Voracité : un nouveau capitalisme s’installe, encore plus brutal et conquérant, Ignacio Ramonet.
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31 octobre 2007 Le Monde Diplomatique, novembre 2007.
Tandis que, contre
l’horreur économique, le discours critique - qu’on appela un temps
altermondialiste - s’embrouille et devient soudain inaudible, un
nouveau capitalisme s’installe, encore plus brutal et conquérant. C’est
celui d’une catégorie nouvelle de fonds vautours, les
private equities, des fonds d’investissement à l’appétit d’ogre disposant de capitaux colossaux [1].
Les noms de ces
titans - The Carlyle Group, Kohlberg Kravis Roberts & Co (KKR), The
Blackstone Group, Colony Capital, Apollo Management, Starwood Capital
Group, Texas Pacific Group, Wendel, Eurazeo, etc. - demeurent peu
connus du grand public. Et, à l’abri de cette discrétion, ils sont en
train de s’emparer de l’économie mondiale. En quatre ans, de 2002 à
2006, le montant des capitaux levés par ces fonds d’investissement, qui
collectent l’argent des banques, des assurances, des fonds de pension
et les avoirs de richissimes particuliers, est passé de 94 milliards
d’euros à 358 milliards ! Leur puissance de feu financière est
phénoménale, elle dépasse les 1 100 milliards d’euros ! Rien ne leur
résiste. L’an dernier, aux Etats-Unis, les principaux
private equitiesont investi quelque 290 milliards d’euros dans des rachats
d’entreprises, et plus de 220 milliards au cours du seul premier
semestre 2007, prenant ainsi le contrôle de huit mille sociétés...
Déjà, un salarié américain sur quatre - et près d’un salarié français
sur douze - travaille pour ces mastodontes [2].
La France est
d’ailleurs devenue, après le Royaume-Uni et les Etats-Unis, leur
première cible. L’an dernier, ils y ont fait main basse sur
quatre cents entreprises (pour
un montant de 10 milliards d’euros), et ils en gèrent désormais plus de
mille six cents. Des marques fort connues - Picard, Dim, les
restaurants Quick, Buffalo Grill, les Pages jaunes, Allociné ou
Afflelou - se retrouvent sous le contrôle de
private equities, le plus souvent anglo-saxons, qui lorgnent maintenant sur des géants du CAC 40.
Le phénomène de ces
fonds rapaces est apparu il y a une quinzaine d’années mais, dopé par
un crédit bon marché et à la faveur de la création d’instruments
financiers de plus en plus sophistiqués, il a pris ces derniers temps
une ampleur préoccupante. Car le principe est simple : un club
d’investisseurs fortunés décident de racheter des entreprises qu’ils
gèrent ensuite de façon privée, loin de la Bourse et de ses règles
contraignantes, et sans avoir à rendre compte à des actionnaires
pointilleux [3]. L’idée, c’est de contourner les principes mêmes de l’éthique du capitalisme en ne pariant que sur les lois de la jungle.
Concrètement, nous expliquent deux spécialistes, les choses se passent ainsi :
« Pour
acquérir une société qui vaut 100, le fonds met 30 de sa poche (il
s’agit d’un pourcentage moyen) et emprunte 70 aux banques, en profitant
des taux d’intérêt très faibles du moment. Pendant trois ou quatre ans,
il va réorganiser l’entreprise avec le management en place,
rationaliser la production, développer des activités et capter tout ou
partie des profits pour payer les intérêts... de sa propre dette. A la
suite de quoi, il revendra la société 200, souvent à un autre fonds qui
fera la même chose. Une fois remboursés les 70 empruntés, il lui
restera 130 en poche, pour une mise initiale de 30, soit plus de 300 %
de taux de retour sur investissement en quatre ans. Qui dit mieux [4] ? » Alors qu’ils
gagnent personnellement des fortunes démentielles, les dirigeants de
ces fonds pratiquent désormais, sans états d’âme, les quatre grands
principes de la « rationalisation » des entreprises : réduire l’emploi,
comprimer les salaires, augmenter les cadences et délocaliser.
Encouragés en cela par les autorités publiques, lesquelles, comme en
France aujourd’hui, rêvent de « moderniser » l’appareil de production.
Et au grand dam des syndicats, qui crient au cauchemar et dénoncent la
fin du contrat social.
Certains pensaient
qu’avec la globalisation le capitalisme était enfin repu. On voit
maintenant que sa voracité semble sans limites. Jusqu’à quand ?
Ignacio Ramonet Source :
Le Monde Diplomatique www.monde-diplomatique.fr
Denis Gautier-Sauvagnac, Medef : Le plus grand scandale de ce début de siècle éclate, par Gérard Filoche.
Le monde à rebours du libre marché, interview de Naomi Klein, par Benedetto Vecchi.
Note sur l’éclatement de la bulle immobilière américaine, par Isaac Johsua.