Les Echos, no. 19705
International, lundi 10 juillet 2006, p. 6
Sommet
Immigration : l'Europe et l'Afrique réunies à Rabat pour tenter une approche globale
CATHERINE CHATIGNOUX ET LAURENCE TOVI
A l'initiative du roi du Maroc et du Premier ministre espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, cinquante-sept pays d'Europe et d'Afrique se réunissent aujourd'hui à Rabat pour tenter d'apporter une réponse globale au problème de l'immigration clandestine, devenue incontrôlable.
Les événements dramatiques de l'automne dernier ont provoqué une prise de conscience générale : une dizaine d'Africains avaient alors été tués, piétinés ou victimes des balles marocaines au moment où ils tentaient d'escalader les clôtures grillagées des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, au nord du Maroc. Les flux migratoires non maîtrisés constituent aujourd'hui une problématique qui concerne à la fois les pays d'émigration, ceux par qui s'effectue le transit des migrants et ceux, enfin, qui les « accueillent ».
L'idée consiste donc à prendre en compte ces « routes migratoires », d'instaurer un dialogue régulier entre les pays qui les jalonnent et de tenter d'établir une stratégie globale. Une gageure quand on voit que les pays européens eux-mêmes ont le plus grand mal à coordonner leurs propres politiques d'immigration, souvent « décalées » les unes par rapport aux autres (voir ci-dessous).
Un « plan d'action »
C'est à l'initiative du roi du Maroc et du Premier ministre espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero, que se réunissent aujourd'hui et demain à Rabat, au Maroc, 30 pays d'Europe et 27 d'Afrique pour la première Conférence ministérielle sur la migration et le développement. La France, qui a soutenu ce projet, sera représentée par Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, accompagné par le chef de la diplomatie, Philippe Douste-Blazy, et les ministres des Affaires européennes et de la Coopération. Seront aussi présents, la Commission européenne, des ONG, le Haut Commissariat aux réfugiés et l'Union africaine. Grande absente, l'Algérie, pourtant à la fois pays d'émigration et de transit : elle a décliné l'invitation au prétexte officiel que la question doit être traitée exclusivement par l'Union africaine. En réalité, pour des raisons d'inimitié avec son voisin marocain.
La conférence de Rabat doit adopter une déclaration politique accompagnée d'un « plan d'action ». Selon le projet élaboré début juin à Dakar par des hauts fonctionnaires, et enrichi durant le week-end, la stratégie retenue s'articule autour de deux axes, l'un sécuritaire, qui vise à contenir et à contrôler les flux migratoires irréguliers, l'autre plutôt incitatif, qui passe par une réorientation des politiques d'aide au développement et une amélioration des dispositifs d'immigration légale.
Selon un expert, « la gestion du retour des clandestins de Ceuta et Melilla, à l'automne dernier, a coûté 70 millions d'euros au Maroc », où les policiers ont arrêté pour la première fois l'an dernier plus d'Africains subsahariens que de nationaux en partance pour l'Europe. Pour un pays de transit, le coût financier et humain de ces migrations est devenu insupportable.
D'où une proposition de renforcer la coopération logistique, policière et judiciaire avec les pays d'Europe et de mieux partager le fardeau avec ces pays. Les pays européens, de leur côté, souhaitent la mise en oeuvre effective des accords, bilatéraux ou régionaux, de réadmission des clandestins.
Des mesures positives
Les participants à la réunion ont toutefois tenu à compenser ce volet répressif par des mesures positives. Certaines visent à améliorer l'accès aux marchés du travail des pays européens par l'assouplissement de la politique des visas et la promotion de la migration « circulaire » qui favoriserait des allers et retours des migrants entre pays d'origine et pays d'accueil : une façon de contrer la fuite des cerveaux qui inquiète aujourd'hui les pays du Sud. D'autres ont pour but de favoriser le développement des pays pauvres pour y fixer les populations.
Il s'agit, par exemple, de recentrer une partie de l'aide au développement, aujourd'hui très dispersée, sur les régions qui sont à la source de l'émigration. Mais aussi de diminuer les coûts des transferts financiers des migrants vers leurs pays d'origine et de valoriser ces transferts, qui représentent deux fois l'aide publique au développement, dans des investissements productifs.
Aucun moyen financier nouveau n'est dégagé dans l'immédiat pour la mise en oeuvre de cette stratégie « globale ». Les Européens font valoir qu'ils ont déjà prévu un quasi-doublement de leur aide au développement, qui devrait atteindre 77 milliards d'euros à la fin de la décennie, contre une quarantaine aujourd'hui.
CATHERINE CHATIGNOUX ET LAURENCE TOVI