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 Aminata Dramane Traoré, Alter mondialiste

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AuteurMessage
mihou
Rang: Administrateur
mihou


Nombre de messages : 8092
Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 28/05/2005

Aminata Dramane Traoré, Alter mondialiste Empty
02082008
MessageAminata Dramane Traoré, Alter mondialiste



Aminata Dramane Traoré, Alter mondialiste et ancien

















Aminata Dramane Traoré, Alter mondialiste Amidratraore2
Mme Aminata Dramane TRAORE (photo Bko Hebdo)

« Pour sauver le Mali et le continent nous nous devons […], de mettre à plat les démocraties au rabais… »
Bamako Hebdo : Votre dernier livre qui a été publié en janvier 2008 chez Fayard est intitulé "l'Afrique humiliée".
Quelle signification donnez-vous à ce titre ?
Ce livre fait suite à "l'Etau " que j'ai publié en 1999, au " Viol de l'imaginaire " paru en 2001 et à "La lettre au Président des Français sur la Côte d'Ivoire et l'Afrique en général ".
J'ai l'impression que nous en
sommes à présent au stade de l'humiliation dans la mesure où nous
continuons de subir les choix des autres, leurs approbations et leurs
sanctions.

Le discours de Nicolas Sarkozy en
juillet 2007 à Dakar est l'illustration parfaite de cette réalité. N'en
déplaise à sa plume Henri Gaino, c'est un discours de mépris ainsi
qu'une insulte qui en disent autant sur leur ignorance et leur
arrogance que sur notre démission à tous dans la défense des droits
politiques et économiques de ce continent.

Est-ce parce que
Nicolas Sarkozy s'adresse à la jeunesse africaine que vous avez choisi
de vous adresser aux étudiants de la FLASH (Faculté des Lettres,
Langues, Arts et Sciences Humaines) ?

J'ai été invitée par la FLASH à
présenter mon livre aux enseignants et aux étudiants et je m'en réjouis
; parce que j'ai hâte de partager le plus largement possible avec mes
compatriotes mes réflexions sur la nature de la mondialisation et les
enseignements que nous nous devons d'en tirer en tant que Maliens et
Africains.

Les enseignants comme les
étudiants souhaitent que nous poursuivions ce dialogue autour des
enjeux mondiaux, comme cela se passe dans d'autres universités en ce
moment. C'est extrêmement important en raison de la vitesse avec
laquelle se déroulent des changements qui sont en train d'engager notre
destin.

Bien que la situation de notre
continent soit particulièrement dramatique du fait du libéralisme
sauvage, les universités africaines ne parviennent encore à jouer
pleinement leur rôle dans l'analyse de cette situation et dans son
enseignement.

C'est l'Europe qui
humilie l'Afrique dans votre livre. Ne croyez-vous pas que les
dirigeants africains eux-mêmes ont leur part de responsabilité dans
cette humiliation ?

Bien sûr. Je ne cesse de déplorer
le fait que nos dirigeants qui savent parfaitement que nous sommes les
grands perdants de la mondialisation marchande se prêtent à ce jeu, se
laissent souvent imposer des choix contraires aux intérêts de leurs
peuples et se font sanctionner en cas d'échec.

Ils tendent une joue puis une
autre sans permettre à leurs peuples de comprendre parfaitement les
contraintes de l'ouverture au commerce mondial qui est plus déloyal.

Je consacre un chapitre à cette situation que j'appelle "le vide politique ".
Nous nous complaisons dans des semblants de démocratie puisque
l'essentiel du pouvoir est entre les mains des nations riches et
industrialisées qui en usent et en abusent. C'est le cas de l'Union
Européenne qui, d'un côté, tente de façonner nos institutions et nos
économies en fonction de ses intérêts et, de l'autre, organisent la
chasse aux victimes des politiques néolibérales qu'elle finance.

Plus grave est son ingérence dans
les élections pour qu'il y ait les hommes qu'il faut là où il faut. Ce
qui se passe au Zimbabwe est hautement édifiant à cet égard. Que
Bernard Kouchner aille jusqu'à exiger la nomination de Morgan
Tsvangirai comme Premier ministre ou vice président dépasse
l'entendement.

