Une monnaie unique en Afrique subsaharienne ? Les avis s’affrontent
26/09/2006
Le cinquantenaire du premier congrès des écrivains et artistes noirs de 1956 qui s’est tenu du 19 au 22 septembre 2006 à la Sorbonne et à l’Unesco a permis entre autres questionnements de faire resurgir le débat ancien sur une monnaie unique en Afrique noire. Vieux serpent de mer qui avait déjà mobilisé l’intelligentsia noire des années des indépendances à l’époque où les Nkrumah et Cheikh Anta Diop prônaient une intégration économique et politique du continent dans le cadre d’un état fédéral panafricain.
L’économiste et professeur des universités Chicot Eboué a pris le taureau par les cornes en proposant une modélisation de l’objectif monnaie unique africaine. Rappelant que cette idée était très en cours auprès des technocrates de l’Union africaine il a voulu opposer deux stratégies d’intégration monétaire.
Le scénario dit du "big bang" de passage à la monnaie unique sans transition a vite été jugé suicidaire par l’universitaire qui a pris en illustration le cas catastrophe du Zaïre, monnaie créée par l’ancien trop démocrate léopardisant maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wazabanga.
A l’inverse, un scénario plus sage, celui du gradualisme, empreint des terminologies de l’économie de transition a eu les faveurs de l’économiste. En effet l’intégration monétaire sur le modèle néo-libéral répandu suppose la double convergence des économies réelles, -PIB, déficit budgétaire, inflation- et monétaires -taux d’intérêt. L’exemple de l’Union européenne qui a réussi son intégration et sa monnaie unique l’Euro au bout de 30 ans de convergence des performances macroéconomiques et de stabilité a servi de point de référence à cette démonstration en définitive acquise à l’objectif de monnaie unique mais de façon graduelle, prudente et conditionnée.
Le mérite de l’économiste n’est pas moindre d’avoir proposé un scénario et des conditions de réalisation de cette intégration monétaire africaine, cependant cette approche semble limitée pour plusieurs raisons.
La première c’est qu’aucun objectif n’a été réellement assigné à cette monnaie unique, laissant supposer que la monnaie, unique en l’occurrence ne pouvait avoir de visées qu’économiques. Pourtant le coût de l’unification monétaire est considéré par beaucoup d’économistes européens comme ayant limité la croissance en contraignant la demande globale et le déficit budgétaire clé de la relance des économies en période de chômage. L’Europe a pourtant tenu cet objectif non par cynisme mais parce que son véritable horizon est géopolitique, la communauté politique européenne, la constitution d’un espace puissant économiquement, politiquement disposant d’une monnaie pouvant contrer le dollar et faire face aux blocs émergents. A partir de là l’arbitrage a été fait de sacrifier si nécessaire quelques points de croissance.
Leçon, la monnaie a toujours été un instrument politique, pas exclusivement mais cette dimension est importante sinon primordiale. Elle repose d’abord sur la volonté politique, la confiance et l’adhésion des acteurs économiques et citoyens.
Dans la foulée le raisonnement de Chicot Eboué surestime la dimension économique des variables monétaires telles que le taux d’intérêt. Selon lui, l’hémorragie de capitaux de la zone franc vers les placements européens dans les années 90 était un problème de différentiel de taux d’intérêt. En fait ce sont des facteurs politiques, les conférences nationales, le retour du multipartisme, qui ont poussé les oligarchies incrustées, par peur de perte de pouvoir à l’accélération et à l’intensification inimaginables des détournements de fonds publics. Les rumeurs lancinantes de dévaluation du franc CFA ont entretenu cette fuite en avant devant le risque de fonte de pouvoir d’achat international.
Notons de surcroît que les contraintes de Chicot Eboué, supposent implicitement que monnaie unique voudrait nécessairement dire taux de change et cours unique dans l'espace monétaire, alors qu'il est ensigeable d'avoir une unité monétaire commune et des monnaies nationales ou sous-régionales à des cours différents selon les économies. Ceci redéfinierait le rythme et la nature des conditionnalités, des critères d'intégration, même si le modèle du cours unique paraît le plus gérable à priori.
Deuxièmement, un certain économisme ou réductionnisme aux variables apparentes a pu limiter les réflexions comparatives avec l’expérience européenne. L’Union européenne et l’unification allemande sous Bismarck ou encore l’intégration économique américaine après la guerre de sécession reposent, avant les indicateurs économiques, sur des institutions stables, crédibles, engagées dans le processus d’unification. Ceci suppose une véritable autonomie politique, et un mode gouvernance orienté vers les intérêts des sociétés et économies concernées.
Des projets aussi lourds et techniques que l’unification économiques et monétaires ne peuvent probablement être menés que par des institutions à fortes capacités manageriales et disposant sur le long terme d’expertises mobilisables.
En plus des institutions publiques nationales fiables et stables, des institutions privées, puisque la monnaie est manipulée par des agents économiques appartenant à la sphère marchande, devraient trouver dans le processus d’unification monétaire des enjeux d’économies d’échelle notamment-ouverture des marchés régionaux, etc.- et réaliser des anticipations qui renforceront le processus [anticipations auto-réalisatrices. L’absence de tels facteurs rendrait le processus difficile sauf à le faire porter entièrement par les Etats nationaux, ou un représentant de la communauté monétaire à venir.
La plus grande épine dans le pied de ce projet est bien le manque d’institutions et de classe dirigeante volontaristes capables de conduire une reconversion économique de cette ampleur, avec un modèle et des objectifs à trouver. Il serait ardu d’instaurer la confiance entre les agents économiques et financiers et les institutions monétaires panafricaines actuelles, connaissant les pratiques de déterritorialisation des capitaux courantes.
Il reste cependant une grande part d’inconnue, la réaction du public. Cette idée est très populaire et fédératrices auprès des panafricains et rien ne dit qu’elle seule ne déclencherait pas un déclic à terme entraînant pour les économies. Les résultats seraient à attendre à moyen terme mais le changement de cap, quitte à procéder par erreurs et tâtonnements serait déjà un signe que les sociétés pourraient vouloir répercuter au centuple.
Première parution 25.09.06
ZB
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