Tintin et Léopold
Pour fêter mon anniversaire, deux jours d’exil
à Bruxelles, pas fâché d’échapper au rugby gaulois. Mais devant
son plat de moules frites et son verre de Jupiler, difficile
de ne pas avoir une pensée pour le roi Léopold, dont les statues
ne sont pas près d'être déboulonnées. Rappelons que vers 1877
Léopold II de Belgique se mit en tête d’avoir une colonie
privée à civiliser. Son rêve se réalisa en 1884, date à laquelle
il se couronna roi du Congo et mit le pays en coupe réglée,
avec l’aval de ce qu’on appellerait aujourd’hui la «communauté
internationale», c’est-à-dire l’Occident civilisateur. De
1884 à 1908, réduisant une moitié de la population en esclavage
et massacrant l’autre moitié, il gagna assez d’argent grâce
à l’ivoire et au caoutchouc pour se faire en Belgique une
réputation de «roi bâtisseur». On estime le bilan à dix millions
de morts. Pour chaque balle utilisée, les hommes du roi devaient
revenir avec une main coupée comme justificatif. Cela devenait
un problème pour les munitions gaspillées à la chasse. Donc
on amputait les vivants. Réponse belge de Léopold II à ces
accusations : « Les mains coupées ? Mais c'est idiot ! Je
leur couperais bien tout le reste, mais pas les mains. C'est
la seule chose dont j'ai besoin au Congo !»
Pour ne pas aggraver mon cas, je n’ose parler de génocide.
Dix millions de morts, ce n’est pas un génocide, paraît-il.
Les morts «utiles» ne comptent pas. Même si Hanna Arendt a
osé faire des comparaisons avec d’autres événements ou personnages
du XXe siècle.
En tout cas, nombre d’édifices que fit construire le roi philanthrope,
peuvent encore être admirés dans la ville haute de Bruxelles.
En 1908, le Congo privé de Léopold devint le Congo belge et
on y instaura un système d’apartheid. Jusqu’en 1960.
Ceci étant, en Belgique, le droit de vote aux municipales
a été accordé aux étrangers en 2004 et en deux jours, je n’ai
croisé à Bruxelles que trois policiers en uniforme et sans
armes (deux étaient des femmes) ce qui change de Paris. Et
puis il y a ces deux tableaux majeurs de Rubens peints il
y a quatre siècles:
L’adoration des mages et la bouleversante
étude de «Maure». C’est comme ça qu’on disait en
1608, juste avant l’âge d'or de l'esclavage européen et donc
juste avant le racisme qui lui a servi d’alibi. Pas « noir
», «Maure». Je ne sais trop si à Bruxelles on aime vraiment
les Africains, mais en tout cas personne ne les a peints comme
Rubens d’Anvers.
À peine revenu de Belgique, je lis dans le journal que la
France est le premier importateur de bois exotique africain
et que 40 % de ce bois est abattu illégalement. Bigre ! Je
rappelle au passage, pour ceux qui n'ont pas lu mes livres,
que la fondation Napoléon doit tout aux menuiseries Lapeyre,
et BHL, beaucoup de choses à la Becob, la société paternelle
(rachetée par PPR). Lapeyre, la Becob, deux spécialistes français
du bois «exotique» africain.
http://www.claude-ribbe.com/blog.htm