En réalité la démocratie a du
plomb dans l'aile en Europe d'où nous viennent les instructions et des
financements qui incitent les élites à la trahison. Il nous est
loisible de constater à la faveur de la construction européenne que les
citoyens européens sont désemparés par le manque de concertation et le
non respect de leur volonté par leurs dirigeants. Nicolas Sarkozy, qui
n'a apparemment pas compris le " non " des Français au traité constitutionnel, n'est-il pas allé demander aux Irlandais de revenir sur leur " non " à son mini traité ?

Qu'y a-t-il d'étonnant
lorsque lui et son ministre des affaires étrangères se montrent
intransigeants avec des dirigeants africains qui ne sont pas leurs
égaux, mais des obligés ?

Pour sauver le Mali et le
continent nous nous devons, toute affaire cessante, de mettre à plat
les démocraties au rabais dont nous nous sommes saisis et qui ne mènent
qu'à la pauvreté, à la subordination. Nous devons également nous
demander " à qui profite la croissance quand croissance il y a ?
Et pourquoi plus on parle de la lutte contre la pauvreté, plus nous
nous appauvrissons ? "

Au-delà de l'Europe, ce sont les
pays riches et industrialisés qui ne s'immiscent dans nos affaires que
pour légitimer et consolider leur domination politique et économique.
En 2005, les dirigeants des nations les plus riches qui se réunissaient
au sein du G8, ont étalé de long en large les difficultés de l'Afrique,
sa misère, la corruption etc… Ils étaient censés nous apporter après le
sommet de Gleneagles (en Ecosse) une aide substantielle qui a été fort
médiatisée. Ils traînent des pieds depuis lors.

Ils n'ont pas déboursé le tiers
des montants prévus en vue de remédier aux maux qu'ils prétendent
combattre. Ces promesses non tenues ne sont pas moins des moyens de
chantage. Comme nous avons pris goût à la mendicité, nos dirigeants à
qui ils offrent quelques strapontins lors de ces sommets n'y vont que
pour leur demander de tenir leurs promesses alors qu'il aurait été bon
de leur demander de cesser de nous piller.

La question centrale n'est pas
seulement celle du prix des matières premières. Elle se situe au niveau
de l'impérieuse nécessité pour l'Afrique de recentrer ses propres
efforts sur la transformation locale des matières premières, en créant
le maximum d'emplois et de garantir des salaires décents aux Africains.

En attendant nous ne sommes que
les pourvoyeurs des usines des autres en matières premières comme le
coton qui a un coût social et écologique de plus en plus élevé. Nous
sommes également des recycleurs des restes des pays riches ainsi que
des débouchés pour les produits asiatiques "bas de gamme".

Les citoyens électeurs doivent être éclairés quant à toutes ces questions essentielles.
Vous considérez que ces réalités relèvent de la recolonisation.Cette conclusion est-elle fondée ?

Totalement fondée. Je le souligne
dans tous mes essais : les luttes de libération de nos pays du joug
colonial sont restées inachevées. Nous sommes revenus à une situation
particulièrement dramatique au plan politique dans la mesure où nous
continuons de subir la domination des anciennes puissances coloniales
et leur prêtons main forte dans l'exploitation de nos richesses :
entreprises nationales à privatiser, matières premières, terres
agricoles et biens culturels.

Par le passé, le colon était bel
et bien présent. Il sévissait. Il était redouté et il a été
combattu parce qu'il agissait à visage découvert.

Dans le cadre de la guerre
économique qui sévit et qu'on appelle mondialisation, les puissants
subventionnent leur coton et nous nous trouvons dans le cas de notre
pays, dans une situation inextricable, où ni l'Etat ni les paysans ne
gagnent. Nous continuons malgré tout à revendiquer ce système qui nous
broie et à y croire.

Ceux qui, localement, participent
à cette mise à sac des économies locales n'ont, bien entendu, rien à
perdre. Il appartient aux autres de leur rappeler que le Mali n'est pas
une marchandise et qu'ils n'ont pas le droit de brader le patrimoine
national.

