Bulletin N°29
Juin 2007
E-mail : france@cadtm.org
Site : www.cadtm.org
Comité pour l’Annulation
de la Dette du Tiers Monde
F r a n c e
ÉDITORIAL
A quelques jours du sommet du G8, l’économie
internationale est en ébullition :
violentes secousses à la Banque mondiale
où le président a dû faire ses valises bien
avant l’heure ; inquiétudes des grands
argentiers occidentaux face à la montée
en puissance de la Chine et au rôle croissant
des fonds spéculatifs, qui s’encombrent
rarement de scrupules et ne s’embarrassent
pas des textes de droit international
pour prendre leurs décisions ;
arrivées au pouvoir en Amérique latine de
gouvernements de plus en plus contestataires
et mise en place de mesures alternatives
radicales, etc. Le modèle néolibéral
est dans l’impasse, et dans ce cas, la
fuite en avant est rarement la solution
recommandée... Seule la construction
d’un modèle basé sur une toute autre
logique pourra nous sortir de cette impasse
et proposer une issue équitable et
durable. Venez vous battre à nos côtés
pour la faire émerger au plus vite !
\\\ L'ÉQUIPE DU CADTM FRANCE
- 1 -
ENCORE UN G8 DE TROP !
C'est à Heiligendamm (nord de l’Allemagne),
encerclée d'un mur de barbelés rappelant aux Allemands de tristes souvenirs, que se déroulera cette année le
sommet des maîtres du monde. Voilà 33 ans (depuis 1975, à l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing) que les
pays les plus riches de la planète, 8 à ce jour, se réunissent chaque année dans une «ambiance décontractée
», «pour discuter des affaires du monde». Voilà 33 ans qu'ils poussent les pions pour gagner toujours plus.
Groupe informel, tout comme le Club de Paris, ils représentent ensemble seulement 15% de la population
mondiale, mais se donnent le droit de décider de l'avenir de tous les pays, comme bon leur semble. Et ce qui
leur semble bon, c'est, bien sûr, le système néolibéral, sans
aucune limite, le «marché» étant le maître des cérémonies. Ils
en sortent chaque fois avec de belles déclarations, assorties de
promesses qui, comme d’habitude, n’engagent que ceux qui y
croient. Mais les pays pauvres en ont assez d'entendre ces mensonges.
Depuis 2005, année où le G8 avait promis monts et
merveilles, spectacle à l'appui, les aides des pays riches à
l'Afrique ont, au contraire, diminué. Cette année encore, Angela
Merkel et Tony Blair agitent des panneaux «En finir avec la pauvreté,
aujourd'hui», alors que la Constitution européenne sera
l’une de leurs vraies préoccupations. A Rostock, plusieurs
milliers d'altermondialistes - dont bon nombre de militants du CADTM - font leur sommet alternatif. Après les
manifestations des 2 et 3 juin, des ateliers de réflexions, d'actions, et spectacles exprimeront le refus de ce
système.
L’an prochain, c’est le Japon qui devrait accueiller le G8 : du 7 au 9 juillet, au lac Toya, sur l'île d'Hokkaido.
S’ils y sont, nous y serons aussi... \\\ YVETTE KROLIKOWSKI
AGENDA
6-8 juin, Heiligendamm (Allemagne) : réunion
du G8 et contre-sommet altermondialiste.
7 juin, Orléans (45) : intervention d’Olivier
Lorillu après le film We feed the world, au cinéma
des Carmes, à 20h.
8 juin, Nuits st Georges (21) : intervention de
Nicolas Sersiron après le film We feed the world.
9 juin, Lille (59) : Réunion du groupe CADTM, sur
le thème «Le poids de la dette dans les pays du
Maghreb», au Café Citoyen.
9 juin, Pierrefitte (65) : stand CADTM au festival
Cuba Hoy.
14 juin, Baisieux (59) : intervention de Bertrand
Baillot et Serge Vienne, à 19h.
14 juin : émission de radio sur Radio Aligre avec
Julie Castro, à 9h.
15-17 juin, Montreuil (93) : participation du
CADTM au Festival Taparole, au studio théâtre de
Montreuil.
