Que penser de l'argument « Le peuple juif a droit à un Etat comme tout peuple » ?
Jean-Pierre Kerckhofs
Je voudrais revenir avec un peu de recul aux quelques réactions injurieuses à l’égard de Nico Hirtt suite à son texte paru dans « La Libre Belgique » du 25 juillet.
J’y suis d’autant plus enclin en constatant qu’au Liban et en Palestine les massacres continuent, mais que – manifestement – les bombes suscitent moins d’indignation chez d’aucuns que certaines prises de position dérangeantes pour eux. Certains (dont l’ambassade d’Israël) ont même invectivé « la Libre » pour avoir osé publier une telle opinion. Un lecteur juge même les arguments de Nico Hirtt nauséabonds. Personnellement, c’est l’odeur des cadavres laissés par Tsahal que je considère comme telle. Car quel crime a commis l’auteur pour justifier pareil tir de barrage ? Il a remis en question la légitimité même d’Israël. Et alors ? Israël est pourtant bien un Etat artificiel apparu « d’un coup de baguette magique » en 1948. Force est de constater que, depuis, il est à la source de guerres et conflits à répétition dans cette région du Monde. N’est-on pas en droit de s’interroger ? Je n’ai pas lu de contre arguments à ceux de Nico Hirtt. Ses détracteurs l’accusent d’erreurs et de falsifications, mais ils n’en analysent pas une seule. C’est un peu facile. Le seul « argument » avancé pour défendre le sionisme est qu’il a existé historiquement des sionistes de gauche. Comme à tout mot, on peut donner à « sionisme » plusieurs sens. Mais les faits sont là et le moins qu’on puisse écrire est que le point de vue des sionistes de gauche (comme Albert Einstein) ne l’a pas emporté. Le sionisme dénoncé aujourd’hui, c’est celui qui amène à la politique réelle menée par les différents gouvernements israéliens. Et il n’y a pas d’ambiguïté sur son sens.
Au risque de subir le même traitement que Nico Hirtt et sans reprendre ses arguments et analyses que je trouve convaincants, je voudrais répondre à deux pseudo-arguments classiques des sionistes.
1. « Le peuple juif a droit à un Etat comme tout peuple ».
Il s’agit d’une falsification de la notion de peuple. Les adeptes d’une religion ne forment pas un peuple, mais un groupe de personnes qui partagent une croyance mais qui, par ailleurs, parlent des langues différentes, ont des cultures différentes, etc. (qui oserait parler de « peuple catholique » par exemple). Quel point commun y a-t-il entre un juif arménien, un juif allemand, un juif marocain, un juif américain et un juif soudanais ? Poser la question c’est y répondre et il n’y a donc aucune raison que ces gens se regroupent tout d’un coup dans un même coin du globe en y chassant ceux qui y vivaient de génération en génération depuis plusieurs siècles.
Une telle prise de position ne signifie pas que je pense qu’il faut maintenant chasser tous les Israéliens. Je pense comme Nico Hirtt que la seule solution viable est l’existence d’un Etat pluriethnique et plurireligieux dans lequel juifs, chrétiens, musulmans et athées vivent ensemble dans le respect des croyances de chacun et surtout sur un même pied d’égalité. Là où ma position est peut-être plus nuancée, c’est que je pense qu’une étape sera nécessaire pour atteindre cet objectif hautement souhaitable. Cette étape, c’est la création, à côté d’Israël, d’un Etat Palestinien constitué des territoires de Cisjordanie et de la bande de Gaza débarrassés de toute colonie et avec Jérusalem Est comme capitale. C’est le strict minimum que tout démocrate est en droit d’espérer. Toute solution « inférieure » serait un jeu de dupes pour les Palestiniens. A ceux qui crieraient à l’antisémitisme, je rappelle les positions de plusieurs associations juives dont l’UJPB ainsi que celle des refuzniks en Israël même.
2. « Après la Shoah, qui peut nier aux Juifs le droit de se regrouper ? »
L’argument semble fort et pourtant. Premièrement, le sionisme date du 19ème siècle et est donc largement antérieur à la Shoah. Les sionistes n’ont donc fait qu’utiliser le massacre de leur propre peuple pour mener à bien une politique à laquelle ils tenaient depuis longtemps. Deuxièmement, je voudrais demander un effort d’imagination. Comment aurait-on réagi si, après la Deuxième Guerre Mondiale, un groupe important de juifs avait mis la main en Allemagne sur un territoire équivalent grosso modo à celui de la Belgique ? S’ils en avaient jeté dehors tous les habitants et massacrés ceux qui refusaient de partir ? Disons pour que l’analogie soit complète qu’ils auraient tout de même gardé quelques Allemands à l’intérieur du territoire. Mais ils auraient été largement minoritaires, n’auraient pas eu les mêmes droits et auraient surtout servis aux tâches subalternes. J’entends d’ici les réactions : « C’est intolérable. Les Juifs ont subi un malheur indescriptible, mais ils ne peuvent pas le faire payer à d’autres hommes innocents, à des femmes, des enfants, des vieillards ». C’est pourtant ce qui s’est passé en Palestine. La seule différence, c’est qu’en Allemagne, dans le territoire concerné, il y aurait eu un certain nombre d’anciens SS effectivement co-responsables de la Shoah. Pas en Palestine.
Jean-Pierre Kerckhofs, enseignant
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