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 Aimé Césaire (suite et fin)

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AuteurMessage
zapimax
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zapimax


Nombre de messages : 654
Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 14/06/2005

Aimé Césaire (suite et fin) Empty
01072005
MessageAimé Césaire (suite et fin)

Q - A quel moment êtes-vous passé de votre travail de professeur et de votre activité d'écrivain au métier politique ?



R - Ça a été beaucoup une affaire de hasard et de circonstances. Pendant la guerre, j'ai fondé une revue, "Tropique", et cette revue a marqué une date à la Martinique ; parce que c'était une revue qui rompait pour la première fois avec la tradition de l'assimilation; Certes, il y avait des poètes martiniquais, mais ils faisaient une poésie française. Autrement dit, chaque école poétique française avait sa rallonge tropicale. Il y avait des gens qui composaient des sonnets, d'autres qui concouraient aux jeux floraux de Toulouse. Il y avait un tas de Parnassiens mineurs, quelques petits symbolistes - souvent d'ailleurs assez habiles -, mais ça restait à ce niveau-là. C'était une poésie de décalcomanie, plus ou moins réussie, parfois pas du tout, parfois un peu mieux - autrement dit, ce n'était pas de la poésie ; et cette insuffisance poétique, mes amis et moi nous l'expliquions précisément par le fait que c'était faux ; parce que non inscrit dans le contexte martiniquais. C'était une poésie-négation. La revue "Tropique" présentait un aspect poétique, mais, en même temps, elle décrivait la société martiniquaise, elle rappelait les origines de l'île... il y avait des articles d'ethnographie... enfin, j'essayais de mettre à la portée du public martiniquais tout ce que j'avais appris sur l'Afrique. Nous avons publié, par exemple, des articles sur la traite des noirs - chose extrêmement malsonnante : personne n'en parlait... et voulait moins encore s'en souvenir. L'esclavage, c'était une tare, une chose honteuse... on tenait là des ancêtres peu glorieux. Or, ma revue parlait précisément de la traite, rendait hommage à l'Afrique. Je divulguais de mon mieux, je vulgarisais. Comme dans ces pays classe et race se confondent : les prolétaires, c'est les nègres et l'oppresseur, c'est les blancs : inévitablement, on décrivait un malaise social. C'était révolutionnaire. Le fait simplement d'affirmer qu'on est nègre, comme je l'affirmais, était un postulat révolutionnaire.

(...)



Q - Vous avez fait une étude sur Toussaint Louverture, qui pourrait presque passer pour un texte de caractère ethnographique...



R - Non, c'était un travail historique. Si j'étais resté professeur, j'aurais pu l'utiliser pour une thèse. Non, j'aime beaucoup Haiti - peut-être parce que de toutes les Antilles, c'est l'île la plus grande et la plus intéressante, car la plus africaine. Jusqu'au XVIIIe siècle, il y a eu des apports massifs de nègres africains. Par tribus entières. Un dépeuplement très homogène. Il y a des Congolais, des Dahoméens, etc. Et ça se voit encore : n'importe quel ethnographe reconnaît chez un Haitien l'origine de sa tribu africaine. Et contrairement à la Martinique, les religions africaines se sont maintenues en Haiti. D'où le vaudou.



Q - Est-il vrai que Clausewitz, dans son ouvrage sur la guerre, a été fortement influencé par la manière dont les Haïtens ont mené une lutte de guérilla ?



R - Je ne sais pas. Ce qui m'a frappé avec Haiti, c'est qu'on est en présence d'un pays où, pour la première fois, la négritude s'est mise debout. On peut faire une comparaison avec Cuba : même désir de liberté et même volonté de se battre pour l'acquérir. Au XIXe siècle, ça a été le premier pays sous-développé à se révolter, à donner l'exemple. Une révolte achevée sur un succès : Haïti a arraché son indépendance. Certainement, ça s'est révélé comme un exemple pour les pays d'Amérique du Sud. Bolivar ne se comprend que par Haiti.

