Ralph Bunche (1903-1971) : Prix Nobel de la paix en 1950
19/07/2003
Universitaire et diplomate brillant, Ralph Bunche fut le 1er Noir à obtenir un prix Nobel suite à son rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien à la fin des années 40
Par Paul Yange
Ralph Bunche
Ralph Bunche est né le 7 août 1903 à Detroit dans le Michigan. Il est le fils de Fred Bunche, barbier de profession et d’Olive Agnès Johnson. En 1914 , sa famille démenage dans l’Etat du Nouveau Mexique. Mais du fait de leur santé fragile, ses deux parents décèdent. Devenu orphelin, Bunche est transféré à Los Angeles où il est elevé par sa grand-mère maternelle et ses oncles et tantes. Elève brillant, Bunche obtient un prix en histoire et en anglais à la fin de l’école primaire. Au lycée, il termine premier de sa classe à la Jefferson High School en 1922. Il entre dans la branche sud de l’Université de Californie (la future UCLA) en étant boursier, et complète sa bourse par différents jobs qu’il occupe. Il pratique en outre divers sports, est président du conseil des étudiants, reporter pour le journal de l’université...Il est major de sa promotion en 1927 avec une dominante en relations internationales.
Il reçoit une bourse qui couvre ses frais de scolarité à Harvard où il étudie les sciences politiques. Il reçoit d’autres soutiens financiers de la part de diverses associations. Certaines organisent une collecte de fonds pour l'aider à financer sa scolarité. Il travaille lui même dans une librairie pour financer ses études. En 1928, il obtient un Master degree en sciences politiques et alterne entre des études en doctorat et l’enseignement à Howard University, une université afro-américaine.
Pour la communauté noire, Bunche devint invisible, son identité fut perdue. C’est pourquoi Ralph Bunche est inconnu de nos jours et que son histoire doit être racontée
Charles Henry
Ralph Bunche et Kwame Nkrumah. La thèse de doctorat de Bunche comparait l'administration d'un territoire sous mandat (le Togo) et l'administration d'une colonie (le Dahomey)
Une bourse de la "Rosenwald Fellowship" permet à Bunche de mener des recherches sur le terrain en Afrique afin de compléter sa thèse de doctorat dont le sujet est la comparaison entre l’administration d’un territoire sous mandat (le Togo) et l’administration d’une colonie (le Dahomey).
Il obtient un doctorat en relations internationales à Harvard (le 1er noir à obtenir ce diplôme à Harvard) et est récompensé par le "toppan prize" pour sa dissertation qui est la meilleure dissertation doctorale de l’année en sciences politiques à Harvard.
De 1936 à 1938, il mène des recherches en anthropologie à Northwestern University, à la London School of Economics, et à Cape Town University en Afrique du Sud. Il publie un livre "a world view of race" et participe à une étude menée par le sociologue suédois Gunnar Myrdal sur le statut des Noirs aux Etats-Unis : "An american dilemma : the Negro problem & Modern Democracy". En 1941, Bunche est appélé à l’Office of Strategic Services en tant que "senior analyst" dans la section Afrique moyen-orient. En 42, il passe à la tête de la section Afrique. En 1944, il participe à une conférence sur une future organisation mondiale en tant que spécialistes des problèmes coloniaux et travaille également sur l’avenir des territoires coloniaux. En 1945, il est nommé à la tête de la division des "Dependant Area Affairs" dans le bureau des affaires politiques spéciales (Special Political affairs) du département d’Etat.
En 46, il participe à la première session de l’assemblée des Nations-Unies à Londres. Le secrétaire général des Nations Unies, "emprunte" Bunche au département d’Etat et le charge de s’occuper du département des "trusteeship" (département des tutelles) où il doit travailler sur le devenir des territoires du monde aspirant à l’indépendance.
