3. Dresser une carte de la pénétration chinoise en Afrique Les stratégies d’approche des Chinois en Afrique sont subtiles. En démarrant dans les années 1970 avec des secteurs de prédilection comme les matériaux de construction, le textile et la pharmacopée, la Chine vient de pénétrer avec force dans les services, l’électronique, le textile et l’habillement, et la transformation sur place de certains minerais… Mais lorsque la Chine offre la construction d’une usine à un Gouvernement africain avec une participation majoritaire accordée aux Africains et qu’en retour, les décideurs politiques africains ont amendé la proposition en préférant obtenir la valeur en argent du montant total de l’investissement, plutôt que de voir une usine se construire, il est clair que l’approche stratégique est totalement absente. Le malheur veut que l’usine a malgré tout été construite et appartient à 100 % aux investisseurs chinois… sans que des dividendes substantielles puissent retourner aux populations locales privées de la manne financière dégagée par un tel investissement… Il faut des hommes et des femmes libres et prêts à servir l’intérêt des populations.
Rapidement, la Chine a adopté une stratégie gagnante en subventionnant la formation de ressortissants chinois qui apprennent les langues locales africaines. Cela a permis de pénétrer les campagnes, faire avancer la vente des produits de la pharmacopée, mais aussi d’utiliser le sol africain pour produire des variétés difficiles à faire pousser en Chine… Beaucoup de Chinois viennent travailler comme une main d’œuvre docile dans les travaux publics. Mais, aujourd’hui, ce sont véritablement des commerçants aguerris qui semblent prendre contrôle des principales artères commerçantes dans les villes africaines. Il suffit de voir au Sénégal comment des petites boutiques semblent changer de propriétaires rapidement… Généralement, la technique consiste à commencer aux deux extrémités d’une rue et à graduellement essayer de maîtriser l’ensemble de la rue. Les Africains brillants par l’absence d’information et de coopération ne se rendent souvent même pas compte qu’une stratégie d’appropriation est en cours. Beaucoup de Chine apprécie malgré tout, cette forme de liberté qui existe sur le sol africain qu’il n’y a pas en Chine. Les ex-pays socialistes sont préférés comme la Guinée ou le Mali…
Mais rien n’empêche de travailler de manière structurée avec les chambres de commerce et de l’industrie comme ce qui se passe en Ethiopie où la Chine met l’accent sur le partenariat sectoriel en promouvant l’agro-alimentaire, l’industrie chimique, le textile et l’habillement et le renforcement de relations durables permettant de pénétrer indirectement les marchés occidentaux. Il faut savoir que la décentralisation est importante en Chine et que des Gouverneurs de province peuvent de leur propre initiative développer des relations privilégiées avec des régions africaines. Sur ce plan, la Chine a depuis longtemps opté pour la coopération décentralisée. En Mauritanie, c’est dans le domaine de la pêche que les Chinois sont en train d’aider la Mauritanie à organiser sa flotte en insistant que des Mauritaniens puissent participer plus nombreux aux équipages… Bref, si l’Union africaine et les gouvernements africains ne se décident pas à dresser une carte exhaustive des actions multidimensionnelles de la Chine en Afrique, les dirigeants africains auront laissé l’essentiel de leur coopération avec la Chine s’opérer sans aucune stratégie d’ensemble et verront un jour l’essentiel des outils de production et des richesses africaines leur échapper. Il faut espérer que ces sujets d’importance stratégique pour le comportement collectif des dirigeants africains seront inscrits à l’ordre du jour lors du sommet de l’Union africaine prévu en principe à Banjul en Gambie les 1er et 2 juillet 2006.
Il est difficile pour les Africains de se présenter dans les Salons et foires internationaux organisés en Chine… Il faut y présenter des produits, être capables de les fournir en quantité importante, ceci dans les délais et en respectant les normes internationales. Il faut donc nécessairement produire des biens intéressants les populations chinoises. Les relations sino-africaines ne peuvent donc pas simplement être laissées à la discrétion des politiciens mais des acteurs économiques souhaitant aider l’Afrique à acquérir une capacité d’absorption et de fabrication et de fourniture de biens et services échangeables. En l’absence d’une bonne coordination de ces relations sino-chinoises, l’Afrique risque rapidement de ne rien contrôler des évolutions à venir et sera condamnée d’ici une à deux décennies à toujours négocier des « matières premières » contre des biens manufacturés ou des services. Il faut donc cesser de renouveler les erreurs. En dressant une carte de la pénétration chinoise en Afrique, les dirigeants africains seront inspirés d’y faire figurer les créations effectives de valeur ajoutée, de savoir-faire transmis et surtout le rôle des institutions d’appui et du secteur privé quant au suivi et l’appropriation réelle faite de ce savoir. A l’inverse, les efforts pour permettre aux entreprises africaines d’aller sur le marché chinois seront les bienvenus.
L’originalité et la rupture souple dont il est question pourraient consister à ne plus se contenter seulement de laisser l’Union africaine aller discuter seule avec la Chine au nom du continent, ou des chefs d’Etat africains aller signer des accords bilatéraux sans référence aux intérêts régionaux et continentaux… Non, il est temps maintenant d’inviter le Président chinois Hu Jintao et l’ensemble des gouverneurs de provinces chinoises à un sommet sino-africain avec non seulement les représentants des Etats africains mais surtout les représentants des acteurs économiques y compris les organisations non gouvernementales. A défaut, la coopération chinoise se résumera à du troc sans véritable transfert de valeur ajoutée et de savoir-faire pour les Africains et Africaines. Enfin, il importe d’augmenter le nombre d’étudiants et de chercheurs africains qui se spécialiseraient sur les secteurs où excelle la Chine… Encore faut-il prévenir le racisme anti-noir en Chine et surtout assurer que les bourses africaines soient payées dans les temps et permettent de vivre dans des conditions décentes. Dans quelques années si ce n’est pas déjà fait, les langues chinoises auront détrôné certaines langues occidentales et le transfert de savoir-faire se fera vraisemblablement dans cette langue… Combien d’Africains ont relevé le défi lancé par la Chine en offrant des bourses (payées régulièrement et sans retard) à des Africains pour apprendre de la Chine… Il y a de nombreuses chinoises qui parlent déjà Bambara… Le mariage mixte reste encore un mystère, mais laissons le temps au temps.