
l’heure où le monde entier a les yeux tournés vers la Chine, les
protagonistes ont sûrement estimé qu’ils pourraient régler discrètement
leur querelle.
Enfin, le Conseil de sécurité de l’ONU,
qui s’est réuni la nuit dernière à la demande expresse de Moscou, n’a
pas réussi à se mettre d’accord sur une déclaration commune. D’après
l’ambassadeur russe aux Nations-Unies, certains membres du conseil
était réticent à accepter une référence à « la renonciation à l’usage
de la force ».
.grosinter {margin-bottom:10px; line-height:22px; font-weight: bold; font-size: 19px; color: #ff0000; border-bottom: 2px solid lightgrey}
- conflit
- diplomatie
- Géorgie
- Pétrole
- Russie
http://www.rue89.com/explicateur/ossetie-comprendre-la-nouvelle-guerre-du-caucase