Dominique Sopo, le pote affranchi
LE MONDE | 09.10.06 | 14h14 • Mis à jour le 09.10.06 | 14h14
Dominique Sopo a un téléphone portable, mais il ne répond pas et ne rappelle
pas les journalistes qui lui laissent des messages. Etre ou ne pas être devant
les caméras, peu lui importe. Peu lui importe aussi qu'à l'occasion de sa
première vraie sortie médiatique Nicolas Sarkozy ait souligné le "rôle décisif"
qu'il a joué dans le dénouement de l'affaire des expulsés de Cachan. Il a le
sentiment d'avoir fait ce qu'il avait à faire : mettre un terme à ces grèves de
la faim qui étaient sur le point de très mal finir, à la situation
cauchemardesque des centaines de personnes hébergées dans le gymnase de Cachan
(Val-de-Marne) depuis plus d'un mois et demi.
On le savait déjà : l'association SOS Racisme n'est plus ce qu'elle était - un
instrument créé par la Mitterrandie des années 1980, au service du Parti
socialiste. Mais il est clair désormais que, comparé à ses prédécesseurs, son
président a gagné en autonomie. "Les considérants humanitaires étaient les seuls
qui m'intéressaient", dit-il. Il a 30 ans, parle comme un universitaire. Il y a
trois ans, il a obtenu l'agrégation en sciences économiques et sociales en même
temps que la présidence de SOS Racisme.
Autant il voulait l'une, autant il a accepté l'autre à reculons, en dépit de
ses réticences à se mettre en avant, de son goût pour l'étude des dossiers
plutôt pour que les envolées de tribun.
A la mi-septembre, il est complètement plongé dans le Darfour. La situation au
Soudan l'intéresse "à fond" depuis un an, il contribue alors à la création d'un
collectif et au lancement d'une pétition sur le sujet. Lorsqu'il met les pieds
au gymnase pour la première fois, les expulsés de la cité universitaire y sont
déjà depuis un mois, encadrés par plusieurs associations. Il découvre "des
conditions de vie atterrantes, des enfants extrêmement perturbés" Ce qui le
stupéfie, c'est "la rupture de confiance absolue entre les pouvoirs publics et
les occupants du gymnase".
Ni une ni deux : "J'appelle Claude Guéant", raconte-t-il. Aurait-il le
directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy régulièrement au téléphone ? "C'était la
première fois que je l'avais en ligne", répond-il.
Deux jours plus tard, le président de SOS Racisme et son ami Patrick Gaubert,
le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme
(Licra), participent à une réunion avec le préfet du Val-de-Marne. Et puisque
"la préfecture ne joue pas son rôle" (dixit Dominique Sopo), les voilà un matin
à 8 heures place Beauvau, dans le bureau de Claude Guéant, où Nicolas Sarkozy
les rejoint. Une mission de médiation leur est confiée, qu'ils acceptent parce
qu'ils ont reçu des garanties sur le sort des sans-papiers. Reste à convaincre
les occupants du gymnase.
Pendant quelques jours, le président de SOS Racisme dort deux heures par nuit,
négocie sans effusions ni grands discours, palabre, essuie les quolibets des
associations qui voient en lui un émissaire du ministre de l'intérieur, serre
les dents lorsqu'on lui rapporte son surnom, "SOS traître". Le soir de la
réunion place Beauvau, Julien Dray, le "parrain" de SOS Racisme, celui qui l'a
fait président et dont il est très proche, lui a laissé un message. Deux jours
plus tard, il n'avait toujours pas rappelé le député socialiste. "Il y a eu un
moment où la politique n'était plus autour de la table, explique Patrick
Gaubert, pendant quelques jours les pressions ont disparu."
"C'est positif pour SOS de se comporter comme ça", assure Malek Boutih, membre
de la direction du Parti socialiste, qui fut le prédécesseur de Dominique Sopo.
Malek Boutih est celui qui a négocié le virage de l'association, fait évoluer le
discours du "droit à la différence" vers le "droit à l'égalité", transformé un
outil de mobilisation de masse (Marche des beurs de 1983) en outil de lutte
contre les discriminations (actions judiciaires, testing à l'entrée des boîtes
de nuit). Sur le fond, Dominique Sopo est le fidèle héritier de Malek Boutih.
Les deux hommes sont pourtant très différents. Le cadet n'a pas le charisme de
l'aîné, il est plus introverti, plus difficile à cerner, "lisse", disent ceux
qui ne revendiquent pas son amitié. "Il est plus intellectuel, plus conceptuel
et plus patient que moi", estime "l'ancien".
Dominique Sopo est encarté au PS, mais n'assiste pas aux réunions faute de
temps. S'il a opté pour Sciences Po après le bac, alors que sa soeur est
orthophoniste et son frère agent immobilier, c'est "pour ne pas avoir à faire de
choix immédiat". Ses choix politiques, eux, étaient tranchés : étudiant, il a
successivement adhéré à l'UNEF-ID, à SOS Racisme, au Mouvement des jeunes
socialistes puis au PS. Depuis deux ans, sa mère occupe sa retraite
d'institutrice en maternelle comme secrétaire de section du Parti socialiste à
La Sentinelle, près de Valenciennes, là où il a grandi. Son père, agent de
maîtrise chez PSA, aujourd'hui français, est né dans le nord du Togo. Orphelin,
il avait été envoyé par une école catholique à Valenciennes, à l'âge de 17 ans,
afin de préparer un BEP. "Il y a deux catégories de métis, estime Malek Boutih :
ceux qui en souffrent et ceux qui en tirent une force." Dominique Sopo est
évidemment de la deuxième : "Son identité porte son programme, il
est obligé de construire la France pour les gens comme lui."
Les gens comme lui ne sont pas des victimes. Ils sont républicains et
n'acceptent pas "le prisme exotico-victimaire". Dominique Sopo s'en est expliqué
dans SOS Antiracisme, un pamphlet visant les "Indigènes de la République", le
comique Dieudonné, et toutes les associations dont il estime qu'elles font le
jeu des islamistes. "Ce livre a contribué à la division du mouvement antiraciste
entre ceux qui pensent que la judéophobie est l'ennemi principal, et ceux qui
pensent que l'islamophobie est l'ennemi principal", estime le sociologue
Philippe Corcuff.
N'abordez pas la question en ce moment avec Dominique Sopo. Dimanche soir, au
gymnase Belle-Image, après toutes ces nuits blanches, il a toujours la tête
plongée dans la liste des expulsés, il est toujours assailli par des candidats
au logement qui veulent y figurer. Fatigué, il s'énerve (enfin) : "Quand SOS
lutte contre les discriminations, ça concerne qui ? Les Noirs et les Arabes que
je sache. Vu de Cachan, ce type de débat tombe assez mal."