WADE REELU......ET TOUT VA BIEN !
Ibrahima_Sene.jpgIbrahima Sène, membre du Comité central du Parti pour l’indépendance et le travail (Pit) s’est livré pour Le Matin, dans la première partie de l’interview qu’il nous a accordée, à une véritable démonstration de la fraude. Celle-là qui aurait permis au candidat Abdoulaye Wade d’être réélu au premier tour à la présidentielle. M. Sène parle d’une évolution dans les techniques de fraude, exemples à l’appui… et révèle le plan de l’opposition qui consiste, d’une façon active, a crée un front de mobilisation des Sénégalais pour contraindre les autorités à changer le système électoral.
Le Matin : L’opposition à laquelle vous appartenez parle de fraude à la présidentielle malgré la caution des observateurs et du Conseil constitutionnel qui ont attesté et du bon déroulement du scrutin et de la validité des résultats. Qu'est-ce qui peut bien encore justifier vos préoccupations ?
Ibrahima Sène : Vous me donnez là l'occasion de revenir sur ce que nous avons appelé la fraude électronique qui a eu raison de la volonté que le peuple devrait exprimer par son suffrage. Dans le cas de la présidentielle dernière, la fraude a consisté quelque part, à reconfigurer à partir de l'ordinateur, la géographie du vote, pour concentrer des électeurs bien identifiés au niveau du bureau de vote pour faire le nombre. En même temps, il a été question de prendre des mesures pour retenir et empêcher des électeurs déterminés, de pouvoir voter.L'informaticien de la Présidence lui-même a reconnu qu'ils ont pris le fichier et ont étudié la répartition de l'électorat, sa composition, identifié les électeurs, leur histoire, etc. Et c'est ainsi qu'ils ont reconfiguré l'électorat. À la demande que nous avons formulée et qui a été satisfaite en 1999 sous le magistère d’Abdou Diouf à savoir de publier la liste des électeurs par bureau de vote, quinze jours avant les élections, ils n'ont pas accédé, simplement parce que nous aurons décelé tout de suite la supercherie.
Une des preuves de ce que je vous dis là, est à trouver dans leur défaite à Kaolack au niveau du bureau de vote de Médina Baye. À cet endroit, ils ont pensé que Mamoune Niasse du Rp, allait voter pour l'opposition. À partir de ce postulat, ils ont identifié ce qui leur paraît être l'électorat de ce leader pour l'enlever et faire en même temps venir un nombre qu'ils ont pensé contrôler. Mais quand Mamoune s'est retourné pour leur apporter son soutien, la machine ayant été lancée, il leur a été trop tard pour se rattraper. Voilà ce qui explique leur défaite à Médina Baye. Et c'est en même temps, une preuve matérielle de ce que nous avons dénoncé. À Thiès aussi, l'électorat a été reconfiguré de telle manière qu'ils étaient convaincus qu'en identifiant les gens par bureau de vote et en mettant l'argent à travers leurs hommes, ils parviendraient à avoir gain de cause. Ce qui n'a pas marché est que ceux qui sont supposés être les leurs étaient de Idrissa Seck. Dès lors, il apparaît évident que, ce qu'ils ont pris comme mesure pour avoir un électorat qui leur est favorable dans la plupart des cas et, bloquer celui qui leur est défavorable ou le délocaliser, est chose tout à fait avérée. Or, pour toutes ces manœuvres, ce n'est vraiment pas le jour du scrutin que quelqu'un peut s'en apercevoir pour le considérer comme un élément de fraude. C'est donc seulement avec du recul qu'on peut se faire une bonne idée de la chose. Autre fait marquant, c’est que nous avons fait le constat de la tenue d'une sorte d'un pré-scrutin. Un scrutin par anticipation, si vous voulez.
