Banque mondiale : « le poisson pourrit par la tête »
- 13 mai 2007
- par PAR JOSEPH STIGLITZ*
La crise que traverse la Banque mondiale donne enfin une chance de
régler les problèmes de gouvernance de la principale institution
mondiale de promotion du développement. Il faut désormais que les
États-Unis renoncent au privilège qui leur a été reconnu de choisir le
président de la Banque, et que l’Europe renonce à celui de nommer le
président du FMI. Si le processus de nomination du président de la
Banque avait été démocratique et impartial, il est à peu près certain
que Paul Wolfowitz n’aurait jamais été choisi.
Le consensus est aujourd’hui mondial : Wolfowitz devra quitter la
Banque. Dans les sociétés démocratiques, ceux qui dirigent doivent
jouir de la confiance de ceux qui sont dirigés. Wolfowitz n’a plus
cette confiance et ne pourra pas la retrouver dans les trois années qui
restent de son mandat raté. Il pourrait, bien sûr, essayer de nommer
d’autres fidèles aux postes de responsabilité. Mais cela ne ferait
qu’aliéner davantage les dix mille employés qui font marcher la Banque.
De plus, celle-ci dépend des contributions volontaires des pays
industriels avancés pour mener à bien ses missions essentielles dans
les pays en développement. Il relève d’une bonne gouvernance que les
contribuables des pays européens qui fournissent la quasi-totalité de
ces fonds (les États-Unis ne paient même pas la part qui leur
reviendrait normalement) aient confiance dans les institutions qui
gèrent cet argent. Or, comme le personnel de la Banque, ils n’ont plus
confiance dans son président.
Il y a un proverbe qui dit que le poisson pourrit par la tête.
De même, la bonne gouvernance dépend du choix du chef. Pour rétablir la
confiance dans la Banque, il faudra repenser la manière dont son
président est choisi. Depuis les débuts de la Banque mondiale, il a
toujours été nommé par le président des États-Unis, sans même la
confirmation par le Sénat exigée pour les hauts responsables américains
eux-mêmes. Dans ce cas particulier, le président George W. Bush a
bouclé l’affaire après quelques coups de téléphone à des amis, comme
Tony Blair, le Premier ministre britannique. Les ministres du
Développement et des Finances qui auraient dû avoir leur mot à dire ont
été mis devant le fait accompli, et les membres du conseil
d’administration ont purement et simplement ratifié les accords passés
dans les capitales.
Les problèmes ont continué après la nomination de Wolfowitz. Il
a amené avec lui ses amis politiques et des partisans de la guerre en
Irak, et leur a confié des postes clés. Dans la foulée, il a lancé une
politique de lutte contre la corruption qui était fortement politisée
et qui, dans bien des cas, n’a pas été appliquée dans les règles. Nous
sommes tous contre la corruption et pour la bonne gouvernance, mais il
faut que les choses soient faites honnêtement. La bonne gouvernance,
dans une institution démocratique multilatérale, commence par le choix
du meilleur, quels que soient sa nationalité, sa race, son sexe ou son
origine ethnique. Il peut y avoir des différences d’opinion sur les
qualités essentielles ou, du moins, souhaitables. Mais à coup sûr
devraient figurer sur la liste la maîtrise de l’économie du
développement, l’expérience politique et une expertise managériale
confirmée dans la gestion d’une vaste organisation multilatérale. Bref,
des qualités qui aient toutes les chances d’inspirer le respect des
multiples intéressés : le personnel de la Banque, les pays qui
reçoivent de l’aide, les pays qui donnent de l’aide et les ONG. Il
n’est peut-être pas impératif que le chef vienne du monde en
développement, mais il est certain qu’une personne issue du monde en
développement a un avantage naturel pour comprendre les problèmes qui
se posent.
On peut trouver des personnalités de premier plan qui répondent
à ces critères, comme Arminio Fraga. Diplômé d’économie de Princeton,
Fraga a occupé des postes de responsabilité dans le Soros Fund
Management et chez Salomon Brothers, et a fait un parcours éblouissant
à la tête de la Banque centrale du Brésil. Autre choix excellent, Kemal
Dervis, le chef du Programme des Nations unies pour le développement,
qui a enseigné à Princeton, a été vice-président de la Banque mondiale
et a donné la preuve de son courage quand il a été un ministre des
Finances populaire et efficace en Turquie, dans une période de grand
désordre financier.
La pauvreté dans les pays en développement est l’un des
principaux problèmes auxquels le monde doit faire face. La Banque
mondiale est l’institution la plus importante qui mène le combat contre
la pauvreté. Elle a eu raison d’insister sur la bonne gouvernance. Mais
elle ne peut pas jouer un rôle décisif si elle ne corrige pas la
sienne. Le départ de Wolfowitz n’est qu’une première étape. Le choix de
son remplaçant ne sera pas moins décisif.
© Financial Times et Jeune Afrique 2007. Tous droits réservés.
* Prix Nobel d’économie 2001.