16 juin, Pleneuf Val André (22) : intervention de
Roseline Péluchon après le film Bamako.
19 juin, Paris : projection-débat sur le thème
«Migrations internationales et développement», au
Théâtre alternatif des 5 diamants, à 18h30.
22 juin : nuit contre la Françafrique avec Zalea TV
et Survie, nuitcontrelafrancafrique.africa-web.org,
à partir de 22h.
- 2 -
BANQUE MONDIALE : DU
PLOMB DANS L’AILE
Acculé, Paul Wolfowitz vient d’annoncer sa démission de la
présidence de la Banque mondiale. L’affaire de népotisme et
d’augmentation de salaire exorbitante de sa propre compagne
n’est-elle vraiment qu’une simple « erreur » de la part de
quelqu’un qui a agi « de bonne foi » ? Foutaises… Connaître
Wolfowitz permet de mieux comprendre comment on en est
arrivé là.
Paul Wolfowitz est un pur produit de l’appareil d’État des
États-Unis. Très tôt, il aborde les questions de stratégie militaire.
En 1969, il travaille pour une commission du Congrès et
parvient à convaincre le Sénat de la nécessité de doter les
États-Unis d’un parapluie anti-missile face aux Soviétiques
[1]. Sa réflexion stratégique comporte un fil rouge : identifier
des adversaires (URSS, Chine, Irak…) et démontrer qu’ils sont
plus dangereux que ce que l’on imagine, afin de justifier un
effort supplémentaire de défense (augmentation du budget,
fabrication de nouvelles armes, déploiement massif de troupes)
allant jusqu’au déclenchement de guerres préventives.
On connaît la suite…
Le parcours de Wolfowitz passe ensuite par l’Asie. De 1983
à 1986, il dirige le secteur Asie de l’Est et Pacifique du département
d’État sous Ronald Reagan, avant de devenir ambassadeur
en Indonésie entre 1986 et 1989. Pendant cette période,
il soutient activement plusieurs régimes dictatoriaux :
Ferdinand Marcos aux Philippines, Chun Doo Hwan en Corée
du Sud, Suharto en Indonésie… Suite à la mobilisation populaire
qui chasse Marcos en 1986, Wolfowitz organise la fuite
du dictateur qui trouve refuge à Hawaï, 50e Etat des Etats-
Unis... Alors que les États-Unis ont soutenu la dictature de
Suharto pendant plus de 30 ans, Paul Wolfowitz ose déclarer
en mai 1997 : « Tout jugement équilibré concernant la situation
de l’Indonésie aujourd’hui, y compris le sujet très important
et sensible des droits humains, doit prendre en compte
les progrès importants déjà accomplis par l’Indonésie et il
convient de reconnaître que beaucoup de ces progrès sont à
mettre au compte du leadership à la fois fort et remarquable
du président Suharto » [2]. Un an plus tard, le vieux dictateur
lâché par Washington doit renoncer au pouvoir dans un
contexte de grandes mobilisations populaires.
Devenu sous-secrétaire d’État à la Défense et l’un des principaux
architectes de l’invasion militaire de l’Afghanistan en
2001 et de l’Irak en 2003, Wolfowitz est nommé en mars
2005 par le président George W. Bush à la présidence de la
Banque mondiale, qu’il va donc quitter le 30 juin prochain.