Pour en revenir à votre question, oui. J'ai été très frappé par la stratégie de Toussaint. Par la suite, lisant des écrits de Mao Tsé Toung, je me suis aperçu que tout ça était absolument génial : Toussaint avait trouvé par intuition - et avant tout le monde - le principe même de la guerre de guérilla. Il avait refusé les batailles rangées et il avait gardé ses troupes camouflées. Il avait fait ce que font, en ce moment, les Vietnamiens, ce que font les pays sous-développés quand ils luttent contre une nation beaucoup plus puissante, beaucoup mieux armée... J'ai regardé un peu dans Clausewitz, et j'ai vu, effectivement, qu'il y avait un chapitre concernant la guerre populaire. Je ne sais pas si Clausewitz avait eu connaissance de la guerre menée par les Haitiens - du moins, il n'en parle pas : ce n'était peut-être pas assez noble pour lui... A parcourir les écrits du XIXe siècle, en particulier les mémoires des généraux de Napoléon durant la guerre de Saint-Domingue, on s'aperçoit que pour eux, c'était vraiment la sale guerre. Une guerre infernale, qui renverrait tous leurs principes. En tout cas, la manière dont Clausewitz décrit la guerre populaire évoque singulièrement le combat de libération mené par Toussaint.



Q - De votre ouvrage sur Toussaint, passons, si vous le voulez, à la "Tragédie du roi Christophe", dont l'action, précisément, est située en Haiti.



R - Haiti, c'est un pays qui, avec l'Afrique, tient dans mon esprit, dans mon âme, dans mon coeur une place particulière. Il était normal, par conséquent, que j'écrive une pièce sur Haiti. On peut aussi se demander pourquoi j'ai choisi l'expression dramatique. Parce que, après tout, je suis poète, fondamentalement. En fait, j'avais déjà écrit "Et les chiens se taisaient" ; il faut croire que j'étais assez hanté par le théâtre. Mais cette première pièce, je ne la voyais pas "jouée" ; je l'avais d'ailleurs écrite comme un poème. Cependant, ce texte présente pour moi une profonde importance : parce que c'est une pièce très libre et située dans son milieu - le milieu antillais. C'est un peu comme la nébuleuse d'où sont sortis tous ces mondes successifs que constituent mes autres pièces. "Le roi Christophe, "Une saison au Congo", mais je m'intéressais déjà plus directement au théâtre - et maintenant, une adaptation d'après Shakespeare, qui s'appelle non pas "LA Tempête", mais "UNE Tempête". Parce qu'il y a beaucoup de tempêtes, n'est-ce pas - et la mienne n'est qu'une parmi d'autres...

(...)



Q - Vos trois dernières pièces se situent au niveau des points les plus chauds concernant le monde noir : Haiti et "Le roi Christophe" ; le Congo et Lumumba ; et maintenant, avec "Une Tempête", vous abordez dans une certaine mesure la question raciale aux Etats-Unis...



R - C'est le vieux volcan qui sommeille en moi qui aime les points chauds ! Pour en revenir au Roi Christophe, pourquoi ai-je pris un roitelet haitien ? D'abord, il y a l'impulsion intérieure, à savoir le besoin que j'ai de parler de Haiti ; et, en même temps, ça coincidait avec l'accès à l'indépendance des pays africains. Brusquement, l'Afrique a été assaillie par des problèmes nouveaux. Les gens qui avaient revendiqué, qui avaient fait de l'opposition, soudain sont promus chefs d'Etat. Que faire ? La liberté, c'est très bien, la gagner c'est très bien ; mais quand on y réfléchit, c'est toujours plus facile de conquérir sa liberté - il ne faut que du courage -, seulement, une fois qu'elle est obtenue, il faut savoir ce qu'on va en faire. La libération c'est épique, mais les lendemains sont tragiques. C'est ce problème-là que j'avais en tête. Alors j'ai eu l'idée de situer en Haiti le problème de l'homme noir assailli par l'indépendance. Parce que c'est le premier pays noir à avoir été confronté avec ces questions. Ce que le Congo, la Guinée, le Mali ont connu vers 56-60, Haiti l'a connu dès 1801. Et le roi Christophe, c'est l'homme noir aux prises avec la nécessité qu'il y a de bâtir un pays, de bâtir un Etat.



Q - "Une Saison au Congo" est, au fond, la suite logique...



