Reporters sans Frontières osera-t-il publier cette réponse ?
Salim Lamrani Envoyer à un(e) ami(e) Imprimer
Reporters sans frontières et ses contradictions
Le 12 septembre 2006, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) a publié une lettre ouverte « en réponse à ses détracteurs » qui dénoncent son manque d’impartialité, le financement qu’elle reçoit des Etats-Unis, et son agenda politique extrêmement semblable à celui de la Maison-Blanche. L’objectif de ce courrier est de démontrer que RSF ne se prononce pas politiquement quand elle stigmatise certains pays. Encore une fois, les explications de RSF sont peu convaincantes, contradictoires et parsemées de contrevérités1.
La tentative d'éclaircissement débute ironiquement par une prise de position politique très claire contre le gouvernement de La Havane, en parfaite lignée avec la position de Washington : « Cuba est une dictature », assène le communiqué qui accuse Fidel Castro « d’infliger à son peuple l’autocratie et la répression ». Pourtant, RSF se présente comme une association apolitique uniquement intéressée par la « défense de la liberté de la presse2 ».
RSF va plus loin : « les Cubains élisent-ils leur président et leur parlement ? Non ». Cette affirmation péremptoire illustre la singulière ignorance de RSF au sujet du système politique de l’Île des Caraïbes. Au lieu de ressasser la rhétorique désuète de l’extrême droite cubaine héritière de l’époque de Batista, l’organisation parisienne ferait mieux de jeter un œil à la Constitution du pays. Elle en apprendrait davantage à propos du système électoral, et ne profèrerait pas de telles absurdités qui doivent faire sourire les nombreux journalistes et diplomates étrangers en poste à La Havane et qui ont déjà assisté à des élections. Mais elle fréquente de manière tellement assidue les nostalgiques de la Cuba prérévolutionnaire, qu’ils se trouvent dans les administrations à Washington ou au sein des organisations d’exilés de Miami, qu’elle en a assimilé le discours3.
« Ont-ils le droit de critiquer ouvertement ceux qui les gouvernent ? Non plus », affirme RSF4. Là encore, l’accusation n’est pas crédible. Il suffit de regarder la presse française et internationale pour se rendre compte du contraire. Aucun groupe de dissidents au monde ne dispose d’un espace médiatique plus important que la dissidence cubaine. D’ailleurs, les invectives à l’encontre du gouvernement cubain ne manquent pas. Par exemple, l’opposant Oswaldo Payá accuse régulièrement les autorités des pires crimes possibles et imaginables : « A Cuba, il y a des disparus […]. Il y a plus de vingt enfants assassinés », a-t-il ainsi affirmé à plusieurs reprises à la presse internationale. Pourtant, il n’a pas passé une seule minute en prison.5
De la même manière, la dissidence a organisé un congrès à La Havane le 20 et 21 mai 2005. Ce congrès a entièrement été financé par les Etats-Unis et l’extrême droite d’origine cubaine de Floride. Plusieurs journalistes et diplomates étrangers y ont assisté, dont James Cason, l’ancien chef de la Section d’intérêts nord-américains à La Havane. Le propre président Bush avait envoyé un message vidéo aux opposants dans lequel il affirmait que « la vague de la liberté est en train de s’étendre à travers le monde, et dans un jour prochain, elle atteindra les côtes cubaines ». Les assistants avaient chaleureusement applaudi le discours du locataire de la Maison-Blanche en scandant des « Viva Bush ! ». Dans n’importe quel pays du monde, ces individus auraient été arrêtés et mis en examen pour association avec une puissance étrangère. Pourtant, aucun d’entre eux n’a été inquiété par la justice cubaine6.
RSF présente Oswaldo Payá comme un « socio-démocrate », et le cite en exemple. Elle omet de signaler que ce dernier a ouvertement soutenu le coup d’Etat contre le président vénézuelien Hugo Chávez, dans une lettre ouverte en avril 2002. Elle oublie également de rappeler qu’il est intimement lié aux diplomates étasuniens présents à Cuba, ainsi qu’aux groupuscules extrémistes de Floride7.
RSF continue d’affirmer que « 23 journalistes » sont emprisonnés. Pour l’organisation parisienne, il suffit que n’importe quel Cubain, attiré par le juteux commerce de la dissidence, écrive trois lignes contre son gouvernement pour décrocher le titre de « journaliste indépendant ». Peu importe que sur les « 23 journalistes » un seul, Oscar Elias Biscet, soit diplômé d’une école de journalisme. Peu importe qu’aucun de ceux-ci n’aient exercé le métier de journaliste avant d’intégrer l’opposition. Peu importe que ces derniers aient été condamnés par la justice cubaine pour des délits de droit commun – ils avaient reçu des fonds d’une puissance étrangère, les Etats-Unis – n’ayant rien à voir avec leur statut de « journaliste8 ».
D’ailleurs, les propres documents officiels des Etats-Unis, telles que la loi Torricelli de 1992, la loi Helms-Burton de 1996 et le rapport de la « Commission d’assistance à une Cuba libre » de mai 2004 stipule qu’un budget est alloué à la fabrication d’une opposition interne à Cuba. Le plan de 2004 prévoit une somme de 50 millions de dollars à cet effet. Quant aux dernières mesures contre Cuba prises par le président George W. Bush le 10 juillet 2006, elles prévoient même « d’entraîner et d’équiper des journalistes indépendants de la presse écrite, radiophonique et télévisuelle à Cuba », et la somme faramineuse de 80 millions de dollars a été débloquée, entre autres, pour atteindre cet objectif. RSF peut-elle, en toute honnêteté, ignorer cette réalité9 ?