Dans plusieurs localités, ils ont pris les enveloppes officielles de vote où il a été mis les bulletins du candidat Wade et les ont distribuées à de potentiels votants avec de l'argent. Ensuite, ils ont demandé à ceux-ci d'introduire ces enveloppes dans l'urne le jour du vote, et de ramener, le reste des bulletins de candidats dont celui de Wade comme preuve de la consigne respectée. Et c'est à la seule condition que le votant recevra le reste de l'argent qui lui a été promis. Ce qui a expliqué quelque part, ce pourquoi sur les quinze candidats, le taux de vote nul a été à peine de 1 %. N'est-ce pas curieux ! C'est en tout cas assez éloquent dans un pays à fort pourcentage d'analphabètes qu'un choix entre ce nombre de prétendants frôle la perfection. Ce vote anticipé, évidement quant il est entretenu, seule la sûreté peut être au courant. Comment s'attendre qu'un quelconque observateur s'en aperçoive, le jour du scrutin puisque, comme on le dit, "le vers était déjà dans le fruit". Seulement voilà, s'ils sont parvenus à ce complot, c'est parce que c'est le ministère de l'Intérieur qui organise le vote. Par conséquent, seul ce département a la maîtrise du matériel en général, des bulletins et des enveloppes.
Autre chose qui atteste de la fraude électronique. Il n'y a qu'à voir l'allure des résultats de cette élection. Partout dans la plupart des bureaux de vote, c'est à peu près le même taux, pour les voix que Wade a obtenues par rapport à ces adversaires. Ce qui ne peut aucunement pas être le simple fait du hasard. Vérifiez de vous-même que son score a quasi varié partout entre 57 et 65%. Mathématiquement, ça ne tourne pas très rond. C'est dire que dans la présidentielle dernière, nous n'avons pas eu affaire à des éléments de fraude traditionnelle. C’est-à-dire bourrage des urnes, bataille organisée autour d'un bureau pour faire annuler les résultats, etc. Avec Wade, le Sénégal a dépassé ce type de fraude. Il vient d'inaugurer sous son magistère l'ère de la fraude scientifique. Et c'est tout le système électoral qui a été mis en complicité pour y parvenir. Nous pouvons encore évoquer le cas des 31 procès verbaux sur les 34 départements, qui n'ont pas été mis sous scellés et dont nous avons contesté la régularité, conformément à la loi électorale, avec constatation par huissier devant la commission nationale électorale qui nous a renvoyé au Conseil constitutionnel qui n'en a eu cure. Aussi, faudrait-il faire remarquer le cas de la Cena qui, dans cet exemple, a fait montre de complicité manifeste. C'est donc tout le système électoral qui a participé à frauder et à manipuler la volonté du peuple sénégalais. Pourtant, Wade l'avait dit en campagne électorale : "Jamais au plus grand jamais, l'opposition ne pourrait apporter la moindre preuve de fraude". Pour dire à la presse qu’"il faudrait, pour cela, à l'opposition, de prendre le fraudeur en flagrant délit en présence d'un huissier". Et d'ajouter, "il n'y a pas suffisamment de huissiers au Sénégal et ceux-ci ne travaillent d'ailleurs pas à partir de 19 heures". Un aveu de candidat qui n'a pas été démenti le jour du scrutin puisque le ministère de l'Intérieur s'est arrangé de telle manière que l'essentiel du vote se soit déroulé à partir de 19 heures pour se poursuivre au-delà de minuit.
À partir de ce moment, aucune de nos revendications ne pouvait être recevable. C'est pourquoi, pour nous, le mécanisme qui a présidé à cette présidentielle doit être totalement remis en cause. Ceci en dessaisissant le ministère de l'Intérieur de l'organisation des élections et en confiant celle-ci à une Ceni. Ensuite, il faudra revoir fondamentalement le code électoral de manière consensuelle. Parce que celui-là a permis au président d'avoir partout des faux-fuyants. Mais, cela été la faute à l'opposition de ne pas s'être battue physiquement pour empêcher au président de faire des élections sa chose personnelle et de tout faire pour assurer sa victoire. Ce qui ne dédouane pas la fraude.
Finalement, à vous entendre, c'est comme si vous aviez perdu du temps à participer à l'audit du fichier électoral ?
Mais, avez-vous entendu les membres de la société civile qui ont siégé à la commission d'audit ? Ils ont avoué n'avoir pas eu le temps de tout passer à la loupe pour estimer avoir terminé leur travail. Ils ont aussi fait l'aveu de ne pouvoir attester de la fiabilité ou non du fichier. Pourtant, c'est ce à quoi ils ont été commis en prenant part à cet audit. Alors, ne serait-ce que leur doute devrait servir à revoir fondamentalement les choses.
