Nous sommes face à un problème particulièrement complexe, dans lequel interviennent des acteurs, des intérêts et des discours de nature et d’origine très diverses, et qui exige une approche intégrale et multidisciplinaire. Il faut une optique qui permette de concilier la légalité internationale en vigueur et les ordres juridiques internes respectifs ainsi que d’associer l’exercice du commerce au respect des droits humains. Il n’y a pas de réponse immédiate qui soit en même temps durable. Comment pouvons-nous éviter que, comme avec le sida, chaque pas en avant ne semble servir à rattraper le temps perdu plutôt qu’à avancer ?
Certains, comme MSF, prétendent que l’Organisation mondiale de la santé, « en tant que seul organisme intergouvernemental international légalement mandaté pour veiller à la santé dans le monde, (...) devrait travailler à l’élaboration d’un agenda de recherche et développement prioritaire » de ces futurs médicaments (10). Qu’il s’agisse de l’OMS ou d’un consortium public international, ces priorités pour la recherche de nouveaux médicaments devront être fixées en fonction des besoins réels de santé et non pas des possibilités du marché.
Comment financer cette grande entreprise ? En plus des contributions et investissements que de nombreux Etats pourront apporter, le docteur James Orbinski - récipiendaire, pour Médecins sans frontières, du Prix Nobel de la paix en 1999 - a lancé l’idée de créer un impôt sur les ventes mondiales de l’industrie pharmaceutique pour financer une institution publique qui prenne en charge la recherche (11). Une piste complémentaire serait de destiner une partie des impôts nationaux sur le tabac à un fonds public international, ce qui permettrait que des pays en développement participent, assurant ainsi la recherche sur les maladies tropicales.
Plutôt que d’attaquer l’industrie pharmaceutique ou de pointer du doigt les opposants à cette industrie, nous devons essayer d’explorer les besoins et, pourquoi pas, d’inventer pour le médicament des solutions qui permettront aux scientifiques de chercher, aux industriels de produire et aux patients de se soigner, d’une manière durable. Rester inactifs ou plongés dans des querelles stériles nous conduira à des crises encore plus graves - si cela est possible - que l’actuelle pandémie du sida. Des crises devant lesquelles on ne pourra alléguer ni surprise ni ignorance.
GERMÁN VELÁSQUEZ.
Lire aussi :
Haïti, l’embargo et la typhoïde
Mobilisation contre le SRAS, inaction contre le sida
(1) Lire John Sulston, « Le génome humain sauvé de la spéculation », Le Monde diplomatique, décembre 2002.
(2) Stephen Heffler, Sheila Smith, Greg Won et al., « Health spending projections for 2001-2011. The latest outlook » , Health Affairs, Bethesda, mars-avril 2002, pp. 207-218.
(3) Le gouvernement français a annoncé, le 19 avril, la baisse du taux de remboursement de 617 médicaments, Le Monde, 23 avril 2003.
(4) « Eco-Santé OCDE 2002 », Organisation de coopération et de développement économique, Paris, 2003.
(5) Germán Velásquez et Pascale Boulet, « Mondialisation et accès aux médicaments. Perspectives sur l’accord Adpic de l’OMC », Organisation mondiale de la santé, Genève, 1999.
(6) Lire Philippe Rivière, « Vivre à Soweto avec le sida », Le Monde diplomatique, août 2002.
(7) Lire James Love, « L’Europe et les Etats-Unis prolongent l’apartheid sanitaire », Le Monde diplomatique, mars 2003.
(
Cf. une étude mandatée par l’OMS à Cheri Grace, Genève, 2003, en voie de publication.
(9) Antonio Gala, El Dueño de la herida, Planeta, Madrid, 2003.
(10) Médecins sans frontières, « Recherche médicale en panne pour les maladies des plus pauvres », Genève, septembre 2001.
(11) Op. cit.