RSF avoue enfin qu’elle est subventionnée par Washington par le biais du National Endowment for Democracy (NED), organisme créé par le gouvernement de Ronald Reagan afin de promouvoir l’agenda de la Maison-Blanche à travers le monde. Mais elle tente de minimiser l’importance de la somme reçue et ergote sur son utilisation, qui serait uniquement « dévolue [aux] actions sur le continent africain et non américain10 ».
RSF confesse également qu’elle reçoit un financement du Center for a Free Cuba, une organisation d’extrême droite dont le but est de renverser le gouvernement cubain. Elle prétend même n’avoir jamais occulté ces subventions dont elle bénéficie depuis 2002. Cela est faux puisque ces dernières n’apparaissent pas dans les comptes de 2002 et 2003. RSF omet également de signaler que le directeur de cet organisme est un certain Franck Calzón. Il a été par le passé l’un des présidents de la Fondation nationale cubano-américaine (FNCA) qui, comme vient de le déclarer José Antonio Llama, l’un de ses anciens directeurs, est lourdement impliquée dans le terrorisme contre Cuba11. Pourquoi RSF cache-t-elle cette réalité à l’opinion publique ? Comment RSF peut-elle accepter de recevoir de l’argent d’un ancien membre d’une organisation terroriste ?
RSF récuse « l’accusation d’acharnement contre Cuba » et affirme qu’elle n’est en aucun cas « l’obligé idéologique de [son] bailleur ». Dans ce cas, pourquoi l’organisation s’est-elle réunie avec l’ambassadeur spécial de l’administration Clinton pour les affaires cubaines, Stuart Eizenstat, dès 1996 à Paris ? Pourquoi alors a-t-elle attaqué l’ambassade de Cuba en France le 24 avril 2003 ? Pourquoi a-t-elle organisé une soirée au Théâtre du Rond-Point de Paris, sous le slogan politique « Cuba sí, Castro no », en septembre 2003 ? Pourquoi cette organisation s’est-elle réunie avec des représentants de l’extrême droite cubaine de Floride le 16 janvier 2004 pour y signer des accords et créer un comité dont Robert Ménard, secrétaire général de RSF, fait désormais partie12 ?
De la même manière, pourquoi a-t-elle lancé des campagnes médiatiques en diffusant des messages publicitaires (dans la presse écrite, à la radio et à la télévision) destinées à dissuader les touristes de se rendre à Cuba, comme le stipule le plan de Bush de mai 2004 ? Pourquoi cache-t-elle le fait qu’elle soit la seule organisation citée en exemple dans ce même plan à la page 20 ? Pourquoi n’a-t-elle pas organisé de campagnes similaires pour d’autres pays telle que la Chine ? Pourquoi le seul lien permanent sur la page d’accueil de son site Internet trilingue concerne Cuba alors que, selon ses propres critères, la Chine est la plus grande prison du monde pour journalistes ? Pourquoi le seul pays contre lequel Robert Ménard a exigé des sanctions de l’Union européenne est Cuba ? Pourquoi le texte qui accompagne le « classement de la liberté de la presse » de 2003 est-il entièrement focalisé sur Cuba avec le titre « Cuba, avant-dernier, avant la Corée du Nord13 » ?
Mais le traitement réservé à Cuba n’est que la pointe émergée de l’iceberg. En effet, l’agenda politique de RSF va bien plus loin que le simple cas de Cuba. Par exemple, RSF ne s’est souvenu que tardivement – cinq ans plus tard – du cas du journaliste de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera Sami Al-Haj, et uniquement après que plusieurs articles stigmatisant cet « oubli » aient été publiés. Désormais, l’organisation reconnaît que ce dernier a été arrêté « sous de fallacieux prétextes de collusions avec Al-Qaeda ». « Faute de savoir si Sami Al-Haj avait été arrêté en raison de sa qualité de journaliste et faute d’information le concernant, RSF a attendu avant de mener d’autres actions », affirme le communiqué14.
Il a donc fallu une enquête de cinq ans à RSF pour découvrir que Sami Al-Haj avait été arrêté, séquestré et torturé uniquement en raison de sa qualité de journaliste. C’est sans doute la raison pour laquelle le journaliste soudanais a disparu des rapports 2004 et 2005 dans lesquels RSF liste tous les journalistes emprisonnés dans tous les recoins de la planète. Par contre, RSF n’a pas tardé un seul instant à avoir la certitude que le gouvernement cubain emprisonnait des « journalistes15 ».
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que RSF fait preuve de complaisance envers les exactions commises contre les journalistes de Al Jazeera qui, encore une coïncidence sans doute, se trouve sur la liste noire des Etats-Unis en raison de ses reportages montrant les crimes des soldats étasuniens en Irak et en Afghanistan. En septembre 2003, Taysser Alouni avait été arrêté en Espagne suite à de simples soupçons de liens avec Al-Qaeda. Interrogé à ce sujet, Robert Ménard s’était borné à déclarer que les journalistes n’étaient pas au-dessus des lois et… rien de plus16.
Ven 29 Sep - 19:24 par Tite Prout