Mais Paul Wolfowitz n’est pas pour autant le vilain directeur
d’une institution généreuse et immaculée. Il est grand temps
d’arracher le voile sur l’action de la Banque mondiale depuis
60 ans, notamment sur les points suivants :
- pendant la guerre froide, la Banque mondiale a utilisé l’endettement
dans un but géopolitique et systématiquement
soutenu les alliés du bloc occidental, notamment des régimes
dictatoriaux (Pinochet au Chili, Mobutu au Zaïre, Suharto en
Indonésie, Videla en Argentine, apartheid en Afrique du
Sud…) qui ont violé les droits humains et détourné des sommes
considérables, et elle continue de soutenir des régimes
de même nature (Déby au Tchad, Sassou Nguesso au Congo,
Biya au Cameroun, Musharraf au Pakistan, la dictature à
Pékin…) ;
- au virage des années 1960, la Banque mondiale a transféré
à plusieurs pays africains nouvellement indépendants
(Mauritanie, Gabon, Congo-Kinshasa, Nigeria, Kenya…) les
dettes contractées par leur ancienne métropole pour les coloniser,
en totale contradiction avec le droit international ;
- une très grande quantité des prêts octroyés par la Banque
mondiale a servi à mener des politiques qui ont provoqué des
dégâts sociaux et environnementaux considérables, dans le
but de faciliter l’accès à moindre coût aux richesses naturelles
du Sud ;
- après la crise de la dette de 1982, la Banque mondiale a
soutenu les politiques d’ajustement structurel, alliant forte
réduction des budgets sociaux, suppression des subventions
aux produits de base, privatisations massives, fiscalité qui
aggrave les inégalités, libéralisation forcenée de l’économie et
mise en concurrence déloyale des producteurs locaux avec les
grandes multinationales, ce qui va dans le sens d’une colonisation
économique ;
- la Banque mondiale a mené une politique qui reproduit la
pauvreté au lieu de la combattre, et les pays qui ont appliqué
à la lettre ses prétendus « remèdes » se sont enfoncés dans
la misère ; en Afrique, le nombre de personnes devant survivre
avec moins de 1$ par jour a doublé depuis 1981, plus de
200 millions de personnes souffrent de la faim et pour 20 pays
africains, l’espérance de vie est passée sous la barre des 45
ans ;
- malgré les annonces tonitruantes, le problème de la dette
reste entier car les remises de dette de la part de la Banque
mondiale sont réservées à un petit nombre de pays sélectionnés
pour leur docilité économique et dissimulent en contrepartie
des réformes économiques draconiennes, dans la droite
ligne de l’ajustement structurel.
Le passif de la Banque mondiale est bien trop lourd pour que
l’on puisse se contenter de la démission de Paul Wolfowitz. En
fait, la Banque mondiale est dotée d’un grave vice de forme :
elle sert les intérêts géostratégiques des Etats-Unis, de leurs
grandes entreprises et de leurs alliés, indifférente au sort des
populations pauvres du tiers-monde. Dès lors, une seule issue
devient envisageable : l’abolition de la Banque mondiale et
son remplacement dans le cadre d’une nouvelle architecture
institutionnelle internationale.
La Banque mondiale tangue dangereusement et cette grave
crise pourrait la faire couler définitivement, d’autant qu’elle
subit dans le même temps les assauts de plusieurs gouvernements
d’Amérique latine. Le Venezuela a annoncé le 30 avril
dernier qu’il quitte le FMI et la Banque mondiale. La Bolivie et
le Nicaragua s’apprêtent à quitter le Centre international de
règlements des différends relatifs aux investissements (CIRDI,
[3]), l’une des branches de la Banque mondiale. L’Equateur a
expulsé le représentant permanent de la Banque mondiale. Six
pays latino-américains [4] sont en train de jeter les bases
d’une Banque du Sud aux choix radicalement différents.
Différents experts, dont plusieurs membres du CADTM, ont
pris part à ces discussions qui visent une vraie modification du
rapport de forces mondial, sur les décombres d’une Banque
mondiale moribonde…
\\\ DAMIEN MILLET ET ERIC TOUSSAINT
[1] Voir l’histoire détaillée de la Banque mondiale et de Paul
Wolfowitz dans Eric Toussaint, Banque mondiale, le coup d’Etat permanent,
CADTM/Syllepse, 2006.
[2] Tim Shorrock, “Paul Wolfowitz, Reagan’s Man in Indonesia, Is
Back at the Pentagon”, in Foreign Policy in Focus, février 2001, p3.
[3] CIRDI : sorte de tribunal au sein de la Banque mondiale où une
entreprise privée peut attaquer un Etat si elle s’estimé lésée par une
décision, même prise démocratiquement par un gouvernement soucieux
des conditions de vie de son peuple.
[4] Argentine, Bolivie, Brésil, Equateur, Paraguay, Venezuela.
Mar 5 Juin - 21:19 par mihou