Signature de l'armistice entre l'Egypte et Israel, Rhodes 1949
© pbs.org
De juin 47 à juin 49, il participe à la mission la plus importante de sa carrière (le conflit en Palestine entre arabes et juifs). Il est d’abord nommé assistant du comité spécial des Nations-Unies pour la Palestine, qui doit mettre en place la partition approuvée par l'assemblée générale des Nations-Unies. Au début de l’année 48, lorsque ce plan est abandonné, et que le combat entre arabes et israéliens devient très dur, le comte de Bernadotte est nommé comme médiateur et Bunche devient alors son assistant principal.
Quatre mois plus tard, le 17 septembre 1948, le comte de Bernadotte est assassiné, et Bunche est nommé médiateur des Nations-Unies en Palestine. Après 11 mois de négociations intenses, Bunche obtient la signature d’une armistice entre le jeune Etat d'Israel et les Etats arabes. (d’abord entre l’Egypte et Israel, puis entre Israel et le Liban, la Syrie, la Jordanie).
Ces réalisations lui valent de recevoir en 1950, le prix Nobel de la paix, ce qui lui confère une célébrité mondiale. Son action contribue de beaucoup à la crédibilité des Nations-Unies, nouvellement créées. Il est accueilli comme un héros aux Etats-Unis. Los Angeles organise un "Ralph Bunche Day", il reçoit des demandes de conférences de partout dans le pays, de même que 30 diplômes honoraires dans les 3 années qui suivent. Il est le premier Noir à recevoir le Prix Nobel (les autres candidats au Prix Nobel de la paix cette année là sont Winston Churchill, Harry S Truman, Albert Schweitzer et George C Marshall).
Parallèlement à sa carrière diplomatique, Bunche préside le département de sciences politiques de Howard University (de 1928 à 1950), enseigne à Harvard de 1950 à 1952, est membre du "New-York City Board of education" (1958-1964). En 1953, il refuse un poste de sous secrétaire d’Etat que lui propose le président Truman. Les lois de ségrégation Jim Crow sont encore en vigeur, y compris dans certains quartiers de Washington, ce qui pousse Bunche à refuser l'offre de Truman.
Ralph Bunche obtient le prix Nobel de la paix en 1950 et devient une célébrité mondiale. Sa réussite est utilisée pour montrer que le racisme n'existe plus aux Etats-Unis, alors que la segrégation raciale y règne encore
© pbs.org
En 54, en pleine période de Mc Carthysme, Bunche est accusé d’avoir des sympathies communistes avant d’être finalement lavé de tout soupçon. En 56, il préside une conférénce sur l’utilisation pacifique de l’énergie atomique qui finalise le statut de l’agence internationale à l’énergie atomique. De 57 à 67, il est sous- secrétaire des Nations Unies pour les affaires politiques spéciales et à partir de 68 sous secrétaire général des Nations-Unies. Au début des années 60, Darg Hammarskjold, alors secrétaire général des Nations-Unies fait de Bunche son représentant spécial pour superviser les engagements des Nations-Unies au Congo où des troubles venaient d’éclater. Bunche remplit des missions analogues à Chypre, au Cashemire et au Yemen.
En 65, Bunche participa à la marche des droits civiques menée par Martin Luther King. Il apporta son soutien aux programmes d’action de la NAACP (National Association for the Advancement of Coloured people). Sans créer lui meme d'organisations, Bunche participa au mouvement des droits civiques par ses publications et ses discours. Particulièrement pendant la période allant de 1945 à 1965. Son message était clair : "segrégation et démocratie sont incompatibles". "Le problème racial est un phénomène irraisonné sans base scientifique ou biologique". En 1971, malade, Ralph Bunche arrêta de remplir ses obligations aux Nations-Unies. Il devait décéder quelques mois plus tard le 9 décembre 1971.
