René Burri: "Che Guevara était comme un lion en cage" Par Sid-Ahmed Hammouche (La Liberté) 12H33 29/09/2007
Evoquer
le nom du Che devant le photographe René Burri déclenche une avalanche
de souvenirs. Lors d'une rencontre à huis clos en 1963, le photographe
suisse l'a immortalisé dans un portrait devenu une icône dans le monde
entier, à retrouver dans une exposition à la galerie Esther Woerdehoff, à Paris. Entretien.
Comment avez-vous réalisé ce portrait du Che?En 1963, j'avais tout juste 30 ans quand j'ai débarqué avec Laura
Bergquist dans le bureau du Che, à La Havane. La journaliste américaine
avait réussi l'impossible en décrochant une interview avec le grand
révolutionnaire, trois mois après la crise des missiles.
La rédaction de Look avait reçu l'autorisation des autorités
américaines pour réaliser l'interview. En catastrophe, l'agence Magnum
avait dû dénicher un photographe, le soir de la Saint-Sylvestre, pour
partir à Cuba. J'ai aussitôt quitté Zurich pour Prague, où j'ai pris un
Iliouchine soviétique en provenance de Moscou pour La Havane.
Vous êtes arrivé à La Havane quelques jours avant le quatrième anniversaire de la révolution...C'était le 2 janvier 1963. Le peuple, qui soutenait le nouveau
régime, était fier de narguer les Américains. Surtout après l'épisode
de la baie des Cochons en 1961, qui marqua la cuisante défaite des Etats-Unis.
La rencontre avec le Che s'est déroulée dans son bureau du ministère
de l'Industrie. Un bâtiment au coeur de La Havane. J'ai revu l'endroit
au début de cette année, en marge de mon exposition. Rien n'a bougé. Le
mobilier est toujours le même, comme si on attendait le retour du Che.
Les dossiers, les papiers éparpillés sur le bureau, une immense carte
de la grande île des Caraïbes toujours accrochée au mur. Tout est resté
figé. L'esprit du Che hante toujours la pièce.
Cela a réveillé en vous le souvenir précis de votre unique rencontre...Il était en tenue de combat. Il paraissait très nerveux. Les stores
de son bureau étaient fermés. Le Che était comme un lion en cage. Je me
suis dit que ce révolutionnaire, qui avait parcouru toute l'Amérique
latine en moto, était impatient dans son bureau dominant la place de la
Révolution à La Havane.
J'ai vite remarqué qu'il n'aimait pas fixer l'objectif. Dans la
pénombre, j'ai vidé mes huit bobines. Le Che, colérique, fumait son
cigare. L'entretien avec la journaliste américaine a duré près de trois
heures. La rencontre a très vite tourné à l'affrontement idéologique.
Il a tenté d'expliquer à la reporter américaine les bénéfices de la
révolution cubaine.
Pendant ce temps, je réalisais l'une de mes séries de portraits les
plus remarquables mais aussi les plus intimes. Reste qu'il ne m'a pas
offert de cigare.
Il parait que votre cliché fait un tabac au Mexique...Effectivement, cette photo du Che est actuellement visible partout
au Mexique, dans les métros, les rues, les bistros... Un musée de
Mexico a choisi de la mettre à l'affiche pour promouvoir mon exposition
"René Burri, Un monde." C'est la meilleure façon de rendre hommage au
Che, alors que nous célébrons l'anniversaire de sa mort.
C'est d'ailleurs à Mexico que le Che a rencontré pour la première
fois Fidel Castro en 1955 et que le projet révolutionnaire a pris
forme, avant d'être rejeté ailleurs par le Mexique. En décembre 1956,
Castro débarque donc avec le Che à Cuba.
Aujourd'hui, que reste-t-il du Che à Mexico où à La Havane?Il reste ce portrait avec le fameux cigare entre les lèvres. Une
image qui n'a pas fait de moi un homme riche, loin de là. Les
révolutionnaires, les altermondialistes et surtout les capitalistes se
sont approprié cette image pour leurs affaires. Chacun selon sa propre
logique. A Cuba, vous pouvez acheter des tee-shirts a l'effigie du Che.
Et à Paris, la même image en poster géant.
La jeunesse du monde s'est appropriée la figure de cette légende.
Dans les rues de La Havane, on ne voit que des posters du Che. Il y a
le portrait
du photographe Alberto Korda montrant le Che coiffé d'un béret. Il y a
aussi le mien, le Che "hollywoodien" avec son cigare... Quarante ans
après sa mort, ce révolutionnaire qui a été capturé et exécuté en 1967
en Bolivie fait toujours parler de lui.
►
Clamor, grito y amor, 1963-2007 exposition
René Burri - galerie Esther Woerdehoff, 36, rue Falguière, Paris XVe -
jusqu'au 20 octobre - du mar. au sam. de 14h à 18h - Rens.:
01-43-21-44-83 - planhttp://www.rue89.com/2007/09/29/rene-burri-che-guevara-etait-comme-un-lion-en-cage