Le Blog de Pierre Assouline
15 décembre 2005
Du sexe des Noirs
Difficile de dire si la parution de ce livre est tout à fait
opportune ou on ne peut plus inopportune. A cet embarras, et aux
précautions de langage qui lui font escorte, on mesure déjà la
superficie du champ miné sur lequel s'avance le critique. Serge Bilé
n'est décidément pas un auteur de tout repos. Il y a un an, il avait
déjà lancé un pavé dans la mare. Celui-ci fit d'autant plus de bruit
que ne nul ne l'attendait : il faut dire que Noirs dans les camps
nazis tombait à pic avec l'ouverture de l'année de la commémoration
du cinquantenaire de la libération des camps. Cette fois, l'angle
est assez différent, et le contexte nettement plus tendu. A croire
que l'auteur, journaliste à RFO, cherche les coups. D'ailleurs, cela
n'a pas tardé : dans certains milieux noirs, ce Français d'origine
ivoirienne passe pour traître, collabo ou plus exactement «
bounty », c'est-à-dire noir dehors, blanc dedans. Son crime ?
Croyant bien faire, dans un élan d'antiracisme, il a démystifié une
légende qui touche au tabou des tabous : la puissance sexuelle
prêtée aux Noirs.
Son livre s'intitule tout simplement La légende du sexe
surdimensionné des Noirs (195 pages, 14 euros, Le Serpent à plumes).
Un cahier central présente bien quelques portraits et tableaux mais
aucune concession n'ait faite au voyeurisme ou à la pornographie.
C'est tout juste si la couverture présente une peinture du musée
archéologique de Naples sur laquelle un homme plutôt mat de peau est
précédé de son phallus en érection, lequel est presque aussi grand
que lui. On est bien dans un document. Bourré d'exemples, il se veut
un inventaire impitoyable de clichés et de fantasmes.
C'est une enquête historique. Pour cela, Serge Bilé a naturellement
interrogé les livres d'histoire, l'anthropologie, la psychanalyse,
les sportifs, les sexologues, les producteurs de films X mais aussi
les chansons, l'argot, la publicité, les histoires drôles et les
contes et légendes. Le résultat est plus superficiel que si un
sociologue avait empoigné le sujet, mais il permet déjà de bien
étayer la thèse de l'auteur. Son postulat même. A savoir que de tous
temps, la rumeur publique a accrédité l'idée que les Noirs étaient
dotés d'un sexe bien plus long et plus épais que les blancs, et ce à
seule fin de mieux les bestialiser. De mieux les déshumaniser (sans
même attendre le colonialisme...). De quoi renforcer l'idée qu'ils
ne sont au fond doués que pour ce qui relève de l'instinct primaire
(courir, danser, chanter, forniquer) et non de l'intelligence. Ainsi
un stéréotype que l'on aurait crû valorisant se retrouve-t-il
méprisant. En fait, d'après notre enquêteur, sur la question
sexuelle, il en est des Noirs comme des Blancs : on y trouve toute
la gamme, de l'étalon de concours au pénis introuvable.
Le plus drôle est que le préjugé est colporté depuis des siècles par
des Blancs racistes, tant et si bien qu'aujourd'hui nombre de Noirs,
eux-mêmes persuadés de leur supériorité sexuelle, ne supportent pas
qu'on veuille la démystifier. L'auteur rapporte notamment les
résultats édifiants d'une enquête d'opinion Ipsos effectuée en avril
dernier en Martinique.
Au fond, démolir cette légende comme Serge Bilé le fait (et il va
jusqu'à évoquer la triste condition des Noirs dotés d'un petit sexe,
terriblement inhibés à l'idée de provoquer une double déception),
c'est risquer de mettre à mal un cas historique de discrimination
positive. A cette aune, on mesurera l'enjeu politique d'un essai
consacré au sexe des Noirs.
Source :
http://passouline.blog.lemonde.fr/livres/2005/12/du_sexe_des_noi.html