Ralph Bunche, médiateur de l'Onu s'adresse à son staff
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CITATIONS
"Bunche n’était pas enclin à rechercher les feux de la rampe. Cependant, il reconnut l’opportunité unique que sa célébrité représentait et utilisa les médias pour faire avancer la cause du progrès racial. A la poursuite de cet objectif, il accepta les honneurs, les citations, les médailles. Il reçut 69 diplômes honoraires de Harvard et d’autres universités célèbres dans le monde. Il donna des centaines de discours et apparu dans des magazines comme le Saturday Evening Post, Ebony, Time, et Newsweek. Selon un article du "Reader’s Digest", Ralph Bunche était devenu une légende dans le pays. (Ralph Bunche : selected Speeches & Writings, Charles P.Henry)"
"John D Rockefeller Jr (le fils du 1er milliardaire en dollars de l’histoire NDLR) dînait chez lui. Les stars de Cinéma lui envoyaient des lettres d’admiration. Des écoles portaient son nom, il était l’invité d’honneur de célébrités quand il voyageait, les républicains et les démocrates lui demandèrent de se présenter à des élections, des offres d’emploi arrivaient d’Harvard, de l’Université de Chicago, de Berkeley, et d’autres universités prestigieuses. Les Brooklyn Dodgers lui offraient des abonnements à la saison, et les shows de Broadway rivalisaient pour l’avoir à leur première".(Ralph J Bunche, selected speeches & writings)
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"La visibilité mondiale de Ralph Bunche était d’une valeur considérable dans la propagande de la guerre froide qui avait lieu entre l’Est et l’Ouest. Le succès de Bunche était également utilisé comme "preuve" que le racisme n’existait plus et que les problèmes que pouvaient rencontrer les Noirs n’étaient dus qu’à eux-même. Au début des années 60, certains leaders afro-américains craignaient même que l’image de Bunche ne soit utilisée d’une façon qui désserve les Noirs américains". (Charles Henry : "Ralph Bunche : Model Negro or American Other ?")
Aujourd’hui, quand nous parlons de Bunche, de quel Bunche parlons nous ? Pendant plus de 10 ans, en tant qu’universitaire, il fut le Noir américain le plus célébré de son temps aux Etats-Unis et à l’étranger. Aujourd’hui, il est plus que marginalisé pour ne pas dire oublié. L’avènement et le déclin de Bunche en tant que symbole public nous en dit autant, si ce n’est plus, sur nous même que sur Bunche. (Charles Henry : "Ralph Bunche, Model Negro or American Other?")
La plus grande partie de la société avait choisi de voir Bunche comme un non Noir- ou même comme un Blanc (...) Quand elle n’eut plus besoin de l’héritage de Bunche pour atteindre ses objectifs, il fut oublié. Pour la communauté noire, Bunche devint invisible, son identité fut perdue. C’est pourquoi Ralph Bunche est inconnu de nos jours et que son histoire doit être racontée. (Charles Henry : "Ralph Bunche, selected speeches & writings".)
Quand en 1957, le Westside Tennis Club refusa d’admettre le fils de Bunche comme membre, il y eut une une vague de protestations qui monta du pays, obligeant le club à changer son état d’esprit. Pendant les années 50, les honneurs, les invitations, les lettres de fan (ou de personnes qui le haissaient), les propositions d’emploi continuaient d’arriver dans son bureau. Bunche continua de conserver sa modestie et rappelait sans cesse au public noir qu’il n’était pas libre tant qu’eux ne le seraient pas.
BUNCHE ET LE CONGO BELGE
Ralph Bunche au Congo
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Ralph Bunche décrit la situation du Congo (futur Zaïre) au moment de l'indépendance : "Premièrement, il y avait eu un incroyable manque de préparation. Sur une population de plus de 14 millions d'habitants, il n'y avait que 17 personnes qui avaient une éducation universitaire. Il n'yavait pas de docteur, pas de dentiste, pas d'avocats, aucun professionnel d'aucune sorte. (...) Il n'y avait aucun ingénieur. Il y avait une absence complète d'expérience politique et administrative côté congolais. On ne leur avait pas permis d'en développer."