La responsabilité de notre
génération face à la criminalisation de l'émigration africaine dite
clandestine c'est de savoir si nous allons continuer à nous soumettre
et à contribuer à la ruine de nos pays, au nom d'un marché mondial
déloyal. L'aprêté des débats à l'Organisation Mondiale du Commerce
(OMC) quant au cycle de Doha prouve, s'il en était besoin, qu'il y a
bel et bien les divergences d'intérêts. A chacun de savoir défendre les
siens sur tous les plans, qu'il s'agisse des privatisations dont celle
de la CMDT(Compagnie Malienne de Développement des Textiles), des
organismes génétiquement modifiés (OGM) ou des agro carburants.


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Aminata Dramane Traoré, Alter mondialiste :: Commentaires

mihou
Re: Aminata Dramane Traoré, Alter mondialiste
Message Sam 2 Aoû - 15:46 par mihou
Il est grand temps que nous nous
donnions les moyens de diagnostiquer nos maux et de changer notre fusil
d'épaule parce que les dés sont pipés.

La liberté qu'ils nous accordent
est celle de nous entre déchirer en vue de porter au pouvoir les
dirigeants dont eux, les puissants ont besoin. Ils ne nous
reconnaissent pas par contre la liberté de choisir les politiques
économiques dont nous avons besoin, qui nécessite que les élus fassent
corps avec leurs peuples.

Tous les Africains qui ont accepté
des postes de responsabilités (surtout ceux qui sont passés par
l'agriculture, les finances, le commerce, l'industrie, l'énergie, les
mines…) savent très bien que nos marges de manœuvre sont limitées, ce
sont eux qui, en citoyens avertis et concernés, peuvent constituer des
groupes de réflexion indépendants et autonomes, porteurs d'alternatives
crédibles.

Vous êtes vraiment critique envers Nicolas Sarkozy. Pourquoi ?
Je ne veux pas personnaliser. Ce
n'est pas parce u'il s'appelle Nicolas Sarkozy que je critique sa
lecture et son interprétation des faits relatifs à l'Afrique. Je
m'étais déjà adressée au Président des Français à propos de la Côte
d'Ivoire et de l'Afrique en général. Notre histoire commune et
l'asymétrie des rapports de force qui en a découlé, poussent la France
à penser et à décider pour nous sans tirer les conséquences de cette
domination et cette ingérence.

L'histoire retiendra que Nicolas Sarkozy est non seulement l'inventeur de "l'immigration choisie" ainsi
que du Ministère de l'hostilité, mais qu'il est également celui qui
veut profiter de la présidence française de l'Europe pour inciter les
autres membres à durcir davantage les politiques migratoires
européennes.

La directive "retour" et le pacte européen sur l'immigration et l'asile sont les dernières traductions de ce durcissement.
Je me suis juste saisie de
certains aspects de son discours pour prouver qu'il se trompe de lieu
et d'histoire quand il parle de l'Afrique.

Alors, il me semblait surtout
important de rappeler que le gonflement des flux migratoires vers
l'Europe à partir de la fin de la décennie 80 est l'une des
conséquences des programmes d'ajustement structurel et d'une manière
générale de la nature extravertie du modèle économique imposé à nos
pays.
Comment voyez-vous l'émigration actuellement ?

L'émigration n'a rien de nouveau.
Et les Occidentaux sont bien placés pour savoir que les êtres humains
ont toujours bougé à la faveur des crises, des guerres, des épidémies.
Ils ont eux-mêmes émigré en Australie, en Afrique australe, au Canada,
aux USA en Amérique Latine.

Pour ce qui est des flux
migratoires en provenance de l'Afrique-Subsaharienne et du Maghreb,
c'est la France qui a balisé la voie en faisant appel aux
ressortissants de ses colonies en tant de guerre comme chair à canon et
après la deuxième guerre mondiale comme main d'œuvre malléable et
corvéable à merci.

