ORGANISMES INTERNATIONAUX -
KENNETH ROGOFFLa débâcle de Wolfowitz
[ 07/05/07 ]
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Les
ennuis de Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, vont-ils
finalement permettre à cette institution d'évoluer ? Mettra-t-on fin à
la pratique archaïque qui veut que ce soit le président des Etats-Unis
qui désigne tout seul le responsable de la principale institution
internationale consacrée au développement ?Wolfowitz n'a que peu
d'espoir de parvenir au terme de son mandat de trois ans. Sont en cause
le salaire bien trop généreux et la promotion accordée en 2005 à sa
compagne, en compensation de son départ de la Banque lors de sa prise
de fonction à la tête de l'institution. Au moment où la Banque insiste
sur l'importance d'une bonne gouvernance comme clef du développement,
les révélations récentes portent un coup à la crédibilité de la Banque.
Cependant, rien ne changera si on laisse le président américain choisir
son successeur à sa guise, ainsi que cela se pratique depuis la
création de la Banque après la Seconde Guerre mondiale. Le dirigeant de
la Banque devrait être choisi au terme d'un processus ouvert et
transparent de manière à sélectionner le candidat le mieux qualifié,
qu'il soit originaire des Etats-Unis, d'Europe ou d'un pays en voie de
développement.La faiblesse de Wolfowitz tient en grande partie à
la manière dont il a été désigné. Son passé au département d'Etat et à
la défense ne lui ont donné aucune réelle expertise en matière de
développement, domaine de la Banque mondiale. Il est surtout connu pour
son rôle dans le déclenchement de la guerre qui embourbe les Américains
en Irak. Si l'homme est brillant, il n'aurait pu être nommé s'il y
avait eu un processus de sélection ouvert qui aurait permis de
constater que la compagne de Wolfowitz travaillait à la Banque. Ce
détail n'en est pas un étant donné l'engagement de la Banque contre le
népotisme. Si Wolfowitz était apparu comme le meilleur candidat, le
comité de sélection aurait trouvé un moyen de résoudre cette question.
Mais, du fait de sa compétence limitée pour la fonction, ce point
l'aurait peut-être disqualifié.Pourquoi la communauté
internationale laisse-t-elle les Etats-Unis désigner arbitrairement le
plus haut responsable de la Banque ? C'est là affaire de mauvaise
gouvernance. L'Europe se tait parce qu'elle veut conserver le même
privilège d'un autre âge de nommer le dirigeant du FMI, l'institution
financière qui fait pendant à la Banque. L'Asie n'a guère d'autre choix
que de se soumettre aux manigances des Etats-Unis et de l'Europe, car
elle est très sous-représentée dans les deux institutions. Quant à
l'Afrique, ses dirigeants répugnent à faire quoi que ce soit qui risque
d'interrompre le flux de largesses de la Banque mondiale.Beaucoup
de gens critiquent depuis longtemps le processus de sélection des
dirigeants de la Banque mondiale et du FMI. Comment ces institutions
peuvent-elles donner des leçons de bonne gouvernance et de transparence
aux pays en développement, alors qu'elles opposent l'inertie aux
réformes en leur sein ? Il faut certes reconnaître que les dirigeants
du FMI font un effort pour donner davantage la parole aux économies
émergentes - notamment en Asie - sur la gouvernance du Fonds. S'il va
suffisamment loin sur cette voie, cela entraînera les changements
nécessaires. Malheureusement, ces efforts se font à pas de fourmi, et
il semble que tout reste figé à la Banque mondiale.Peut-être
Gordon Brown, lorsqu'il deviendra Premier ministre en Grande-Bretagne,
saura-t-il convaincre les pays riches de mener le changement. Etant à
la tête du comité ministériel de surveillance du Fonds, il connaît la
situation. Le scandale autour de Wolfowitz pourrait aussi servir de
catalyseur. Peut-être le prochain président de la Banque mondiale ou du
FMI ne viendra-t-il plus du sérail. Il y a pléthore de candidats à la
hauteur hors de l'Amérique. Le ministre des Finances sud-africain,
Trevor Manuel, qui a dirigé avec compétence le comité de surveillance
de la Banque mondiale, ferait sans doute un président brillant. Mais
cela pourrait aussi être un Américain parfaitement qualifié. Pourquoi
pas Bill Clinton ? D'une manière ou d'une autre, la procédure de
sélection des présidents de la Banque mondiale et du FMI doit être
revue de toute urgence. La débâcle de Wolfowitz a mis fin au statu quo.
KENNETH ROGOFF est professeur à l'université de Harvard et ancien économiste en chef du FMI.http://www.lesechos.fr/info/analyses/4572368.htm
Lun 7 Mai - 19:14 par Tite Prout