Tout compte fait, le 25 février est derrière nous. Wade va bientôt prêter serment et vous continuez à contester les résultats. Aviez-vous véritablement le sentiment d'être en phase avec le peuple sénégalais, qui a semblé avoir tourné la page électorale ?
C'est là où je pense que les gens ont souvent une mauvaise interprétation de l'attitude des populations. D'abord, dans n'importe quel milieu où vous vous rendez, c'est l'étonnement par rapport au verdict de ce scrutin. Ensuite, vous le voyez de vous-même, le peuple en veut en réalité, tellement à ce pouvoir qu'il ne lui a même pas donné de répit. Les luttes ont été relancées aussitôt. Le front social s'est embrasé du coup. C'est comme pour dire : "Ces gens-là (ndlr: le pouvoir ), ils se sont débrouillés pour passer. Maintenant, il n'y a qu'à se battre". C'est parce que, ces populations s'attendaient à un changement qui leur amène des gens crédibles auprès desquels ils peuvent trouver une oreille attentive pour s'occuper de leurs préoccupations. Et ils se retrouvent sans trop comprendre comment, avec un système qui a fini de les convaincre de ses limites. D’où sa réaction quasi simultanée avec les grèves et les mouvements de protestations qui ont repris de plus bel. En 2000, quand le peuple a eu le sentiment que les élections se sont bien déroulées, Abdoulaye Wade est resté deux ans de suite sans essuyer la moindre contestation. L'on disait dans nos langues nationales : "Laissez le vieux travailler".
L'autre signal du malaise est que, même les supposés vainqueurs de cette élection, n'ont pu pavoiser. Simplement, c'est l'adage qui le dit : "Voler un tam-tam est aisé, mais trouver là où le battre est le problème". Ils n'ont pas pensé que leur mécanisme de hold-up électoral allait être si performant. L'effet de surprise dont ils ont été aussi les victimes, les a beaucoup traumatisés. C'est pourquoi, Wade voyant déjà l'opposition dans la rue, s'est dit : "Je vais accabler ses leaders pour détourner les attentions les populations". Wade a fait par cet acte ce que Diouf avait fait en 1988. Ce dernier avait arrêté par anticipation en son temps l'opposition pour l'empêcher de jeter les populations à la rue. Le premier, intelligemment, a menacé de prison tout le monde, aux mêmes fins. Wade lui-même a dit : "Le peuple lui-même a accepté ma victoire et même les élèves ne sont pas descendus dans la rue". Mais jamais les élèves ne descendus d'eux-mêmes dans la rue aux lendemains d'élection. En 1988 par exemple, ils ont suivi les partis dans la rue. Et cette fois, ce n'est pas fini puisque nous avons dit n'avoir pas reconnu les résultats de cette élection, nous nous concertons, nous nous préparons et nous nous battrons. Il n'est pas question pour nous de laisser Wade confisquer le pouvoir et aller encore organiser à sa manière les législatives et les locales, comme cela lui conviendra.
Vous vous concertez, vous l'avez dit. Est-ce que l’on peut penser que vous allez vers une liste commune pour les législatives, la leçon de la présidentielle étant bien assimilée ?
Les concertations qui ont lieu actuellement ont pour objet de créer un front pour mobiliser les Sénégalais afin d'exiger le changement du système électoral. C'est tout. C'est loin d'un but électoraliste. Nous sommes tous d'avis à l'opposition qu'il nous faut d'abord amener Abdoulaye Wade à revoir le système électoral. Ce, conformément aux dispositions qui ont permis en 2000, de tenir un scrutin transparent. C'est vrai, nous n'avions pas pu rassembler nos forces pour cette exigence avant la présidentielle. Cependant, cet hold-up est tel que, nous sommes condamnés à serrer les rangs et à faire face. Sinon, notre pays s'achemine vers la férule d'une dictature monarchique qui restera ainsi des siècles et des siècles…
Abdou Gilbert Niassy (Le matin)
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