R - C'est quand même une pièce antillaise... Le langage est antillais. Là, j'ouvre une parenthèse, car il y a un problème du langage aux Antilles ; pour un Africain, il se pose avec moins d'acuité que pour un Martiniquais. Quelle langue employer ? Un Africain peut, à la rigueur, se servir de son dialecte, mais nous, nous n'avons aucune langue...



Q - Le créole apparaît un peu comme une "fausse langue"...



R - Une langue n'est jamais fausse. Après tout, on peut dire ausi que l'anglais est une fausse langue ; et que le français, au début, a dû être un affreux sabir de contrebande. Non... Le français a dû commencer comme le créole, puis il a conquis ses lettres de noblesse. Le créole deviendra une vraie langue au cours de l'évolution de l'histoire ; elle n'est pas frappée d'une tare originelle, mais c'est un fait qu'à l'heure actuelle, ça fait un peu patois. C'est une langue très modeste à usage interne. Pour la rendre littéraire, il aurait fallu faire dessus le travail que les Français ont accompli depuis le XVIe sièle - Ronsard; Rabelais et tous les autres. Par contre, nous avons un instrument qui s'appelle le français ; pourquoi se refuser à l'employer ? A condition évidemment que cela ne devienne pas une nouvelle forme d'aliénation. Autrement dit, il faut plier le français au génie noir. Ou bien on n'utilise pas le français, et on emploie carrément sa langue - qui peut être le oualof ou bien une langue guinéenne, ou le swahili ; ou, par un Martiniquais, le créole. C'est une possibilité : je ne l'ai pas choisie, j'ai décidé d'employer le français ; peut-être à cause de la culture, c'est vraisemblable - mais j'ai voulu l'employer dans des conditions très particulières. J'ai voulu mettre le sceau imprimé, la marque mère - ou la marque antillaise, comme vous voulez - sur le français ; j'ai voulu lui donner la couleur du créole. En particulier dans "Le Roi Christophe", il y a un langage très particulier, qui se ressent de ses origines antillaises : ce n'est plus exactement du français.

Poursuivant ma quête, ma description de la situation de l'homme noir dans le monde actuel, tout naturellement je suis arrivé à l'Afrique. Et l'exemple le plus dramatique, le plus tragique, c'était le Congo. Qui tient le Congo tient l'Afrique ; après le Nigeria, c'est le pays le plus important. Par ses dimensions, par ses richesses - et par le caractère étonnant des événements qui s'y sont déroulés...

(...)

Q - Pour en revenir à la négritude, il y a un point qui me tracasse : c'est le fait que vous mettiez tous les noirs dans le même panier. Ne croyez-vous pas qu’entre un Africain, un noir d'Amérique et un Antillais, il se soit creusé un fossé, que les divergences soient devenues profondes ?



R - Là, je vous réponds tout de suite. Ce que vous mettez en cause, c'est toute la négritude ! C'est bien ce que me disent les Antillais : "Comment, nous Martiniquais, qui sommes ici depuis trois siècles sur une terre française... que pouvons-nous avoir de commun avec les Africains ? " Ils le disent dans un sens péjoratif. Et c'est exactement ce que la bourgeoisie noire américaine a répété pendant si longtemps. Ils disent "d'accord, nous sommes noirs, mais fondamentalement, nous sommes américains". Or, précisément, le mouvement de la négritude est un mouvement qui affirme la solidarité des noirs que j'appelais de la Diaspora avec le monde africain. Vous savez, on n'est pas impunément noir, et que l'on soit français - de culture française - ou que l'on soit de culture américaine, il y a un fait essentiel : à savoir que l'on est noir, et que cela compte. Voilà la négritude. Elle affirme une solidarité. D'une part dans le temps, avec nos ancêtres noirs et ce continent d'où nous sommes issus (cela fait trois siècles, ce n'est pas si vieux) et puis une solidarité horizontale entre tous les gens qui en sont venus et qui ont, en commun, cet héritage. Et nous considérons que cet héritage compte ; il pèse encore sur nous ; alors, il ne faut pas le renier, il faut le faire fructifier - par des voies différentes sans doute - en fonction de l'état de fait actuel - et devant lequel nous devons bien réagir...
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