Les écrits de Bakari Kamian sont
riches d'informations sur le courage et le dévouement des tirailleurs
sénégalais qui, en retour, n'ont eu droit qu'à des fausses promesses, à
l'humiliation et à la répression sanglante de Thiaroye.L'Afrique
humiliée, c'est aussi ce passé et la situation des enfants et des
petits enfants de ces soldats et de ces travailleurs qui, diplômés ou
pas n'ont souvent droit qu'à des emplois subalternes et à la vie de
ghetto.

La fin des trente glorieuses en
France a coïncidé avec la mise en œuvre des programmes d'ajustement
structurel qui se sont traduits dans nos pays par des suppressions
d'emplois, de bourses d'études et le recouvrement des coûts.

Cette évolution de la situation
dans les années 80 et 90 a largement contribué à jeter des millions de
travailleurs dans la rue et sur les routes de l'émigration vers
d'autres pays africains et parfois vers l'hémisphère Nord.

C'est ainsi que du Mali, du Niger,
du Sénégal, du Cameroun, des jeunes se lèvent, comme s'ils s'étaient
passé le mot et se dirigent vers l'Europe et d'autres zones de
concentration des richesses.
Que faire ?

La difficulté majeure réside dans
le divorce entre un leadership souvent acquis à la logique du profit et
l'immense majorité de la population qui subit les conséquences du
capitalisme mondialisé sans savoir pourquoi ils s'appauvrissent et
meurent à petit feu.

Le mécontentement atteint parfois un tel degré qu'il suffit de la moindre étincelle pour que tout s'embrase.
Les réfugiés économiques qui sont
les victimes des politiques néolibérales et les demandeurs d'asile
politique se retrouvent dans la même quête d'ailleurs et subissent les
mêmes politiques migratoires expressives.

Le Mali a eu jusqu'ici le mérite d'adopter une position qui l'honore. Elle consiste à ne pas signer "les accords de réadmission " que
la France propose aux pays d'origine des migrants contraints à la
clandestinité. Parce qu'il s'agit de lui prêter main forte dans
l'identification de nos compatriotes qu'ils ont envie d'éjecter.

Le panier de la
ménagère est de moins en moins fourni. Les pauvres en sont les
principales victimes malgré les mesures préconisées par l'Etat.
Qu'est-ce que cette situation vous inspire ?

A mon avis, nos pays ont investi
dans une agriculture qui devait garantir des devises à l'Etat (le cas
du coton au Mali et d'autres produits agricoles ailleurs). Ce faisant,
ils ont souvent marginalisé l'agriculture vivrière. Tant que le prix
payé aux producteurs de cultures commerciales et les salaires des
travailleurs leur permettaient de s'approvisionner en denrées
alimentaires à un prix raisonnable tout se passait dans le calme. Tel
n'est plus le cas. Et ce sont les couches sociales vulnérables qui
souffrent le plus.

Cette crise est une occasion
privilégiée de nous poser des questions sur ce que nous mangeons.Je ne
peux pas porter de jugement sur l'opération riz mise en œuvre compte
tenu du facteur de temps, des contraintes liées à l'approvisionnement
en intrants, la rigueur requise de l'ensemble des acteurs dans la
gestion des ressources. De toutes les manières, le défi alimentaire qui
nous interpelle n'est pas l'affaire d'une saison, on est parti pour au
moins 10 années de difficultés d'après certaines sources.

Nous nous devons, de toutes les
manières, d'être vigilant(e)s vu tous ceux qui veulent profiter de
cette crise alimentaire pour enfoncer les douloureux clous des OGM. et
des agro carburants. La révolution verte prônée par Koffi Anan n'est
pas non plus la panacée. Il est extrêmement important de tirer tous les
enseignements de l'expérience asiatique.

Je crois que davantage de
clairvoyance et de solidarité mais aussi de confiance en nous-mêmes
devrait nous permettre de survivre au tournant actuel des relations
Nord-Sud.

Propos recueillis par Alou B HAIDARA1er Aout 2008
 

Aminata Dramane Traoré, Alter mondialiste

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