Renaudot pour Alain Mabanckou ou l’excellence puisée aux sources de la tradition
07/11/2006
Alain Mabanckou, téléchargé sur les écrans de télévision en franco-congolais et pour cause, vient de se voir attribuer le prix Renaudot, un des prix littéraires particulièrement prestigieux dans la panoplie des objets de notoriété des écrivains de premier rang. La faute à qui ? A lui-même Mabanckou -insistons, hier encore congolais [sans le «franco»] enseignant aux Etats-Unis-, capable des audaces les plus invraisemblables dans l’écriture, agençant gouaille, ironie, et truculence dans des textes aux récits frappants d’imagination.
Oui mais ça, on le savait depuis que le «Verre cassé» [Seuil, 2005] avait récolté la moisson de prix que chacun sait et régalé nos sens réveillés et secoués par les ivresses d’un bar confesseur d’Afrique,
On savait le talent et la dimension que venait de prendre le jeune écrivain des rives du Congo,
Et pourtant, bien que cassé avec entrain, coupé et parfois décalé, le verre était resté à moitié vide, faute d'une petite cerise sur le gâteau.
Et c’est là que la sève première, le sein maternel de Pauline Kengué maman Mabanckou redonna la tétée à l’inspiration du fils, qui se rappela cette histoire de porc-épic qu’elle lui raconta maintes fois on imagine, y lisant probablement comme un destin, une force conductrice qui dépassait l’espace réduit du lieu d’où le récit se tenait.
Et Mabanckou de revenir au conte africain, rendu dans toute sa vie au présent, avec ses mystères, son monde irréel fait d’animaux, d’hommes, de choses, d’esprits, d’initiation, et de maintes banalités aussi, de mensonges, de vérités, de peur, de combinaisons heureuses et inventives de tout cela.
Le patrimoine culturel africain au sens large, et Afrikara n’aura jamais plaidé autre chose, demeure donneur universel d’imaginaires, de visions de l’existence, d’humanité, de spiritualités, de simplicité, de complexité, de puissance de symbolisation, de figuration, de questionnement et de réinvention du monde. Pluriel, singulier, masculin et féminin, il s’offre en clé de passage vers des espaces toujours possiblement nouveaux de l’interprétation de nous-même. L’histoire à lire des tribulations de ce curieux porc-épic, double mystique d’un homme, creuse au cœur de l’Afrique et interroge l’humain par l’animal qui est en lui, qui se dédouble hors de lui.
Le récit africain avec une liberté dont s’amuse Mabanckou dans les déchirures, froissures, gribouillis qu’il inflige à l’originale légende, se plait à installer les impossibles, invisibles, irrationnels dans la routine quotidienne. Ses crimes d’ici, sont naissances de là, ses courses relatées sont des immobilisations muettes, ses musiques des silences, ses chaleurs des blocs de glace.
C’est avec bonheur que s’exprime dans une langue sienne, aboutie et provocante, le meilleur des cultures africaines réapproprié par la réception et l’art d’un fils d’Afrique, créatif d’une plume dite «décentrée», posée sur la feuille légère d’un ailleurs qui s’écoule à l’encre ancré, et coule de source …
Encore congratulations à M. Mabanckou, et bonne continuation sur le chemin du porc-épic, un trésor est caché là dedans. Bien sûr, je ne sais pas l’endroit mais…
Lire : Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic, Seuil, 2006.
Mze Fula Ngenge
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